PARIS 1874
Inventer l’impressionnisme

Article publié dans la Lettre n°595 du 5 juin 2024



 
Pour voir le parcours en images de l'exposition, cliquez ici.

PARIS 1874. Inventer l’impressionnisme. Le 15 avril 1874 s’ouvrait à Paris, au 35 boulevard des Capucines, une exposition organisée par la toute nouvelle «Société des artistes peintres, sculpteurs, graveurs et lithographes». Cette société anonyme comptait 31 artistes de tous âges et de tous milieux ayant la même volonté d’exposer librement et de vendre leur travail. En effet, à cette époque, l’essentiel du marché de l’art passait par le Salon, avec son jury, ses modalités d’exposition qui ne mélangeaient pas les modes d’expression (huile, aquarelles, dessins, sculptures, etc.), ses interdictions comme les représentations de la guerre de 1870 lors du Salon qui suivit, etc. Le Salon est un lieu incontournable pour se faire connaître. En outre, l’État y achète les œuvres les plus marquantes. Néanmoins, l’exposition de la «Société anonyme» n’est pas comparable au «Salon des refusés» ordonné par Napoléon III en 1863 et reconduit d’autres années comme en 1873. Dans celui-ci se côtoient des artistes qui exposent simultanément au Salon qui ouvrira quelques jours plus tard, le 1er mai 1874. Plus de 200 œuvres sont exposées, des peintures, mais surtout des œuvres sur papier dont une quarantaine d’estampes ainsi qu’une dizaine de sculptures et quelques émaux.
Bien que cette exposition se soit tenue dans les anciens ateliers du photographe Nadar, qui les avait quittés compte tenu de leur coût, nous n’avons aucune photographie. Ce ne sont que les articles de presse, quelques dessins et le catalogue qui nous permettent d’imaginer à quoi elle ressemblait. La présente exposition, qui célèbre donc le 150e anniversaire de cet événement, a pour ambition de nous plonger dans le contexte artistique de 1874. Pour cela les commissaires ont réuni une partie des œuvres exposées à l’époque par la «Société anonyme» ainsi que d’autres, exposées au Salon officiel. Le parcours en 10 sections nous plonge dans différents thèmes aussi bien artistiques qu’historiques. En 1874, la France sort d’une guerre contre la Prusse, qu’elle a perdue à Sedan, et Paris, du terrible épisode de la Commune. Le Salon accepte enfin les œuvres qui traitent de la guerre mais refuse celles qui s’intéressent à la Commune comme les lithographies de Manet que l’on voit en début de parcours. Nous avons ensuite une idée de ces célèbres ateliers de Nadar avec leur ascenseur, leur enseigne lumineuse et leur riche décoration. Par contre nous ne savons pas ce qu’il restait quand la «Société des artistes…» les loue pour son exposition.
La deuxième section, «Peindre le présent, exposer par soi-même», nous donne une idée de ce que pouvait être la présentation des œuvres sur des murs tapissés de laine brun-rouge. Nous avons ainsi la reconstitution d’une salle préparée par Renoir avec ses propres œuvres accrochées avec d’autres de Monet et Degas sur le thème du Paris de la mode et du divertissement.
La section suivante, «Une exposition indépendante et éclectique» nous présente dans une première salle des peintures de Renoir, Pissarro, Morisot, Cézanne, à côté d’autres de Béliard, Brandon, Bureau, Colin et Cals. Dans une seconde salle, ce sont une vingtaine d’estampes d’Astruc, Lepic et surtout Bracquemond autour d’un Buste d’Ingres par Ottin et d’une magnifique Jeune fille tenant un vase par le même sculpteur.
La quatrième section est la plus spectaculaire. Elle nous emmène au Salon de 1874. Les commissaires ont accroché des tableaux exposés cette année-là, bord à bord comme cela se faisait pour présenter plus de 2000 peintures, souvent de grandes dimensions. Des petites caricatures de certaines toiles accompagnent les cartels, témoins amusants de l’opinion des critiques sur ces tableaux.
Après quelques toiles traitant de «La guerre et la défaite», présentées au Salon, nous arrivons dans la sixième section, «Convergences». Là nous voyons avec étonnement des toiles d’Éva Gonzalès, de De Nittis ou encore de Manet, refusées au Salon, tandis que d’autres des mêmes artistes, qui exposent simultanément avec ceux qui deviendront les impressionnistes, sont acceptées. Mais le plus étrange est que le célèbre Chemin de fer de Manet, d’une modernité fracassante, est accepté … et devient la risée du public !
Les sections suivantes décrivent les nouveaux motifs et manière de peindre de l’époque, à savoir «La vie moderne», surtout celle de la haute société, mis à part La Repasseuse de Degas, et «L’École du plein air» avec la généralisation de la peinture en extérieur, avant d’éventuelles finitions en atelier. Elles nous montrent que ces motifs et ces manières de peindre étaient présentes aussi bien au Salon que dans l’exposition «impressionniste».
Justement, voici venir l’origine de ce mot, «Impressionnisme». Pour l’occasion, le musée Marmottan Monet a bien voulu prêter son emblématique Impression, soleil levant, cequ’il avait refusé de faire pour l’exposition consacrée à Monet (Lettre n°319). N’étant pas une vue précise et fidèle du port du Havre, Monet avait qualifié son tableau d’«Impression». Le critique Claude Leroy s’empare de ce titre pour disqualifier l’exposition. Néanmoins, il faut attendre 1877 pour voir ce mot utilisé de manière officielle lors de la troisième «exposition impressionniste» du groupe.
La dernière section s’intéresse précisément à cette troisième exposition de ces artistes, qui se tient grâce au peintre et mécène Gustave Caillebotte. Tous ne sont pas impressionnistes, loin s’en faut. Dans la première manifestation ils n’étaient que cinq que l’on qualifiera de tels, Monet, Renoir, Morisot, Pissarro, Sisley. Il y avait aussi Cézanne et Degas pour citer les plus modernes. Dans les suivantes certains participent, d’autres non. Ce qui les caractérise le plus c’est d’être rétifs à toute théorie et profondément individualistes.
Cette magnifique exposition nous permet de voir et revoir des tableaux célèbres, dont le musée d’Orsay possède la plus grande collection au monde, et surtout de resituer cette première «exposition impressionniste» dans son contexte. Seuls quelque 3000 visiteurs la virent mais elle devint un jalon essentiel dans l’histoire de l’art. R.P. Musée d’Orsay 7e. Jusqu’au 14 juillet 2024. Lien : www.musee-orsay.fr.


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