PEINDRE HORS DU MONDE. Moines et lettrés des dynasties Ming et Qing. Ho Iu-kwong (1907-2006) avait rassemblé depuis les années 1940 des peintures chinoises en privilégiant non seulement leurs qualités esthétiques mais également leurs valeurs humanistes, un héritage de la tradition lettrée. C’est dans cet esprit que ce collectionneur avait nommé sa collection Chih Lo Lou « le pavillon de la félicité parfaite ». En 2018 cette collection, renommée pour ses peintures et calligraphies des dynasties Ming (1368-1644) et Qing (1644-1911), plus particulièrement de la période située entre le milieu du XVe siècle et le début du XVIIIe siècle, est offerte au musée d’art de Hong Kong. Une centaine de ces chefs-d’œuvre sont présentés pour la première fois en Europe. Les peintres et calligraphes qui les ont réalisés avaient en commun le goût des voyages ou d’une vie retirée loin du monde. Tous étaient des lettrés qui pour diverses raisons s’étaient éloignés de la vie mandarinale à laquelle ils étaient destinés. C’est ainsi qu’après le renversement des Ming par la dynastie Mandchoue des Qing, les fonctionnaires Huang Daozhou et Kuang Lu préfèrent se donner la mort plutôt que de servir les nouveaux maîtres, tandis que Zou Zhilin ou Fu Shan se tiennent en retrait de la vie officielle.
Le parcours de l’exposition, en huit sections, suit un ordre chronologique en présentant des peintures significatives des principaux peintres. Des panneaux didactiques nous aident dans la compréhension d’un art qui échappe encore à l’histoire de l’art telle qu’on la conçoit en Occident.
La première section nous initie à cette peinture en nous présentant des paysages peints sur des rouleaux de papier. Ces dessins, comme tous ceux exposés ici, sont d’une très grande finesse et il faut s’approcher pour admirer les détails, par exemple ces petits personnages qui peuvent donner leur nom à la peinture tel Le jeune Qian lisant (1483). Un panneau nous explique également comment regarder une peinture chinoise avec les nombreux écrits et sceaux qui l’accompagnent, y compris ceux du collectionneur.
La salle suivante présente la série monumentale de la collection Chih Lo Lou formée de douze peintures verticales réalisées par Lan Ying (1585-vers 1664), qui se réfèrent chacune à un maître du passé, selon une tradition que l’on retrouve tout au long du parcours. Cette vision de l’art indissociable des œuvres du passé est développée par Dong Qichang (1555-1636), un grand lettré qui domine, d’un point de vue artistique, la fin de la dynastie Ming. Critique et collectionneur, il est lui-même peintre et calligraphe. On voit deux éventails de sa main se référant à des artistes des Xe et XIVe siècle.
Après une salle consacrée à la calligraphie, on découvre trois albums de paysages du XVIIe siècle. L’un d’entre eux s’inspire de poèmes célèbres. Un autre retrace un voyage de 6000 km à la recherche des parents du peintre.
La cinquième section est consacrée à quatre peintres portant le même patronyme sans être tous de la même famille, les Wang. Ce sont eux qui, dans la tradition de Dong Qichang, assurent la transition avec la nouvelle dynastie.
La salle suivante présente les œuvres de deux peintres, issus de la famille des Ming, qui durent se réfugier dans des monastères bouddhistes. Le premier, Zhu Da (1626-1705), dit Bada Shanren, resté fidèle aux Ming, a pour sujet de prédilection les poissons et les oiseaux et ne vient que tardivement au paysage. Le second, Zhu Ruoji (1642-1707), dit Shitao, qui semble avoir accepté le nouvel ordre politique, aborde tous les genres de manière très personnelle et rédige les célèbres Propos sur la peinture. On le retrouve dans la salle suivante « L’invention des Monts Huang », avec un album de paysages, Peinture d’après les poèmes de Huang Yanlü (1701-1702), en compagnie d’autres peintres qui, à la suite des lettrés et poètes qui découvrirent cette région dès la fin des Ming, immortalisèrent ces pics vertigineux, ces cascades et ces mers de nuages, comme le fera plus tard le photographe Marc Riboud. Les Monts Huang donnèrent leur nom à une école d’artistes. La dernière section leur rend hommage en même temps qu’à ceux de l’école de Jinling (Nanjing) où travaillaient des centaines de peintres. Une exposition très intéressante et bien documentée. R.P. Musée Cernuschi 8e. Jusqu’au 6 mars 2022. Lien : www.cernuschi.paris.fr