WALTER SICKERT
Peindre et transgresser

Article publié dans la Lettre n°561 du 11 janvier 2023



 
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WALTER SICKERT. Peindre et transgresser. Cette exposition, organisée avec le concours de la Tate Britain, nous fait « découvrir », tant Walter Sickert est quasiment inconnu en France, un artiste étonnant et énigmatique. Peu de musées français possèdent des toiles de Sickert (1860-1942), alors qu’après avoir étudié la peinture avec Whistler puis Edgar Degas devenu son mentor, il a lié des amitiés durables avec bon nombre d’artistes français tels Jacques-Émile Blanche, Bonnard, Monet ou Pissarro. Il a régulièrement exposé en France où il a séjourné longuement à diverses reprises, s’installant même à Dieppe de 1898 à 1905. Après la Première Guerre mondiale, il retourne définitivement en Angleterre et se fait oublier de ce côté-ci de la Manche.
Si le parcours de l’exposition est chronologique, il est aussi thématique tant Sickert a évolué au fil du temps dans les sujets et la manière de peindre. La singularité de sa peinture tient à ce qu’il est constamment en marge des pratiques de son temps en Angleterre. C’est en cela que le sous-titre de cette exposition est pleinement justifié.
Celle-ci commence, après un hommage à Delphine Lévy, décédée en 2020, spécialiste de Sickert en France et à l’origine de cette manifestation, par une série d’autoportraits. On voit combien Sickert aimait se représenter sous diverses apparences, un serviteur d’Abraham, Lazare et même le Christ dans la dernière partie de l’exposition.
Après quelques toiles évoquant son apprentissage avec Whistler, puis Degas, le parcours s’ouvre sur un espace à la scénographie remarquable consacré au music-hall. À la fin des années 1880, le sujet du music-hall est inédit en Angleterre et fait scandale tant ces lieux populaires sont décriés par la « bonne » société. En France, le sujet des cafés concerts est déjà récurrent grâce à des artistes comme Degas. Cela permet à Sickert d’innover avec des points de vue étonnants comme dans The Trapeze (1920) ou des cadrages inattendus comme avec Eugene Goossens en train de diriger (1923-1924). Dans ses tableaux, il s’intéresse aussi bien à ce qui se passe sur scène que dans la salle, où la foule des spectateurs l’inspire énormément.
Si ce type de sujet lui apporte une certaine notoriété, il n’en est pas de même sur le plan financier. Sickert se tourne alors vers le portrait, a priori plus lucratif. Malheureusement, ne voulant pas faire de concessions, préférant « peindre l’âme » des commanditaires plutôt que satisfaire leurs souhaits, il n’en est pas ainsi. Ses plus belles toiles, que l’on voit ici, sont celles qu’il réalise avec pour modèles des ami(e)s ou des anonymes.
Il se tourne alors vers le paysage. Nous voyons, à la manière de Monet dont il avait vu la série des Cathédrales de Rouen, une série de Saint-Marc de Venise et d’Églises Saint-Jacques de Dieppe à côté de vues diverses de Dieppe ou de Londres.
La section suivante, « Le nu moderne », rassemble des toiles du début du XXe siècle, surtout de 1905 et 1906. Celles-ci firent scandale car, au lieu de représenter des sujets mythologiques, comme cela se pratiquait encore à Londres à cette époque, elles nous montrent des modèles mis en scène dans des chambres populaires, avec des cadrages atypiques et voyeuristes, comme cela se pratiquait déjà en France avec des artistes tels Courbet, Degas ou Bonnard, dont on voit une toile qui a pu inspirer Sickert. À son tour, celui-ci inspirera des artistes comme Lucian Freud (1922-2011) ou Francis Bacon (1909-1992).
La septième section aborde un thème classique en Angleterre, celui des « Conversation pieces » ou scène de la vie intime. Mais là-aussi il dynamite ces scènes de genre, apaisées et codifiées, en recherchant l’innovation, avec la représentation de situations ambiguës, soulignant la complexité de l’existence et des relations humaines. Sa toile Ennui (vers 1914) en est le meilleur exemple.
L’exposition se termine avec les toiles peintes par Sickert en utilisant une nouvelle technique, la transposition, qui lui valut quelques critiques. Il projette sur la toile, avec une chambre claire, le motif qu’il veut représenter. Cela lui permet d’agrandir et de peindre, à partir de photographies ou de coupures de presse, toutes sortes de sujets auxquels il n’aurait pas accès. Parmi les nombreux exemples ici présents, La Résurrection de Lazare (1928-1929)est le plus explicite, puisque l’on voit à la fois la photographie de la mise en scène préparée par Sickert et le tableau qui en résulte. Une exposition très instructive bénéficiant d’une magnifique scénographie, œuvre de Cécile Degos. R.P. Petit Palais. Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris 8e. Jusqu’au 29 janvier 2023. Lien: www.petitpalais.paris.fr.


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