THÉODORE ROUSSEAU. La Voix de la forêt. Cette exposition rend hommage à un artiste singulier, grand défenseur de la nature, qui s’est toujours positionné à rebours de ses contemporains. Le parcours est chronologique et suit le fil de la carrière de Théodore Rousseau (1812-1867).
Alors que les paysages n’étaient qu’un prétexte pour représenter des scènes mythologiques ou bibliques, comme le faisait son maître Jean-Charles-Joseph Rémond (1795-1875) avec son Caïn et Abel (1837), Rousseau veut peindre la nature pour elle-même, comme le faisaient les paysagistes hollandais du XVIIe siècle ou l’anglais John Constable. Refusant tout académisme, il ne se présente pas au concours du Prix de Rome car le sujet imposé ne lui plait pas. De même, il ne voyagera jamais en Italie. En revanche, dès 1830, il sillonne la France. Dans la première section on voit des paysages qu’il ramène de ses séjours en Auvergne, Normandie, Franche-Comté, Isère, etc. et en région parisienne.
Ce refus de se plier aux règles académiques ont pour conséquence que ses œuvres sont systématiquement refusées par le Salon officiel et qu’il reçoit le surnom de «Grand refusé». Découragé il n’enverra plus rien au Salon jusqu’à l’avènement de la République en 1848. Il reçoit alors une commande officielle. Néanmoins son style plaît à certains critiques et collectionneurs, qui apprécient son authenticité, ce qui lui vaut un succès croissant.
En 1847, il rompt ses fiançailles avec la nièce de George Sand et s’installe dans une chaumière à Barbizon, à l’orée de la forêt de Fontainebleau, tout en gardant son atelier parisien. Cette forêt attire de nombreux artistes depuis le début du siècle. Soixante pour cent des clients de l’auberge Ganne sont des artistes comme le montre le registre de police. Une communauté se forme autour de Rousseau, favorisée par l’épidémie de choléra qui ravage Paris en 1849. Parmi ses proches, on trouve les peintres Narcisse Diaz de la Peña, Charles Jacque et surtout Jean-François Millet, son plus fidèle ami, même s’ils ne peignaient jamais ensemble. Une stèle en bronze, dont on voit le modèle en plâtre, leur rend hommage sur un rocher en forêt de Fontainebleau.
Cette « colonie » des peintres de Barbizon accueille aussi des photographes tels Charles Bodmer, Gustave le Gray et Eugène Cuvelier. Celui-ci initie Rousseau à la photographie et à d’autres techniques qui s’en inspirent. Un grand nombre de peintures et de photographies de ces artistes illustrent les sections consacrées à Barbizon et à la forêt de Fontainebleau.
À partir de 1850, Rousseau expose au Salon. La consécration lui parvient en 1855, année où il expose au Salon et à l’Exposition universelle, où, devançant Claude Monet et ses séries, il expose côte-à-côte un même paysage pris à des heures différentes de la journée (Sortie de forêt à Fontainebleau, soleil couchant, 1848-1850). Il est alors reconnu comme le «premier paysagiste» de son temps et reçoit un grand nombre de commandes.
La cinquième section, « La voix des arbres », s’intéresse tout particulièrement au traitement des arbres par Rousseau. Celui-ci fait de véritables portraits des arbres remarquables de la forêt, les étudiants minutieusement, afin de dévoiler «tout leur système de vie». Chacun de ces arbres est désigné par son espèce et par son emplacement. Sur certaines toiles il écrit l’espèce des arbres représentés. Parfois il réalise simultanément une peinture à l’huile et une gravure, comme avec Le Chêne de Roche (1860 et 1861). Cet amour de la nature et en particulier de la forêt de Fontainebleau, qui commence à subir les ravages des bûcherons pour subvenir aux besoins de l’industrie naissante, le conduit à demander au comte de Morny, ministre de l’intérieur de l’époque, de préserver les lieux qui servent de modèles aux artistes qui peignent la forêt. Sa demande est entendue et en 1853 naît la toute première réserve naturelle au monde, sous le nom de «série artistique», une réserve officialisée et étendue en 1861. Quel accueil une telle demande recevrait-elle aujourd’hui ? Le parcours se termine avec un tableau symbole de cette conscience écologique avant l’heure, Le Massacre des Innocents (1847), où l’on voit des bûcherons abattre des arbres.
En annexe à l’exposition et en complément aux demandes de Théodore Rousseau, une frise retrace l’histoire de la forêt de Fontainebleau depuis 1820 jusqu’à aujourd’hui.
Une exposition passionnante, riche d’une centaine d’œuvres provenant des plus grands musées français et européens, avec des cartels très intéressants et une scénographie remarquable. R.P. Petit Palais 8e. Jusqu’au 7 juillet 2024. Lien: www.petitpalais.paris.fr.