LE MYSTÈRE CLÉOPÂTRE. Au cours des siècles suivant sa mort en 30 av. notre ère, cette reine d’Égypte n’a cessé de fasciner les écrivains et les artistes. En 2014 nous avions pu voir l’exposition Le Mythe Cléopâtre à la Pinacothèque de Paris (Lettre 370). Aujourd’hui c’est au tour de l’Institut du Monde Arabe de nous présenter cette reine, la femme la plus célèbre de l’Antiquité.
Ce que les archéologues et les historiens constatent, c’est que l’on sait peu de choses vérifiables sur Cléopâtre. Même son suicide est sujet à caution et elle aurait fort bien pu être assassinée. Nous n’avons aucune sculpture authentifiée la représentant. Nous ne connaissons son physique, pas nécessairement d’une beauté exceptionnelle, que par les pièces de monnaie à son effigie. Après sa mort, les écrivains romains l’ont décrite comme une courtisane. Il fallait à tout prix en dresser un portrait peu flatteur. Et pourtant elle a régné avec César, puis avec Marc Antoine et a construit plusieurs temples, en particulier le temple d’Hathor à Dendérah. Elle ne parlait peut-être pas sept langues mais était instruite et cultivée, en particulier grâce à la prodigieuse bibliothèque d’Alexandrie, sa capitale. La présente exposition s’attache donc à explorer le «mystère» de la dernière reine d’Égypte.
La première partie, « L’Histoire », présente un grand nombre d’objets archéologiques de toutes sortes. Cette section commence avec des bustes attribués aux personnalités de l’époque, telles César, Auguste et peut-être Cléopâtre VII. Nous avons aussi une magnifique statuette d’enfant, en bronze, qui pourrait représenter Césarion, le fils de Cléopâtre et César. Parmi les objets incontestables, citons des corniches de temple aux cartouches de Cléopâtre VII et de Césarion et des pièces de monnaie à l’effigie de la reine.
L’Égypte était le pays le plus riche du monde méditerranéen comme le prouvent les luxueuses pièces de vaisselle et d’orfèvrerie exposées ici. Une dernière partie est consacrée à la multiplicité des cultures coexistant à cette époque et aux rites funéraires. C’est ainsi qu’il y avait un mélange des divinités grecques et égyptiennes, ainsi que des synagogues, à Alexandrie.
Vient ensuite « La Légende ». Relayant la propagande d’Octave, vainqueur de Cléopâtre et Marc Antoine à la bataille d’Actium, les auteurs romains la qualifie de «reine prostituée», de «monstre fatal», etc. Plus tard les écrivains arabes la décriront en «figure maternelle, protectrice de son peuple, érudite et savante». Quant à l’Occident, ce n’est qu’à partir du XVIe siècle que l’on s’intéresse à cette reine, tantôt vue comme Ève, la tentatrice à la pomme, tantôt comme une reine à la politique admirable. Dans cette section, nous voyons tout d’abord une multitude de livres et manuscrits sur Cléopâtre. Parmi ceux-ci, les Pensées de Pascal où il fait part de son opinion sur le «nez de Cléopâtre». Justement l’artiste grecque Esmeralda Kosmatopoulos a installé ici une Nasothèque avec une cinquantaine de nez de Cléopâtre de dimensions variables, issus des représentations picturales les plus marquantes que l'on retrouve, entre autres, dans la salle suivante.
Dans celle-ci sont rassemblées une quinzaine de peintures, sculptures et gravures des XVIe au XIXe siècles ayant Cléopâtre pour sujet. Le thème dominant est bien sûr le suicide de la reine, mordue par un serpent. Mais on a aussi Cléopâtre essayant des poisons sur des condamnés à mort (1883) et Cléopâtre (qui) dissout la perle dans une coupe de vin (1693-1695) pour montrer sa richesse à Marc Antoine.
Au XXe siècle, c’est le théâtre et le cinéma qui s’emparent de Cléopâtre. La troisième section, «Le Mythe» nous présente les costumes de plusieurs actrices ayant incarné la reine. Pour le théâtre, ce sont ceux de Sarah Bernhardt dans la Cléopâtre de Victorien Sardou (1890) et pour le cinéma ceux de Monica Belluci dans Astérix et Obélix: Mission Cléopâtre, le film d'Alain Chabat (2002). Des extraits des nombreux films, ayant cette reine d’Égypte pour thème, sont projetés en vrac dans cette section.
Mais Cléopâtre a également inspiré le marketing. Il y aurait plus de 1500 marques déposées utilisant le nom de Cléopâtre! Nous pouvons visionner un échantillon de films publicitaires plus délirants les uns que les autres. Quant à l’artiste Shourouk Rhaiem, elle recouvre avec humour des marchandises commercialisées sous le nom de Cléopâtre avec des cristaux Swarovski.
La dernière section, « L’Icône », est consacrée à ceux qui se revendiquent de cette reine qui a su s’imposer dans un monde dominé par les hommes. Pour l’Égypte, elle est le symbole de la résistance contre le colonialisme britannique; aux États-Unis, elle est une fierté pour la communauté africaine-américaine; quant aux mouvements féministes, ils réhabilitent son image. Les commissaires nous présentent justement les œuvres de cinq artistes femmes qui questionnent la représentation de Cléopâtre et mettent en lumière la misogynie dont elle a fait l'objet. Une exposition à la fois scientifique et iconographique passionnante, bénéficiant d’une magnifique scénographie. R.P. Institut du Monde Arabe 5e. Jusqu’au 11 janvier 2026. Lien : www.imarabe.org.