CHAÏM SOUTINE / WILLEM DE KOONING. La peinture incarnée. Après « Nymphéas.  L’abstraction américaine et le dernier Monet » en 2018 (Lettre n°459), le musée de l’Orangerie s’intéresse  de nouveau à l’influence des artistes parisiens sur les artistes américains et  plus particulièrement ceux de la première école de Paris sur ceux de l’expressionnisme  abstrait américain. Les deux peintres exposés aujourd’hui à l’Orangerie, avec  une cinquantaine de toiles, après l’avoir été à la Fondation Barnes à  Philadelphie, ne se sont jamais rencontrés. Chaïm Soutine (1893-1943), d’origine  biélorusse, a émigré à Paris, alors capitale de l’art, en 1912, tandis que  Willem de Kooning (1904-1997), d’origine néerlandaise, émigrait clandestinement  aux États-Unis en 1926 (il obtiendra la nationalité américaine en 1962).
                Dans les années 1930, de Kooning  découvre Soutine, déjà bien connu aux États-Unis à cette époque. Plus tard, la  grande exposition consacrée au peintre russe en 1950 par le Museum of Modern  Art de New York et la visite privée que de Kooning fera en 1952 à la Fondation  Barnes, qui abrite l’une des plus grandes collections d’œuvres de Soutine avec celle  du musée de l’Orangerie (dans les deux cas grâce à Paul Guillaume), l’influenceront  profondément. En effet, la peinture gestuelle et l’empâtement prononcé des  toiles de Soutine ne sont pas sans rappeler l’expressionnisme abstrait  américain.
                Les commissaires, Claire Bernardi  et Simonetta Fraquelli, n’ont pas cherché à confronter systématiquement les  toiles des deux artistes. Le parcours suit un ordre chronologique marqué par l’évocation  de la rétrospective Soutine de 1950 au MoMA, avec une quinzaine de portraits,  paysages et natures mortes qui étaient présents dans cette manifestation. C’est  à ce moment-là que de Kooning se lance dans la série des « Woman », un  moyen d’aller au-delà de l’antagonisme entre figuratif et abstrait, invoqué par  les critiques d’art. À part Marilyn  Monroe (1954), seule Woman portant un nom à la place d’un  numéro, ces « grosses femmes » selon l’expression d’Elaine Barnes,  son épouse, sont « férocement souriantes » et à la limite de l’abstraction. 
                Plus tard, dans les années 1960,  de Kooning élabore des « Femmes - Paysages », des figures aux poses  provocantes, encore plus abstraites. On les rattache à la toile de Soutine, Femme entrant dans l’eau (1931),  elle-même inspirée par le tableau d’un grand maître, Rembrandt, que les deux peintres  admirent, La Femme se baignant dans un ruisseau (1654).   
                L’exposition se termine avec des  toiles des années 1960-1970 sous le titre de « Transfigurations ». De  Kooning, toujours en admiration des peintures de Soutine, cherche à retrouver  la luminosité des paysages de ce dernier avec des tableaux totalement abstraits.  Une exposition originale avec une scénographie épurée, mettant les toiles bien en  valeur. R.P. Musée de l’Orangerie 1er.  Jusqu’au 10 janvier 2022.  Lien : www.musee-orangerie.fr.