LE SPECTACLE DE LA MARCHANDISE
Art et commerce, 1860-1914

Article publié dans la Lettre n°596 du 19 juin 2024



 
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LE SPECTACLE DE LA MARCHANDISE. Art et commerce, 1860-1914. Après «Les Villes ardentes, 1870-1914» (Lettre n°508), le musée des Beaux-Arts de Caen nous transporte dans un autre aspect de la ville au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, le développement démesuré du commerce. Des financiers et commerçants avisés profitent des immenses travaux du baron Haussmann pour implanter des établissements  gigantesques, que l’on nommera les «grands magasins». Aristide Boucicaut fonde le Bon Marché en 1852. Alfred Chauchard, commis au magasin Au Pauvre Diable, s’associe à Auguste Hériot et Charles Eugène Léonce Faré pour lancer en 1855 Les Galeries du Louvre. Celles-ci deviendront Les Grands magasins du Louvre employant, en 1875, 2400 personnes. François-Xavier Ruel ouvre en 1856 une boutique de bimbeloterie qu’il nommera un peu plus tard Bazar de l’Hôtel de Ville. En 1865 Jules Jaluzot fonde Le Printemps. En 1870, Ernest Cognacq lance La Samaritaine et enfin, en 1894, ce sont les Galeries Lafayette qui voient le jour. Ces magasins d’un nouveau genre sont de véritables attractions, au même titre que les grands boulevards du baron Haussmann.
Le parcours de l’exposition retrace en trois parties l’histoire de ces transformations, depuis ce «Paris redessiné» jusqu’à la contamination visuelle entre commerce et art, «La traversée du décor», en passant par «La mise en spectacle» et son nouvel arsenal publicitaire.
Si les grands magasins n’ont pas vraiment intéressé les artistes, en revanche, ils sont passionnés par les grands boulevards comme le montrent les toiles de Pissarro, Bonnard, Canella, Tarkhoff, De Nittis. Il en est de même des grandes réalisations que sont l’Exposition universelle de 1867 ou les Halles, objets de maintes lithographies, gravures et photographies. De leur côté, les grands magasins rivalisent d’imagination pour se faire connaître avec de grandes affiches qui mettent en exergue leur nom et leur immensité.
L’apparition de ces géants du commerce ne porte pas préjudice aux petites échoppes traditionnelles, en particulier celles installées à la périphérie, dans les quartiers populaires. Les artistes, tels Dufy, Luce, Gilbert, représentent à l’envi ces commerçants, qui s’installent à même la rue pour vendre leur marchandise, soit sur des carrés, soit devant leurs boutiques, et leurs clients.
Le plus intéressant dans cette deuxième partie est tout ce qui concerne cette «naissance d’un arsenal publicitaire». Il y a bien sûr les affiches. Sur l’une d’entre elles on lit «On rend l’argent de tout achat qui a cessé de plaire», une pratique contemporaine que l’on ne croyait pas si ancienne. De même, un film de 1930 commandé par La Samaritaine, nous montre le processus de traitement d’une commande, depuis la distribution de 2.500.000 catalogues dans toute la France jusqu’à l’expédition quotidienne de 20.000 colis en France et à l’étranger. À part les moyens mis en œuvre, les grandes plateformes telles Amazon n’ont rien inventé ! C’est à cette époque que l’on redouble d’imagination pour faire de la publicité. Cela va de l’apparition des hommes sandwichs, jusqu’à la publicité sur le mobilier urbain et les arbres, en passant par des jeux, telles les cartes à tirer, et la création de nouvelles polices (Lettres Art Nouveau) et signalétiques (Mains indicatrices).
De leur côté, les enseignes se modernisent même si une grande partie de la population sait maintenant lire et n’a plus besoin de ces symboles pour trouver le bon magasin. Ces enseignes bénéficient aussi de l’apparition de l’éclairage au gaz, à partir de 1830, puis à l’électricité, à la fin des années 1890, et enfin de l’invention du néon en 1912.
La dernière partie, «La traversée du décor», nous montre comment les affiches qui fleurissent un peu partout sur les murs, les palissades, les colonnes Morris nouvellement inventées, etc. transforment la ville. Dufy, Laboureur, Kupka et d’autres artistes s’emparent de ce thème dans des peintures multicolores. Ils ne s’arrêtent pas là et nous montrent aussi l’envers du décor avec ces vendeuses ou garçons de café qui doivent se mettre au diapason avec leurs clients, tout en restant modestes. N’oublions pas que ce qui fait la différence entre les ouvriers et les bourgeois, c’est que les seconds ne travaillent pas.
L’apparition des vitrines permet de voir ce qu’il y a dans le magasin sans y entrer. Elles permettent aussi aux enfants d’en faire autant et peut-être d’inciter leurs parents à y faire un achat...
Dans cette partie, une section est consacrée aux vendeurs ambulants. De nombreux peintres, tels Pelez, Loir, Steinlen, Binet, Adler, Forain, Boudin, et des photographes, tel Louis Vert se sont appropriés ce sujet faisant suite aux «cris de Paris» des XVIIe et XVIIIe siècle. Ils représentent ce petit peuple de camelots et marchandes, d’ail, de fleurs, de soupe, d’attrape-mouche, de jouets, etc. en marge du commerce traditionnel et à la limite de la mendicité.
Le parcours se termine avec des images de «la foule des invisibles», ces employés de commerce qui travaillent dans les sous-sols des grands magasins, déballant les caisses et préparant la marchandise.
Une exposition remarquable, tant sur le plan artistique que par tout ce qu’elle nous apprend sur la vie sociale, à cette époque, dans l’univers du commerce. Une mention particulière pour la scénographie et la documentation. R.P. Musée des beaux-Arts de Caen. Jusqu’au 8 septembre 2024. Lien : mba.caen.fr.


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