HARRIET BACKER (1845-1932). La musique des couleurs. Le musée d’Orsay présente quelque quatre-vingt-dix peintures de l’artiste norvégienne Harriet Backer, peu connue en dehors de son pays, mais l’une des peintres les plus célèbres de son temps en Norvège. Elle est la deuxième de quatre sœurs, toutes douées pour les arts. L’aînée, Inga, fut une célèbre chanteuse, Agathe, une pianiste et compositrice mondialement connue, et Margrethe, une artiste-peintre.
À quinze ans elle s’inscrit dans une école de peinture pour femmes parmi les plus réputées de Kristiana (l’ancien nom d’Oslo). Plus tard, elle rejoint à Berlin sa sœur Agathe qui étudie le piano tandis qu’elle copie des œuvres dans un musée. En 1871, les deux sœurs partent pour Florence. Après un retour à Kristiana, Harriet Backer se rend à Munich, l’un des principaux centres artistiques de l’époque avec Londres et Paris, où elle étudie en particulier auprès de son compatriote Eilif Peterssen (1852-1928). C’est là qu’elle rencontre la peintre Kitty Kielland (1843-1914) qui deviendra sa plus proche amie jusqu’à la mort de cette dernière. Toutes les deux s’installent à Paris en 1878 dans un logement-atelier. Harriet y séjourne pendant dix ans, étudiant avec des peintres tels Léon Bonnat, Jean-Léon Gérôme et Jules Bastien-Lepage. De retour définitivement en Norvège, ne pouvant vivre des seuls revenus de ses toiles, elle ouvre une école mixte de peinture. En 1898 elle est nommée membre du conseil d’administration et du comité d’acquisition de la Galerie nationale de Norvège, un poste qu’elle occupera pendant vingt ans. Le directeur de cette galerie lui commandera en 1918 une nature morte qu’elle n’achèvera jamais. En effet elle peignait très lentement et revenait sans cesse sur son travail. Plusieurs de ses toiles inachevées sont visibles dans cette exposition.
Au cours de sa longue carrière Harriet Backer obtient plusieurs distinctions dont une médaille d’argent en 1889 à l’Exposition universelle de Paris pour son tableau Chez moi. Même si elle adhéra à des associations féministes, la politique ne l’intéressait pas. Pour elle la peinture ne devait servir que l’art. C’est ce que l’on constate tout au long du parcours en sept sections thématiques qui mettent en valeur son goût pour la lumière et, dans une moindre mesure, pour la musique.
Après une introduction où l’on voit son portrait peint par Eilif Peterssen et un autoportrait inachevé, ainsi que sa boîte de peinture, nous avons une dizaine de tableaux réalisés durant ses années de formation à Munich et Paris. Parmi ceux-ci on remarque tout particulièrement Intérieur bleu, 1883; Solitude, 1878-1880; L’Adieu, 1878, représentant une jeune femme quittant sa famille, une scène certainement autobiographique; Un érudit dans son étude, 1877, inspiré des maîtres anciens germaniques et hollandais et Andante, 1881, qui représente une pianiste au geste suspendu dans une salle du musée de Cluny. Pour les commissaires, l’adéquation entre la musique et les effets picturaux est le véritable sujet de cette œuvre.
La section suivante nous offre un aperçu du «Cercle d’artistes femmes scandinaves» travaillant elles-aussi à Munich ou Paris. Parmi celles-ci il y a bien sûr Kitty Kielland mais aussi Asta Nørregaard (1853-1933) et Sofie Werenskiold (1849-1926) avec des tableaux tout à fait remarquables. On apprécie aussi les portraits croisés de Bertha Wegmann (1847-1926) et de Jeanna Bauck (1840-1926), chacune peignant sa consœur.
Les cinq dernières sections sont consacrées aux thèmes de prédilection de Backer. Dans la première, «Chez moi, l’atelier musical», nous trouvons divers portraits de ses proches, dont plusieurs sont des musiciens renommés et surtout des représentations de pianistes. Harriet Backer souhaite que le tableau soit «une musique pour l’œil». Au moyen de la touche, de la composition et de la couleur, elle crée des rythmes et des harmonies colorées qui traduisent les impressions produites par la musique. Elle va même plus loin en introduisant d’autres sens comme l’odorat suggéré par le titre de son tableau Lavande, 1914.
«Intérieurs rustiques» nous dévoile un autre thème de prédilection de Backer. Elle est fascinée par les jeux de lumière entrant par les portes ou fenêtres d’une pièce, en particulier celles de ces fermes de Bretagne qu’elle peint lors d’un séjour à Rochefort-en-Terre. Ses toiles représentant des Femmes cousant avec d’habiles jeux de lumière sont fascinantes.
Autre thème de prédilection, les «Rites et reflets intérieurs d’églises». Elle s’attache à représenter sous différents angles des églises anciennes, comme celle «en bois debout» d'Udval ou celle de Stange, l'une des plus anciennes en pierre du pays. Elle nous fait vivre également différentes cérémonies dans l’église de Tanum.
Viennent ensuite les «Extérieurs» avec divers paysages. Si la peinture de plein air est en vogue à cette époque en Scandinavie, ce n’est pas le thème de prédilection de Backer. Néanmoins on apprécie Le Mont Einund, 1897 ou encore Blanchiment du linge, 1886-1887 et À Sandvikselven, 1890.
Le dernier thème «La Vie silencieuse» est consacré aux natures mortes, aux intérieurs et à des vues depuis sa fenêtre. C’est à partir de 1910 qu’elle renoue avec ces sujets, explorant les rapports entre couleur et forme. D’un tableau à l’autre on retrouve les mêmes objets, un peu comme chez Cezanne dont elle fut qualifiée de «sœur» par son élève Henrik Sørensen. Mon atelier, 1918 ou encore Nature morte avec plante en pot, 1912 sont éblouissants.
Une exposition remarquable, bien documentée, avec une belle scénographie, qui nous ouvre de nouveaux horizons. R.P. Musée d’Orsay 7e. Jusqu’au 12 janvier 2025. Lien : www.musee-orsay.fr.