LE PAVÉ DANS LA MARNE. Texte de Jean-Paul Farré. Mise en scène Ivan Morane avec Jean-Paul Farré et Muriel Raynaud (violon).
Feu !
Feu d’artifice en l’honneur de la Patrie. Feu contre l’Archiduc Ferdinand d’Autriche-Hongrie, feu mortel qui assassine Jean Jaurès et avec lui les idéaux de paix. Que de feux en ce mois de juillet 1914 ! Sans surprise, toute cette histoire avec ou sans majuscule. On connaît la suite, ou du moins croyait-on la connaître jusqu’à ce que Jean-Paul Farré décide de la revisiter à sa mode uchronique. Et l’on entre désormais dans le grand théâtre des jeux diplomatiques de rodomontades en ultimatums, des absurdités militaires et des contournements stratégiques, des chauffeurs de taxi goguenards, des sangs, purs ou impurs, qui coulent à flots dans la mort des jeunes sacrifiés et la douleur des femmes désertées. Autant d’événements racontés dans leur véracité, sinon dans la perspective officialisée, et d’autant plus stupéfiants que leur cheminement s’arrête à la victoire affirmée de l’ennemi teuton en septembre 1914. Mais oui. S’énonce alors la kyrielle des drames auxquels cette victoire inédite aurait fait échapper toute une génération condamnée à la boucherie. Mais, avec eux aussi, le sort des provinces détournées, les œuvres littéraires, leurs auteurs miraculés, les monuments aux morts sans raison d’être. Oui, et Le Canard Enchaîné, alors ? Pas de « Maréchal, nous voilà », certes. Et le Soldat Inconnu ? C’est là que Jean-Paul Farré, en magicien rieur et triste, nous en dévoile l’identité, en produisant LA balle. J’ai la balle, l’anaphore émouvante évoque la mémoire de ses deux grands-pères morts au champ d’horreur.
L’Histoire majuscule se réécrit dans le décor minimaliste d’une scène de théâtre, des cartes déployées, des ombres chinoises, dans l’à-côté intimiste du quotidien des femmes en attente fidèle, dans les sanglots longs du violon de Muriel Raynaud.
Merci, Monsieur Farré, votre leçon d’histoire vaut tous les plaidoyers pour la Paix. A.D. Théâtre Lucernaire 6e.