JEAN HÉLION
La prose du monde

Article publié dans la Lettre n°597 du 10 juillet 2024



 
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JEAN HÉLION. La prose du monde. Si Jean Hélion (1904-1987) a bénéficié de nombreuses expositions dans les galeries et institutions françaises et étrangères, son œuvre est encore peu connu du public. La présente rétrospective, avec plus de 150 œuvres (103 peintures, 50 dessins, des carnets et une abondante documentation) nous offre un aperçu exhaustif de cet artiste.
Jean Hélion est né en Normandie. Il s’oriente tout d’abord vers des études d’architecture à Paris et gagne sa vie comme dessinateur chez un architecte. En 1930 il se lie à Théo van Doesburg et Piet Mondrian et se lance, sans formation en peinture, dans l’abstraction géométrique. Il participe au groupe Art Concret ainsi qu’à la création du collectif Abstraction-Création qui rassemblera les meilleurs représentants de l’art abstrait entre les deux guerres. En 1934 il s’installe aux États-Unis où il se lie d’amitié avec Marcel Duchamp et devient une figure éminente de la vie artistique américaine. Il conseille également de grands collectionneurs. Alors que l’abstraction commence à s’imposer sur la scène internationale, Hélion s’en détourne, en 1939, pour s’intéresser davantage à la figure humaine et au «réel», créant l’incompréhension parmi ceux qui le soutenaient.
Mobilisé à cause de la guerre, il rentre en France. Fait prisonnier, il s’évade en 1942 et publie aux États-Unis They Shall Not Have Me (Ils ne m’auront pas !) qui devient un best-seller. Après le décès de sa deuxième épouse, il se remarie avec Pegeen Vail, fille de Peggy Guggenheim, et retourne définitivement en France en 1946. Il s’installe près du jardin du Luxembourg, un quartier qu’il ne quittera jamais. Alors que l’art abstrait connaît un très grand succès, Hélion, à contre-courant, réinvente donc la figuration en abordant différents styles et de nombreux sujets. Incompris, il peine à trouver sa place sur la scène parisienne. C’est ainsi qu’en 1962 la galerie Louis Carré n’expose que ses œuvres abstraites. Plus tard, en 1970, une première rétrospective de son œuvre est présentée au Grand Palais. Tandis qu’il commence à connaître des problèmes de vue, il est salué par la nouvelle génération de peintres. Aujourd’hui il est considéré comme le précurseur des Nouveaux Fauves allemands des années 1970 et des figuratifs des années 1980. Toutefois, on retient généralement avant tout son œuvre des années 1930-1950. C’est ainsi qu’un grand magazine artistique regrette que la présente rétrospective expose beaucoup plus de tableaux figuratifs que de tableaux abstraits. Nous ne partageons pas ce point de vue et apprécions beaucoup la vivacité des couleurs et le rythme de ses compositions figuratives.
Le parcours en six grandes parties de la présente rétrospective est chronologique, ce qui permet de bien comprendre l’évolution du style et des thèmes de Jean Hélion.
Après une brève introduction et deux tableaux figuratifs de 1928, «De la forme à la figure, 1929-1939» nous montre son évolution dans l’art abstrait. Aux lignes droites de ses toiles de 1929 à 1932, telle Composition orthogonale, succèdent ses «équilibres» avec la réapparition de courbes et la modulation de la couleur (Tensions rouges, 1933; Équilibre sur fond blanc, 1933). Peu à peu, à partir de 1936, apparaissent des formes verticales évoquant des formes anthropomorphes. C’est la période dite des «figures» (Figure rose, 1937) qui se termine en 1939 avec Figure tombée.
Le changement est brutal dans la partie suivante «Entre réel et imaginaire, 1939-1951». On y voit tout d’abord des scènes de rue new yorkaise telles Au cycliste, 1939; Homme au parapluie et femme à la fenêtre, 1944 ; Les Salueurs, 1945. On y voit aussi des portraits: Émile, 1939; Édouard, 1939; L’homme à la joue rouge, 1943. Viennent ensuite des nus: Nu renversé, 1946; À rebours, 1947; Trois nus et le gisant, 1950, ainsi que des «Allumeurs» (1944), des «Journaliers» (Grande scène journalière, 1948; Journalier gris, 1947) et des «citrouilles» (La Belle Étrusque (le porteur de citrouille), 1948).
Ce renouveau du style et des motifs se poursuit dans les sections suivantes. C’est tout d’abord «Le parti pris des choses, 1950-1967)» où apparaissent les motifs des «mannequineries» (Grande mannequinerie, 1951), des paysages (Marronniers, 1954; Le Grand Brabant, 1957) ; des natures mortes (Chrysanthème, 1951; Nature morte aux harengs, 1952) et de grandes compositions très élaborées telle L’Atelier, 1953, que vient d’acquérir le Musée d’art moderne de Paris. Cette section se termine par le premier des trois grands triptyques présentés ici, Le Triptyque du Dragon, de près de dix mètres de long, où il déploie les thèmes qui ont façonné son œuvre.
Dans «Quartier libre, 1968-1980» nous voyons tout ce que les manifestations de Mai 1968 apportent à Jean Hélion. Il traduit tout d’abord cet événement dans un grand triptyque présenté à la sortie de l’exposition, Choses vues en mai, 1969. Il s’en prend également aux monuments du 11 novembre qu’il caricature dans Suite pour le 11 novembre, 1976. Paris lui offre aussi de nouveaux thèmes, plutôt amusants, comme cette Escalade chapelière, 1978 ou cette Suite pucière, 1977. Cette période se termine avec un troisième triptyque, Jugement dernier des choses, 1978-1979, curieusement exposé dans la section suivante. Dans celui-ci, il réunit l’ensemble de ses thèmes et objets fétiches, présentés sous la forme d’un étal de marché aux puces.
La dernière partie, «À perte de vue, 1981-1983», nous montre des toiles peintes alors qu’Hélion est presque aveugle. Il y recycle tous les thèmes de sa vie (Suite vaniteuse à l'atelier, 1982; Trombone pour un peintre, 1983) et montre le combat qu’il mène face à la toile (Le Peintre piétiné par son modèle, 1983; Chute libre, 1983; Les Relevailles, 1983). On y voit aussi plusieurs autoportraits particulièrement émouvants. Une exposition grandiose, colorée et distrayante. R.P. Musée d’Art Moderne de Paris 16e. Jusqu’au 18 août 2024. Lien : www.mam.paris.fr.


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