PICASSO. TABLEAUX MAGIQUES. Entre juin 1926 et mars 1930, Pablo Picasso (1881-1973) réalise un nouveau cycle d’œuvres comprenant environ 150 peintures. Elles ont en commun de présenter des caractéristiques plastiques et thématiques nouvelles et singulières, mettant en scène principalement des têtes et des corps. Analysant ces tableaux, l’éditeur et critique Christian Zervos les présente en 1938, dans sa revue Cahiers d’art, dans un article intitulé « Tableaux magiques de Picasso ». En effet, il voit en Picasso un magicien capable d’inventer des formes inédites, susceptibles d’influencer la pensée de celui qui les regarde. La présente exposition est la première exclusivement consacrée à cette période picassienne.
Le parcours met en exergue les principales caractéristiques de ces « tableaux magiques » : une bouche, souvent verticale, dont on voit les dents, un nez symbolisé par deux points représentant les narines, et des yeux très éloignés l’un de l’autre, simplement illustrés par les sourcils, entre ces deux organes. Pour les portraits en pied, les bras et les jambes sont eux aussi représentés de manière schématique à des endroits inattendus. Tout y est mais dans le désordre. Pour les commissaires, « le mode opératoire de Picasso a la nature répétitive des sortilèges ou des formules magiques destinés à convoquer en des rites secrets des pouvoirs spirituels invisibles ».
Ces œuvres sont à rapprocher des sculptures extra-occidentales (Afrique, Océanie) en vogue à ce début de siècle. Picasso, qui en possédait quelques-unes, que l’on voit ici, s’en défend en expliquant qu’à cette époque il ne s’intéressait plus à « l’art nègre ». On a aussi cherché à rapprocher ce type de représentation du surréalisme mais là aussi Picasso, qui s’est intéressé à ce mouvement, s’en défend.
C’est aussi durant cette période que Picasso s’intéresse à la sculpture d’autant plus qu’il a reçu la commande d’un monument funéraire à la mémoire du poète Guillaume Apollinaire, son ami, mort en 1918. Une petite maquette de son projet, Métamorphose II (1928), en plâtre, est visible ici. Ce projet, comme celui qu’il présentera plus tard, est refusé par le comité Apollinaire.
Dans la section « Transmutations », à côté des « figures » habituelles de cette période, nous avons une Guitare où l’on remarque surtout les initiales « M » et « T » faisant allusion à Marie-Thérèse Walter, sa jeune maîtresse, rencontrée dans la rue.
Parmi la douzaine de sections qui composent le parcours, l’une des plus intéressantes est « Le pouvoir d’invention ». On peut suivre, entre autres, le processus créatif du tableau Le Peintre et son modèle (1928), aujourd’hui au Museum of Modern Art de New York. On voit tout d’abord les études pour réaliser une Tête en métal, exposée ici. Ces études sont ensuite reprises dans trois dessins à l’encre pour faire la tête du peintre en train de faire un tableau, debout devant son modèle, lui aussi debout. Si le tableau du MoMA n’est pas là, ces trois dessins en donnent une bonne idée, en noir et blanc.
Au fil du temps, Picasso modifie ses figures. Les yeux sont représentés par des amandes ou des losanges. Les lignes du visage deviennent des traits rectilignes avec des angles aigus (Peintre à la palette et au chevalet. Paris, 1928 ; Buste de femme avec autoportrait, février 1929). Puis, le contour du visage est figuré par un long trait souple (Tête de femme, 1927-1928). Enfin la représentation prend du volume avec l’apparition d’une troisième dimension avec des formes toujours anguleuses (Femme au fauteuil rouge, 5 avril 1929) puis, à la fin de cette période, arrondies comme pour une sculpture (Le Baiser, Dinard, 25 août 1929 ; La Crucifixion, Paris, 7 février 1930).
Même si durant cette période on ne parlait pas encore de « Tableaux magiques », ceux-ci étaient exposés un peu partout comme le montrent les nombreux catalogues visibles ici. Dans la continuité de celles-ci, la présente exposition, quelque neuf décennies plus tard, nous interpelle toujours sur les capacités de Picasso à évoluer et à surprendre sans cesse le spectateur. Une exposition très intéressante à ce titre. Musée Picasso Paris 3e (01.42.71.25.21). Jusqu’au 23 février 2020. Lien : www.musee-picasso.fr.