MIRIAM CAHN. Ma pensée sérielle. Dès l’entrée, dans l’immense galerie sans aucune cloison, nous sommes frappés par la diversité des sujets et les dimensions, petites ou immenses, des tableaux exposés. Il n’y a pas de cadres, pas de cartels. Les œuvres sont disposées du sol au plafond dans un arrangement très étudié, comme on le constate assez vite. C’est une sorte de performance qu’a voulue Miriam Kahn pour sa première grande rétrospective dans une institution française. Nous n’avons qu’un dépliant avec un plan pour nous repérer dans ce foisonnement d’œuvres - plus de deux cents toiles et dessins des années 1980 à nos jours, et quelques vidéos – de cette artiste suisse née à Bâle en 1949, et s’immiscer dans sa « pensée sérielle ».
Le parcours commence avec une dizaine de toiles réunies sous le titre «[Espacemoi / spatiale-moi], 2010]» où l’artiste se représente le plus souvent debout et nue dans diverses situations telles que «au travail ! (aujourd’hui moi)» ; «moipasclaire» ; «moipartir» ; «moijaunatre» et même «moi comme homme». Les portraits de différentes tailles, aux traits impersonnels, ont été positionnés de telle façon que les yeux soient tous au même niveau, faisant face au spectateur, adulte bien entendu.
En face de cette série, nous avons un long cortège de toiles et dessins abstraits, parfois très colorés, mais le plus souvent dans des tons gris ou noirs, réunis sous le titre «[Lire dans la poussière (L.D.L.P.) – 1 mois féminin], 1988». Cette performance a été rendue possible parce que Miriam Cahn ne passe qu’une à deux heures pour réaliser chacun d’entre eux, le temps réel que l'artiste peut passer dans un état de concentration maximale et d'immersion dans son travail. Enfin, tout au bout de la galerie, nous avons un florilège de tableaux récents, de 2022 à 2023, avec des représentations de toutes sortes : animaux, paysages, portraits, etc.
Si on interroge Miriam Cahn sur ce qui l’inspire, elle répond : «Mon corps, ma pensée, mon sexe, ce que je suis au moment présent, la manière dont je vis font mon œuvre.» Cela est encore plus manifeste dans les sections suivantes, installées dans deux salles annexes, où elle dépasse les problèmes liés à sa personne pour traiter des grandes questions qui la hante depuis toujours, tels le nucléaire, la misère et surtout la guerre. Pour montrer la violence de ces sujets, elle n’hésite pas à recourir aux images de la pornographie, ce qui n’est pas sans créer la confusion dans l’esprit de certains visiteurs peu au fait de la pratique de cette artiste majeure de la scène contemporaine. C’est ainsi que des associations, se méprenant totalement sur le tableau Fuck Abstraction, ont voulu le faire interdire. Le tribunal leur a donné tort, mais le Palais de Tokyo, qui avait déjà mis en place des avertissements pour les «personnes sensibles», s’est senti obligé de distribuer aux visiteurs une feuille expliquant la signification de cette toile.
La première salle a pour sujet «[Devoirfuir + essencessentiellement] 1996-2022». D’un côté nous avons une accumulation de petits dessins aux sujets variés. De l’autre ce sont de grandes toiles qui évoquent la violence de la guerre, tel le tableau mentionné ci-dessus.
La dernière salle est tout entière consacrée à ce sujet. Abandonnant les titres très personnels des sections précédentes, Miriam Cahn l’a sobrement intitulée «[Espace de guerre printemps 2022]» en référence à la guerre qui fait rage en Ukraine. Dans cette installation on voit des corps tourmentés, des visages apeurés ou morts, des têtes frappées de coups de poing, des animaux morts, des ruines, bref, toutes les horreurs que véhiculent les médias, principales sources d’information de l’artiste qui vit dans une vallée isolée des Alpes suisses. Une exposition exceptionnelle qui ne laisse pas indifférent. R.P. Palais de Tokyo 16e. Jusqu’au 14 mai 2023. Lien : www.palaisdetokyo.com