GÉRARD GAROUSTE

Article publié dans la Lettre n°554 du 28 septembre 2022



 
Pour voir le parcours en images de l'exposition, cliquez ici.

GÉRARD GAROUSTE. Le Centre Pompidou consacre une très grande rétrospective à cet artiste né en 1946. À plusieurs reprises, nous avons été confrontés à ses œuvres singulières ou à celles de son épouse, la designer Elisabeth Garouste, qui a collaboré avec lui pour certaines réalisations, comme la transformation du Théâtre Le Palace en haut lieu de la vie parisienne nocturne. En effet, avant de ne se consacrer qu’à la peinture et accessoirement à la sculpture, Garouste a fait des incursions dans le théâtre, comme auteur (Le Classique et l'Indien, 1977), décorateur, voire comédien, en compagnie de son ami de collège Jean-Michel Ribes. C’est dans les années 1970 qu’il invente ces deux personnages que sont Le Classique et l’Indien, l’apollinien et le dionysiaque, que l’on retrouve tout au long de sa carrière.
Le parcours de cette rétrospective se déploie en six grandes sections dans dix-huit salles. Dans la première section, Sophie Dupleix, la commissaire, évoque son travail au théâtre et au Palace, puis ses premières expositions personnelles. S’il ne reste pratiquement rien de la première, en 1969, nous avons plusieurs tableaux de la série Comédie policière (1978) et une multitude de toiles et objets divers de La Règle du jeu (1980). Déjà on note qu’il aime peindre des séries et que son art, tout en étant figuratif, nous invite à chercher par nous-mêmes le sens de ses toiles où les personnages et le décor sont profondément déformés. Garouste lui-même est un être tourmenté, bipolaire. Avec Judith Perrignon il écrit en 2009 un livre très remarqué, « L'Intranquille. Autoportrait d'un fils, d'un peintre, d'un fou » où il raconte les crises qui l’ont affecté à plusieurs reprises, l’obligeant à se faire hospitaliser à Sainte-Anne ou à Garches.
Vient ensuite une première toile de grandes dimensions (253 × 395 cm), Adhara (1981), début d’une reconnaissance fulgurante après son exposition à New York. Sous le titre « Ineffable » sont rassemblés une dizaine de tableaux dont les plus étonnants sont Le Déjeuner sur l’herbe, la Chambre rouge, Les lutteurs, Les Incendiaires et surtout Sainte Thérèse d'Avila, une commande pour laquelle Garouste s’est évertué à rendre le phénomène de l'extase d'une sainte, à mi-chemin entre douleur et jouissance.
La dernière salle de cette première partie est la plus déconcertante car sous le titre « Natures mortes », nous voyons surtout des corps inertes comme dans Le Pendu, le vase et le miroir (1985), ou encore Le Commandeur et le Vase bleu (1985).
Au fil de ses lectures et de ses découvertes, Garouste peint de nouvelles séries. C’est ainsi que la deuxième partie commence avec La Divine Comédie de Dante où il n’hésite pas à y associer le sujet de La Visitation, absent dans le poème !
La salle suivante rassemble d’énormes toiles, des indiennes, suspendues à des barres en métal, et une sorte de chapiteau sans accès. Les toiles, des tentures de lin des 15e et 16e siècles qui servaient de décors provisoires, l’inspirent pour des sujets comme La Chute des anges. Le chapiteau, La Dive Bacbuc (1998) est la pièce la plus étonnante de l’exposition. Il est peint sur les deux faces, mais il faut utiliser des œilletons pour voir des parties plus ou moins grandes du décor intérieur inspiré de Rabelais.
À partir des années 1990, Garouste s’intéresse à la tradition exégétique juive à travers l’étude du Talmud et du Midrach et apprend l’hébreu. Il se convertira au judaïsme en 2014. Avec la présentation de la Meguila ou « rouleau » d’Esther, réalisé avec sa femme et Armand Benhamron, et d’un exemplaire de la Haggada, un récit en hébreu vieux de 2000 ans, nous admirons la virtuosité de Garouste en matière de dessins de toutes sortes à la gouache. Dans la même veine, avec « Tal la rosée », cette troisième partie continue d’explorer les sujets bibliques : Il établira (1995-1996) ; L'Adam et les Trois Lumières (1995-1996) ; Le Chien au baptême (1995-1996) et aussi Jonas, avec une étrange sculpture en bronze comportant un tiroir secret qui renfermerait les quatre chapitres du Livre de Jonas, écrits en huit langues. Faisant sienne la thèse selon laquelle Cervantès serait un juif converti de force au christianisme mais pratiquant en secret sa religion, Garouste s’inspire de Don Quichotte pour nous livrer diverses toiles dont Don Quichotte et les livres brûlés (2013) où il fait le portrait de son ami Jean-Michel Ribes.
Dans la quatrième partie, les thèmes bibliques se renouvellent comme celui de L'Alliance, (1999-2000) ou de La Croisée des sources (1999-2000). Dans ce dernier tableau, Garouste joue avec un mot qui désigne en hébreu à la fois le carrefour, la croisée des sources, et l'échange des regards. Ainsi il fait jaillir de l’eau des yeux des deux personnages qui se rencontrent. Plus loin, dans la salle intitulée « L’Ânesse et la figue », il joue sur la proximité consonantique en hébreu de ces deux mots pour nous livrer toutes sortes de toiles avec des ânes. Si, comme nous l’avons vu, la compréhension des tableaux de Garouste est laissée à notre interprétation, les cartels qui accompagnent la plupart d’entre eux sont souvent bien utiles !
Au milieu de cette partie sont exposés quelque cinq portraits des membres de sa famille. Les corps sont torturés mais les visages très reconnaissables. Son autoportrait, Le Masque de chien (2002), avec les pieds tournés dans le sens contraire de la marche avec, en arrière-plan, ses personnages du Classique et de l‘Indien, est le plus surprenant.
Dans la cinquième partie, Garouste évoque ses souvenirs de la Bourgogne où, enfant, il séjournait chez son oncle et sa tante. Mais dans cette série il évoque aussi son père, un psychopathe d’après les médecins, qui avait menacé sa femme avec un pistolet et qui avait spolié des juifs pendant la guerre, ce que Garouste ne découvrit qu’une fois adulte.
Dans cette même partie l’on voit, sous le titre « Songe d'une nuit de Walpurgis », comment Garouste s’empare de l’œuvre de Goethe pour la peindre à sa manière avec force portraits d’amis pour représenter les héros de Faust.
La dernière partie nous présente deux séries récentes, « Zeugma » (2013-2017) et « Correspondances » (2018-2021). Dans cette dernière série nous admirons un immense triptyque, Le Banquet (2021), inspiré de sujets bibliques, en particulier le Festin d’Esther, où l’on voit Kafka entouré de diverses personnalités contemporaines.
On peut aussi jeter un œil, dans la galerie des enfants, au « Grand atelier de La Source », où Garouste projette le travail qu’il mène avec d’autres artistes à travers sa fondation « La Source », depuis 1991. Celle-ci a pour vocation d’initier à l’art un public défavorisé.
Une exposition magistrale. R.P. Centre Pompidou 4e. Jusqu’au 2 janvier 2023. Lien : www.centrepompidou.fr.


Pour vous abonner gratuitement à la Newsletter cliquez ici

Index des expositions

Accès à la page d'accueil de Spectacles Sélection