GERMAINE RICHIER. Cette artiste, la première femme à être exposée de son vivant au Musée national d’Art moderne à Paris en 1956, a marqué durablement la sculpture, créant un lien entre Rodin et le premier César. Née en 1902 à Castelnau-le-Lez, près de Montpellier, où cette exposition sera présentée cet été, elle a toujours conservé des attaches avec la Provence comme on le voit dans certaines de ses œuvres. Si on connaît surtout ses sculptures hybrides et monstrueuses comme ses sauterelles ou mantes géantes, il ne faut pas oublier qu’elle a commencé sa carrière dans l’atelier de Bourdelle (1861-1929) qui deviendra son mentor.
Avec quelque 200 œuvres venant du monde entier, la présente exposition est une rétrospective complète en cinq sections, nous permettant de suivre l’évolution de l’artiste depuis ses premiers bustes en 1927, jusqu’à sa mort prématurée en 1959.
Quand on voit ses œuvres d’après-guerre, le titre de la première section « Seul l’humain compte » est déconcertant. Et pourtant c’est bien par des représentations humaines que Richier commence et on verra que toute sa vie, elle incorporera l’humain au monde animal et végétal. Dans cette section, à côté de seize bustes, nous avons La Méditerranée, une commande pour l’exposition universelle de Paris de 1937, avec sa coiffe arlésienne, ses deux Escrimeuses (1943 et 1945), en position de riposte, l’une masquée, l’autre nue, et surtout deux sculptures monumentales, L'Orage (1947-1948) et L'Ouragane (1948-1949). Pour son exposition de 1956, Richier fait tailler par le sculpteur Eugene Dodeigne deux stèles géométriques en pierre, elles aussi exposées ici, pour son couple de sculptures, affirmant ainsi qu’elle considère bien celles-ci comme des êtres vivants.
Dans cette section, une photographie nous montre Richier au travail avec un modèle vivant sur lequel elle a tracé des marques de triangulation, une technique très personnelle !
La deuxième section « Nature et hybridation », nous présente l’univers le plus connu de Richier, celui de l’étrangeté surréaliste ou de l’expressionnisme informel. On y voit, dans des dimensions de plus en plus grandes, des Sauterelles et des Mantes religieuses, des femmes-insectes qui font le lien entre l’humain et la nature. Dans la même section, trois sculptures, La Forêt (1946), La Feuille (1948), Le Grain (1955) ressemblent plus à des êtres humains qu’aux végétaux qui les désignent. Enfin, tranchant sur les autres bronzes par leur aspect doré, voici La Chauve-souris (1946), La Mandoline (1954-1955), qui évoque une cigale géante, et La Montagne (1955-1956) mettant en scène deux figures proto-humaines. Pour ces sculptures, Richier a incorporé au plâtre d’autres objets comme de la filasse pour La Chauve-souris ou des branches et des os pour La Montagne, ce qui leur donne d’étranges aspects.
Au milieu du parcours les commissaires évoquent, à la manière d’un cabinet de curiosité, l’atelier de Richier avec sa collection de compas, divers objets récupérés çà et là, des petites sculptures ou encore un trident de gardian camarguais, que l’on retrouvera faisant office de tête pour La Tauromachie (1953), dans la section suivante.
Avec « Mythe et sacré » nous avons d’autres sculptures hybrides comme ce Cheval à six têtes, grand (1955), ce qui crée un effet de mouvement impressionnant, comme s’il hennissait, ou encore cette femme, L’Eau (1953-1954), dont la tête et le haut du corps ont été formés à partir d’une amphore récupérée en Méditerranée. Mais surtout nous avons le privilège, pour la première fois dans un musée, de voir le Christ d’Assy (1950), une commande du père Couturier pour l’église du Plateau d’Assy (Haute Savoie). Ce Christ, conçu à partir d’un morceau de bois, qui se confond avec la croix, déclencha la « querelle de l’art sacré » et les catholiques traditionalistes obtinrent finalement le retrait de ce Christ jusqu’en 1969. Pourtant, comme le disait le père Couturier, « Il vaut mieux s’adresser à des hommes de génie sans la foi qu’à des croyants sans talent !»
Richier pratiqua toute sa vie la gravure. Le dessin est au cœur de son processus de création. Dans la section « Dessiner dans l’espace », à côté de nombreuses gravures et divers documents, on voit la matérialisation de sa réflexion avec des sculptures à fils qui créent des effets de tensions et de déséquilibre. C’est le cas, et cela va de soi, avec Le Diabolo (1950) ou L’Araignée I (1946), mais on le voit aussi avec La Fourmi (1953) ou La Lutte (1946).
La dernière section « Matériaux et couleurs » nous montre les recherches de Richier à partir des années 1950 sur l’utilisation d’autres matériaux comme le plomb, qu’elle fondait elle-même en y incorporant des morceaux de verre, ou plus surprenant, des os de seiche qui se dissolvaient au moment de la fonte, donnant des formes étranges. Richier s’intéresse aussi à la couleur en demandant à ses amis rencontrés dans l’atelier de Bourdelle, tels Maria Helena Vieira da Silva (La Ville, 1952) ou Zao Wou-Ki (L’Échelle, 1956) de peindre ses sculptures. Plus tard c’est elle-même qui le fait, en particulier pour cet ensemble monumental inachevé, L’Échiquier, grand (1959), dont on voit les cinq pièces principales de l’échiquier, en plâtre peint, perchées sur de hauts socles. Une exposition magistrale qui rend hommage à cette grande artiste trop éclipsée par ses contemporains masculins, comme Giacometti, qui demanda au marchand Aimé Maeght de choisir entre lui et Richier ! R.P. Centre Pompidou 4e. Jusqu’au 12 juin 2023. Lien : www.centrepompidou.fr.