LES VILLES ARDENTES
Art, travail, révolte 1870-1914

Article publié dans la Lettre n°508 du 30 septembre 2020



 
Pour voir le parcours en images de l'exposition, cliquez ici.

LES VILLES ARDENTES. Art, travail, révolte 1870-1914. On associe généralement les peintres impressionnistes à la représentation de la nature ou d’édifices qu’ils avaient sous les yeux avec, de temps en temps, des portraits, surtout de leurs proches. Néanmoins, ils étaient aussi témoins des bouleversements de leur temps en matière d’industrialisation, de mécanisation et d’urbanisme. Cela se traduit par le choix de certains sujets, tels des paysages avec des usines, des quais où s’activent des ouvriers, des édifices en construction. Ce n’est que très rarement qu’ils pénètrent dans les usines et il faut attendre le postimpressionnisme pour que des artistes rendent compte de la situation des hommes et des femmes qui subissent, souvent douloureusement, ces changements.
La présente exposition rend compte de tout cela à travers un choix de presque 150 œuvres s’étendant de 1873 à 1913 et recouvrant les champs de la peinture, de la sculpture, de l’affiche, du dessin de presse et de la carte postale photographique. En outre, tout au long des huit sections relativement bien identifiables, les commissaires ont rappelé par des bandeaux les dates des principaux événements sociaux de la période considérée. Cela va du 19 mai 1874, avec la création de l’inspection du travail jusqu’au 20 août 1914 avec la création d’un fonds national de chômage. Nous avons reproduit tous ces bandeaux dans le parcours en images de cette exposition, ainsi que les explications données dans le dossier de presse dont seuls, quelques extraits, sont mentionnés sur les panneaux au début de chaque section, ce qui est bien dommage pour le visiteur.
Le parcours commence avec des tableaux représentant des paysages industriels. On y voit des usines, d’immenses cheminées fumantes, parfois aussi des flammes, comme dans cet imposant triptyque de Pierre Combet-Descombes, Les Hauts-Fourneaux de Chasse (1911). Dans ces faubourgs industriels, lorsqu’il apparaît, l’homme n’est qu’une petite silhouette, marginale, comme le peintre qui contemple ces pittoresques nouveaux paysages.
Les villes elles-mêmes sont en pleine mutation. La section « peindre les quais » montre la fascination des artistes devant le spectacle de ces ouvriers qui criblent le sable (Armand Guillaumin), déchargent des péniches (Maximilien Luce, Théophile Alexandre Steinlen) ou simplement s’activent sur un pont (Camille Pissarro, Le Pont Boieldieu à Rouen, 1896). De tous ces tableaux, c’est celui d’Henri Gervex, Le quai de la Villette à Paris ou Le Coltineur de charbon (1882) qui est le plus impressionnant.
Autre mutation dans les villes tout aussi fascinante, les chantiers de construction, surtout à Paris avec les gigantesques travaux post-haussmanniens en vue des expositions universelles, des extensions de lignes ferroviaires ou de la construction du métropolitain. František Kupka nous dévoile Les Mystères de la construction du métropolitain (1905), montrant comment les ouvriers travaillent sur la ligne 4, la première à passer sous la Seine, tandis que Maximilien Luce met au premier plan les ouvriers d’une Construction quai de Passy (1907).
Peu à peu les artistes s’intéressent à la condition ouvrière. S’il leur est difficile de pénétrer dans les usines, au moins il leur est loisible de voir les entrées et les sorties d’usines de cette « population qui va, au matin, vers la besogne, qui s’en revient au soir, pour recommencer le lendemain » (Gustave Geffroy). Alors que le film des Frères Lumière (La Sortie des usines Lumière à Lyon, 1895) n’a qu’une vocation promotionnelle, les sombres toiles de Théophile Alexandre Steinlen, Raoul Dufy ou Jules Adler traduisent la fatigue et la misère de ces ouvriers et ouvrières.
En effet c’est à cette époque que la femme elle-aussi, et même les enfants, vont travailler dans ces mines ou ces usines, ce que dénoncent des revues comme L’Assiette au beurre à laquelle collaborent des artistes comme Steinlen ou Grandjouan. Une sorte d’industrie à domicile se crée. Les commissaires donnent en exemple les tisserands, souvent des paysans s’assurant un complément de revenus, notamment en hiver, et les repasseuses. Celles-ci passionnent des peintres comme Edgar Degas, Louis Joseph Anthonissen et surtout Marie Petiet qui en fait un tableau monumental, mettant en scène de toute jeunes femmes (Repasseuses, 1882).
Même si le travail à domicile pour les femmes n’est pas enviable, celui à l’usine l’est encore moins. Celui de ces femmes posant de la dorure sur des tableaux (Émile Adan, Chez le doreur, 1905), voire celui de ces femmes retouchant des porcelaines (Auguste Aridas, Les Retoucheuses de porcelaine, vers 1903) semblent leur convenir. En revanche Jules Adler avec son Atelier de taille de faux-diamants au Pré-Saint-Gervais (1893) et Ferdinand Joseph Gueldry avec sa Filature du nord, Scène de triage de la laine (1913) décrivent des métiers pénibles et sans attraits.
Il en est de même en ce qui concerne « le travail des hommes : bâtisseurs et ouvriers », objet de la septième section. Cette fois les artistes sont partagés entre la glorification des ouvriers (Jules Dalou, Études pour un monument aux ouvriers, 1889-1898) et la description d’une vie âpre et dangereuse, provoquant tensions et négociations sociales. Le rapport de classes est ostensiblement rendu par Ernest-George Bergès avec cette Visite à l’usine après une soirée chez le Directeur (1901) où les ouvriers de la fonderie sont éclipsés par des hommes et des femmes en tenue de soirée !
Afin d’endiguer tout risque d’embrasement social, la Troisième République met en œuvre une politique de conciliation, qui se traduit par plusieurs lois sociales. En effet les premières grèves apparaissent avec leurs cortèges de morts, d’absence de ressources, de chômage. Les artistes en rendent compte par toutes sortes de medias comme le montre la dernière section « Le travail suspendu » où se détache Un jour de grève (1910), un immense triptyque (L’Attente ; Le Défilé ; Le Mort) de Léonie Humbert-Vignot, à côté  de dessins et peintures de Luce, Steinlen, Grandjouan, Tessier, pour ne citer que les plus représentatifs. Une exposition absolument passionnante tant sur le plan artistique qu’historique. R.P. Caen (14000), Musée des Beaux-Arts. Jusqu’au 22 novembre 2020. Lien : mba.caen.fr.


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