FIGURES DU FOU. Du Moyen-Âge aux Romantiques. Cette exposition ne s’intéresse pas à la folie, comme maladie mentale, mais à l’omniprésence des fous dans l’art et la culture occidentale à la fin du Moyen Âge. Effectivement du XIIIe au XVIe siècle, on trouve des figures de fous sur toutes sortes de supports. Cela commence avec les marginalia, ces petites figures qui ornent le cadre d’un texte sérieux comme pour distraire le lecteur. Puis on les retrouve un peu partout, au sol comme au plafond, sur les miséricordes des stalles, les vitraux ou encore les sculptures. L’exposition nous montre bon nombre de ces étonnantes représentations de fous.
Après ce prologue, le parcours se déploie sur tous les thèmes en relation avec la folie.
Le premier «Le fou et Dieu» nous explique comment on voyait la figure du fou dans ce monde médiéval profondément religieux. Le fou est celui qui refuse Dieu. Sa figure est donc omniprésente dans la première lettre, un «D», du psaume 52 en latin. En effet celui-ci commence ainsi: «L’insensé a dit en son cœur : il n’y a pas de Dieu». La parabole des vierges sages et des vierges folles est une autre source d’inspiration, en particulier pour les sculpteurs allemands, tout autant que la figure de Saint François d’Assise qui rompt avec son milieu, la riche bourgeoisie aristocratique italienne, pour prendre des habits de mendiant, suivant ainsi les écrits de saint Paul: «Ce qui est folie aux yeux des hommes est sagesse aux yeux de Dieu».
Le thème suivant, «Le fou et l’amour», rend compte de l’usage qui est fait du fou dans le domaine de l’amour, tant spirituel que terrestre. Le fou hante les romans de chevalerie. Sa figure suffit à symboliser la luxure. Avec le thème de Phyllis, chevauchant Aristote pour ridiculiser le vieux philosophe, éperdu d’amour pour la maîtresse d’Alexandre le Grand, les commissaires nous présentent différentes interprétations cocasses de cette scène de folie. De très nombreuses illustrations de scènes d’amour avec la présence d’un fou sont exposées. On les trouve aussi bien sur des gravures, des tapisseries, des peintures que dans des sculptures ou des plats. C’était un motif très inspirant, tout autant que celui des Vanités, un terme qui apparaîtra plus tard, qui montre la fugacité de la vie humaine et donc de l’amour charnel.
Mais le fou, tout au moins le «fou artificiel» est aussi un personnage qui a sa place à la cour pour divertir le roi, voire le conseiller, et cela dès le XIVe siècle. Certains, tel Triboulet en France, sont devenus célèbres. Cependant, dans certaines cours, le fou n’est pas celui auquel on pense. C’est le cas avec Charles VI le Bien-Aimé (1380-1422), rebaptisé au XIXe siècle Charles le Fol et Jeanne de Castille (1479-1555), poussée par la folie suite à la mort prématurée de son époux, qui fut dénommée Jeanne la Folle.
Au fil du temps le fou s’institutionnalise et a sa place dans les divertissements et les jeux aristocratiques. On retrouve son personnage dans les jeux d’échec et sur les premières cartes à jouer.
Mais le fou ne reste pas cantonné à la cour. Il est omniprésent à la fin du Moyen Âge dans les fêtes urbaines. On le reconnaît au milieu de la foule à son costume bariolé et à ses attributs: marotte, l’équivalent d’un sceptre, capuchon à oreilles d’ânes et crête de coq, grelots. C’est lui qui mène la danse de la mauresque où les danseurs se transforment en contorsionnistes. Un grand nombre de sculptures et d’objets de toutes sortes, comme ce Gobelet en forme de tête de fou, illustrent ce thème.
Finalement le fou est partout, comme l’annonce le panneau de la cinquième partie de l’exposition. En 1494 Sébastien Brant publie La Nef des fous qui remporte un succès fulgurant dans toute l’Europe. Plus tard, en 1511, c’est au tour d’Érasme de se saisir de ce sujet avec L’Éloge de la folie, dont s’emparent catholiques et protestants pour se livrer à une guerre d’images sur le thème de la folie. Les artistes redoublent d’imagination pour représenter les thèmes du fou et de la folie. Bosch peint ainsi un Concert dans un œuf ainsi qu’une Excision de la pierre de folie (vers 1501-1505) et une Satire des noceurs débauchés dit La Nef des fous (vers 1505-1515).
Mais aux XVIIe et XVIIIe siècles, le fou est éclipsé. C’est le règne de la raison et des Lumières (de Descartes aux philosophes de l'Encyclopédie) et les fous de cour n'ont plus vraiment leur place. Cependant des personnages célèbres émergent durant cette période comme Don Quichotte et Polichinelle.
Il faut attendre la fin du XVIIIe siècle et la première moitié du XIXe pour que la figure du fou redevienne un sujet artistique. On met en scène la folie de Charles VI (quatre œuvres sur ce thème sont exposées ici), de Jeanne de Castille et aussi de lady Macbeth. Avec l’Enclos des fous à Saragosse, Goya dénonce ce spectacle violent tandis que Tony Robert-Fleury, dans une toile monumentale, montre le docteur Philippe Pinel faisant retirer ses fers à une aliénée de la Salpêtrière en 1795.
La dernière salle est consacrée à l’évocation de Notre-Dame de Paris, le roman de Victor Hugo qui ressuscite la figure du fou avec Quasimodo, le «pape des fous», et à la pièce du même auteur, Le roi s’amuse. Celle-ci connaît un succès mondial grâce à Verdi qui en tire l’opéra Rigoletto. On y voit des peintures, des costumes de scène et quatre chimères de Notre-Dame de Paris, sculptées à l’initiative de Viollet-le-Duc.
Une exposition flamboyante présentée dans une scénographie remarquable avec des panneaux bien lisibles et un grand nombre de cartels développés. R.P. Musée du Louvre 1er. Jusqu’au 3 février 2025.
Lien : www.louvre.fr.