POUR UN OUI OU POUR UN NON de Nathalie Sarraute. Mise en scène Léonie Simaga avec Nicolas Briançon, Nicolas Vaude et Roxana Carrara.
L’amitié la plus profonde résiste-t-elle au temps ? Résiste-elle surtout au parcours plus ou moins faste accompli par deux amis ? Le changement d’attitude de H2 à son égard préoccupe H1. Rien, selon lui, n’est venu ternir l’amitié sans faille qu’ils se vouent depuis leur plus tendre enfance. Son silence mérite une visite. Que lui reproche ce véritable ami ? Sans ambages, H1 lui pose la question: « Que s’est-il passé, qu’est-ce que j’ai fait ? », puis il tente de se justifier : « il n’y a rien que je me souvienne ». Indisposé par cette intrusion inattendue, H2 se ferme, tergiverse, mais finit par lui avouer la cause de sa rupture : trois mots prononcés par H1 à son encontre, une petite phrase anodine qui prend un tout autre sens selon le ton donné. Interloqué, H1 ne s’attend pas à cette raison pour lui très excessive, il insiste. H2 formule alors plusieurs fois la phrase du délit : « c’est bien…ça », en imitant la manière dont H1 l’aurait prononcée. H1 tente de minimiser. Chacun argumente sans succès. Ils s’accordent pour solliciter l’avis d’un tiers. La voisine, peu encline à la médiation, ne s’attarde pas. La discussion prend de l’ampleur avec en filigrane la réussite de l’un et la médiocrité de celle de l’autre. Venu là pour comprendre, H1 tente d’apaiser les tensions, argumente, perd patience devant l’agressivité de son ami. H2 formule alors un substantif pour qualifier le comportement de H1 à son égard : « condescendance » serait le mot approprié…
Le texte de Nathalie Sarraute se lit mieux qu’il se représente. Sa démonstration du pouvoir destructeur des mots, sous couvert d’une phrase ou de quelques mots a priori anodins, repose entièrement sur la mise en scène et l’interprétation. Léonie Simaga reprend celle qu’elle a créée en 2007 (Lettre 270). Elle installe cette fois les deux personnages dans un décor minimaliste où rien ne vient distraire le regard, ni parasiter le dialogue. La gestuelle des deux « adversaires » est particulièrement étudiée. L’antagonisme des personnages sied particulièrement bien aux deux comédiens. Chacun vit ses émotions. Nicolas Vaude donne corps et âme à H2, écorché vif, dont l’apparence négligée trahit le peu d’estime qu’il a de lui-même. Nicolas Briançon garde la maîtrise de celui qui a réussi. Ses paroles mesurées dérivent rarement vers la colère. L’inaltérable complicité des deux comédiens apporte un atout supplémentaire à cette brillante joute verbale. M-P. P. Théâtre de Poche 6e.