Parcours en images et en vidéos de l'exposition

FIGURES DU FOU
du Moyen Âge aux Romantiques

avec des visuels mis à la disposition de la presse
et nos propres prises de vue

Parcours accompagnant l'article publié dans la Lettre n°606 du 11 décembre 2024



Entrée de l'exposition


Introduction

Scénographie

Qui est ce fou jouant de la cornemuse, à l'origine perché sur l'église de Bois-le-Duc (Pays-Bas), patrie de Jérôme Bosch, le peintre d’un monde fou ? Un simple d'esprit ? Un marginal ? Un bouffon ? La langue française regroupe sous un seul terme, « fou », des réalités variées.

L'exposition s'interroge sur l'omniprésence des fous dans la culture et l’art chrétiens occidentaux au Moyen Âge et à la Renaissance, mais ne retrace pas une histoire de la folie comme maladie mentale. Le parcours s'attache à montrer les différentes facettes de la figure du fou, personnage clé dans l'avènement du monde moderne.

Enraciné à l'origine dans la pensée religieuse, le fou est l'« insensé » rejetant Dieu. Il s'épanouit surtout dans le monde profane pour devenir, aux 14e et 15e siècles, une figure essentielle de la vie sociale urbaine. L’abondante production artistique témoignant de cet engouement, depuis les objets et peintures les plus raffinés jusqu'aux objets de la vie quotidienne, nous montre à quel point la figure du fou faisait pleinement partie de la culture visuelle des personnes de ce temps.

Le 16e siècle voit la poursuite et l'apogée de cette évolution: la figure du fou est érigée en symbole des désordres du monde. Ce voyage sur la Nef des fous s'interrompt au 17e siècle, qui marque une éclipse de la figure du fou; mais cette figure subversive suscite un regain d'intérêt au crépuscule du 18e siècle, après la tourmente révolutionnaire, et ressurgit au 19e siècle sous de nouvelles formes avec la naissance de la psychiatrie.

 
Texte du panneau didactique.
 
Artiste anonyme. Fou jouant de la cornemuse. Bois-le-Duc (Pays-Bas), vers 1510-1520. Pierre (calcaire). Bois-le-Duc, Het Noordbrabants Museum, prêt longue durée de la cathédrale basilique Saint-Jean de Bois-le-Duc.

Ce fou joue de la cornemuse, instrument emblématique du fou médiéval, qui est comme une outre pleine de vent. Il était placé à califourchon sur un des arcs contrebutant la nef de la cathédrale de Bois-le-Duc, avec 95 autres sculptures, créant un univers bien étrange au-dessus de cette église. Avec son bonnet et sa cornemuse, ce fou perché sur une église nous introduit au mélange entre profane et sacré qui caractérise le Moyen Âge.


Aux marges du monde, MONSTRES et MARGINALIA

Scénographie

Ce prologue introduit le visiteur au monde des marges et de la marginalité. Dans la seconde moitié du 13e siècle, des créatures étranges, hybrides, grotesques, connues sous le nom de marginalia, se multiplient dans les marges des manuscrits, en regard des textes sacrés ou profanes. Issues du monde des fables, des proverbes ou de l'imaginaire, ces petites figures dansant dans les marges latérales ou inférieures semblent jouer avec l'espace de la page et du texte, s’accrochant aux rinceaux végétaux ou se nichant dans les initiales décorées. Souvent comiques, parodiques, parfois scatologiques ou érotiques, elles semblent être là pour amuser le lecteur, en contrepoint du caractère sérieux  du texte qu'elles accompagnent.

Mais peu à peu, ces créatures, qui paraissent remettre en cause l'ordre de la Création du monde, sortent des manuscrits pour envahir tout l’espace, du sol au plafond, en passant par le mobilier et les murs. Comme elles, la figure du fou, d’abord en marge de la société, va envahir tout l'espace visuel des femmes et des hommes aux derniers siècles du Moyen Âge (14e-15e siècles).

 
Texte du panneau didactique.
 
Artiste anonyme. Début du livre de Tobie. Bible latine. Angleterre, vers 1300-1325. Enluminure sur parchemin. Parchemin, encre, pigments. Paris. Bibliothèque de l'Institut de France.

Les marginalia (littéralement: «ce qui est aux marges») sont de petites figures qui, à la fin du 13e siècle, envahissent les marges des manuscrits comme ici dans cette Bible ou ce bréviaire (livre regroupant les offices pour tous les jours fêtés dans le calendrier chrétien). Ce sont de petits personnages, ou des animaux et, le plus souvent, des créatures hybrides, mi-humaines mi-animales ou composition de plusieurs animaux: tels ce chevalier-poisson à serres d'oiseau, ou ce grylle, figure monstrueuse, à deux têtes. La fascination pour l'univers désordonné des marges s'est développée rapidement en Angleterre, dans le nord de la France et l'actuelle Belgique, donnant lieu à de remarquables créations, à la mode dans tout l'Occident chrétien.
 
Artiste anonyme. L'Evêque de la mer. Dalle de pavement provenant de l'ancienne cathédrale Notre-Dame de Thérouanne. Nord de la France, vers 1250-1275. Pierre (calcaire, oolithique, dit pierre de Marquise). Saint-Omer, Musée Sandelin.

 
Homme chevauchant une licorne. Dalle de pavement provenant de l'ancienne collégiale Notre-Dame de Saint-Omer. Nord de la France, première moitié du 13e siècle. Pierre (calcaire, oolithique, dit pierre de Marquise). Saint-Omer, Musée Sandelin.

Ces deux dalles étaient à l'origine incrustées de résines colorées faisant ressortir leur décor. Le pavement, avec ses quelques 180 motifs recensés, compose un monde extraordinairement vivant d'animaux réels, d'hybrides (sirène, sphinx, centaure, hippogriffe...) et de motifs végétaux. Ces animaux et ces hybrides mettent en image le merveilleux de la diversité de la création à la manière des marginalia des manuscrits.
Scénographie
 
Artiste anonyme. Miséricordes de stalle: Deux personnages chargeant un chariot avec des gerbes de blé. East Anglia ? (Angleterre), fin du 14e siècle. Bois (chêne). Londres, Victoria and Albert Museum.

Les miséricordes sont des sortes de strapontins sur lesquels les chanoines pouvaient s'appuyer tout en restant debout pendant les longs offices. Dans la mesure où les clercs posaient leur postérieur sur ces miséricordes, la dimension souvent parodique de leur décor prend une force supplémentaire. Le décor de ces trois miséricordes oppose, au centre, des scènes de travaux des champs, le temps de la moisson, et des figures latérales empruntées au monde des monstres.
 
Cartel destiné au jeune public.

 
Artiste anonyme. Panneau composite. France, vers 1320-1 330 et 15e siècle (médaillon central). Vitrail en verre, grisaille, jaune d'argent. Paris, Musée de Cluny - Musée national du Moyen Âge.

Ce panneau est formé d'éléments composites remontés en «patchwork». Dans la partie haute, des créatures hybrides se détachent sur un fond sombre. Ces créatures marginales sont proches de celles peintes par Jean Pucelle dans les Heures de Jeanne d'Évreux (1324-1328): homme à deux têtes pour l'une, sorte de centaure pour l'autre. La troisième est une chimère: créature folle, de ses pattes avant elle actionne un soufflet (follis en latin), symbole des fous, et semble en aspirer le souffle.
 
Artiste anonyme. Créature hybride. Normandie (France)? ou Angleterre, York? Vers 1320-1340. Vitrail en verre blanc, jaune d'argent et grisaille. New York, The Metropolitan Museum of Art, The Cloisters Collection.



Au commencement : le FOU et DIEU

Scénographie

Dans un monde médiéval profondément religieux, la figure du fou est vue au départ comme l'incarnation de ceux qui refusent Dieu. Les artistes représentent souvent ce fou dans les enluminures, ces peintures qui ornent les manuscrits, en particulier dans l'initiale « D » du psaume 52. Celui-ci commence par la phrase « Dixit insipiens in corde suo  non est Deus » (« L'insensé a dit en son cœur: il n'y a pas de Dieu »).

L'initiale « D » qui ouvre ce psaume montre donc très souvent la figure du fou qui refuse Dieu, avec des attributs de plus en plus codifiés: habits déchirés ou nudité complète, auxquels se substituent à la fin du Moyen Âge des vêtements bigarrés: massue qui devient peu à peu une marotte, sorte de sceptre dérisoire; pain ou fromage tenu dans la main. D’autres passages de la Bible condamnent la folie, comme la parabole des vierges sages et des vierges folles dans l'Évangile selon saint Matthieu.

Au contraire, la folie peut être exaltée comme une approche de Dieu et le fou considéré comme un modèle de sainteté.

 
Texte du panneau didactique.
 
Jacquemart de Hesdin. Psautier de Jean de France, duc de Berry : illustration du psaume 52, l’insensé, détail. Paris ou Bourges, vers 1386. Enluminure sur parchemin. H. 250 mm ; l. 190 mm ; Ép. 80 mm (manuscrit fermé). Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Manuscrits, Français 13091, fol. 106. © Bibliothèque nationale de France.

 
Artiste anonyme. Bas-relief: Portement de croix. Rhin moyen (Allemagne), vers 1420-1440. Albâtre. Berlin, Staatliche Museen zu Berlin, Skulpturensammlung und Museum für Byzantinische Kunst.

Dans les représentations de la Passion, les spectateurs sont parfois montrés avec des traits caricaturaux. En haut à droite, un enfant porte un chapeau caractéristique des Juifs qui, au Moyen Âge, sont accusés d’être complices des souffrances du Christ. Certains sont même dépeints comme des déficients physiques ou mentaux. Ici, on voit un homme aux cheveux hirsutes et un autre au crâne rasé, ce qui, dans les deux cas, est signe à l’époque de déséquilibre ou d'infamie.
 
Artiste anonyme. Le Christ devant Pilate. Livre d'heures. Winchester (Angleterre)? Vers 1490. Enluminure sur parchemin.  New York, The Morgan Library & Museum.

Au cours de la Passion, le Christ est amené devant Pilate, gouverneur romain de la Judée au 1er siècle, pour être jugé. Le soldat de gauche est vêtu d'un costume très proche de celui stéréotypé du fou à la fin du Moyen Âge: habit bariolé et capuchon à pointes, mais dépourvu de grelots. Il est aussi doté d'un nez crochu, un des traits qui caricaturent les Juifs à l'époque. Dans le contexte antisémite de la période, on associe les Juifs à l’image des bourreaux.


Vierges folles et figures d'exclus

Scénographie

Les illustrations du psaume 52 témoignent de l'importance du Livre des psaumes et de l'Ancien Testament en général dans la culture écrite et visuelle du Moyen Âge. Mais l’autre partie de la Bible, le Nouveau Testament, est une source essentielle de l’art de cette période. La parabole des vierges sages et des vierges folles développe l'idée que l’insouciance et la paresse conduisent à l’oubli de Dieu. La sculpture de l’art gothique en Allemagne propose des interprétations monumentales de ce thème.

Quant au cycle de la Passion du Christ, qui raconte son supplice et sa mort, les images entremêlent parfois la figure du fou et celle des Juifs. Différentes représentations sont confrontées ici, qui montrent des visages fortement expressifs, voire caricaturaux, dans un contexte d’antisémitisme croissant aux 14e et 15e siècles.

 
Texte du panneau didactique.
 
Erhard Küng (actif à partir de 1458, mort après 1506). Statue de Vierge folle. Provenant du portail principal de la collégiale Saint-Vincent de Berne. Berne (Suisse), vers 11450-1475. Pierre (grès). Berne, Bernisches Historischen Museum.

Dans la parabole des Vierges sages et des Vierges folles, les premières, qui attendent l'époux, tiennent leurs lampes droites et allumées. Au contraire, les secondes, concentrées sur leur parure, laissent s'éteindre la lumière. Quand le fiancé arrive, elles ne sont plus capables de le voir et ne peuvent entrer dans la salle de noces. La statue de Berne montre à la fois la coquetterie de la Vierge, qui porte un vêtement avec de grandes manches décorées, et le désespoir exprimé par son geste et son visage.
 
Atelier de l'Œuvre Notre-Dame. Le Tentateur. Moulage d’après une statue d'ébrasement de la cathédrale de Strasbourg. Strasbourg (France), 1923, d’après une œuvre originale en grès de la fin du 13e siècle. Plâtre. Paris, Cité de l'architecture et du patrimoine - Musée des Monuments français.

 
Atelier de l'Œuvre Notre-Dame. Une Vierge folle. Moulage d’après une statue d'ébrasement de la cathédrale de Strasbourg. Strasbourg (France), 1923, d'après une œuvre originale en grès de la fin du 13e siècle. Plâtre. Paris, Cité de l'architecture et du patrimoine - Musée des Monuments français.

Les statues Le Tentateur et Une Vierge folle illustrent une interprétation médiévale de la parabole des Vierges sages et des Vierges folles. Dans l'Évangile selon saint Matthieu, le Christ raconte cette histoire dans laquelle les premières incarnent la vigilance et les secondes la négligence. Cependant, il ne mentionne pas le Tentateur. Sur le portail de la cathédrale de Strasbourg, celui-ci séduit les Vierges folles par son élégance, leur faisant oublier Dieu, tandis que le Christ introduit les Vierges sages au paradis.


Folie du christiannisme : saint François, le jongleur de Dieu

Scénographie

Dans les écrits de saint Paul, au 1er siècle, il est dit que ce qui est folie aux yeux des hommes est sagesse aux yeux de Dieu. Quelques hommes exceptionnels mettent réellement en pratique cette inversion des valeurs, comme saint François d'Assise au début du 13e siècle. Ce dernier rompt avec le milieu dans lequel il est né, la riche bourgeoisie italienne, et celui auquel il aspire, la brillante aristocratie qui cherche l'aventure chevaleresque. Il abandonne sa famille, parle aux oiseaux, s'habille comme un mendiant et finit par recevoir les marques de la souffrance du Christ, les stigmates, dans son propre corps. C'est pourquoi, dès son époque, on le qualifie de jongleur de Dieu, voire de «fou de Dieu».

 
Texte du panneau didactique.
 
Troisième maître d'Anagni (actif vers 1231-1255). Saint François d'Assise. Latium (Italie), vers 1230-1250. Paris, musée du Louvre, département des Peintures. Détrempe et feuille d'or sur panneau.

Ce tableau est l'une des toutes premières représentations de François d'Assise, sans doute peinte très peu de temps après sa mort en 1226 et sa canonisation en 1228. Il a peut-être été exécuté à la demande de Grégoire IX (pape de 1227 à 1241) qui l'avait bien connu et soutenu. C'est une des plus anciennes images qui montrent les stigmates de François: il s'agit des marques de la Passion, lors de la crucifixion du Christ, reproduites sur le corps du saint aux mains, aux pieds et à la poitrine.
 
Artiste anonyme. La Stigmatisation de saint François. Reliquaire quadrilobé (réceptacle contenant les reliques d'un saint). Limoges (France), vers 1250-1270. Cuivre champlevé, émaillé, gravé et doré, émaux, cabochons de cristal et de verre, perles de turquoise. Paris, musée du Louvre, département des Objets d'art.

Saint François, retiré dans la solitude d’une montagne, cherche à s'identifier au Christ jusque dans sa Passion. Un séraphin (un ange à six ailes) lui apparaît et imprime dans son corps les marques du supplice du Christ. Les représentations de cet épisode sont devenues plus courantes à partir du milieu du 13e siècle. Cette scène a été notamment répandue par les émaux limousins, une production artistique diffusée dans toute l’Europe.
 
Psautier-livre d’heures : Noémi et Élimélek partant de Bethléem avec leurs enfants ; saint François prêchant aux oiseaux, détail. Amiens, fin du XIIIe siècle. Enluminure sur parchemin, H. 182 mm ; l. 134 mm. New York, The Morgan Library & Museum. Purchased in 1927. © The Morgan Museum and Library.



Le FOU et l'AMOUR

Scénographie

Au 13e siècle, le fou est inextricablement lié à l'amour, à sa mesure ou à sa démesure, sur le plan spirituel, mais aussi terrestre. Ainsi, le thème de la folie de l'amour hante les romans de chevalerie et leurs nombreuses représentations. La folie de l'amour atteint jeunes et vieux. La scène du philosophe Aristote chevauché, donc ridiculisé, par Phyllis est fort en vogue à partir de la fin du 14e siècle. Elle montre avec humour le pouvoir des femmes sur les hommes, renversant ainsi l'ordre habituel.

Humour et satire s'emparent du thème de l’amour: bientôt, un personnage s'immisce entre l'amant et sa dame, celui du fou, qui raille les valeurs courtoises de l'aristocratie et met l'accent sur le caractère lubrique, voire obscène, de l'amour humain. Sa simple présence suffit à symboliser la luxure, qui se déploie partout, dans les maisons publiques, les bains (ou étuves) ou ailleurs. Tantôt acteur, tantôt commentateur de cette folie, le fou met en garde ceux qui se laissent aller à la débauche: la mort les guette, mort qui entraînera le fou lui-même dans sa danse macabre...

 
Texte du panneau didactique.
 
Attribué au Maître G. F., (actif en Alsace). Plaque de poêle représentant Aristote et Phyllis. Kandern, (Forêt-Noire, Allemagne), 1519. Fer coulé. Bâle, Musée historique de Bâle.

À la fin du Moyen Âge et pendant la première moitié du 16e siècle, le thème satirique d'Aristote et Phyllis connaît un grand succès et envahit le décor des intérieurs fortunés, comme sur ces luxueux poêles considérés comme une marque de prestige dans les intérieurs de la haute bourgeoisie du monde germanique. Le pouvoir de la maîtresse de maison se matérialise ici très visiblement avec le fouet que brandit Phyllis.


Amour courtois et folie

Scénographie

La passion amoureuse est une forme de folie qui dépossède l'homme. Les grands romans du Moyen Âge l'expriment par les épisodes de folie que traversent tous leurs héros: folie réelle, tel Lancelot, ou feinte, tel Tristan revenant déguisé en fou à la cour du roi Marc. De précieux coffrets d'ivoire illustrent les épisodes clés de ces amours fous ou de la folie de l'amour sous ces différentes facettes.

À partir du 15e siècle, nombreuses sont les œuvres tournant en dérision le philosophe antique Aristote aveuglé par son amour pour la belle Phyllis, la maîtresse d'Alexandre le Grand (356-328 avant Jésus-Christ): le pouvoir des femmes est en marche.

 
Texte du panneau didactique.
 
Maître MZ, Matthäus Zasinger? (actif entre 1500 et 1503). Aristote et Phyllis. Munich (Allemagne)? Vers 1500. Burin. Paris, musée du Louvre, département des Arts graphiques, collection Edmond de Rothschild.

Grâce à la gravure, le thème d’Aristote et Phyllis s’est beaucoup diffusé dans le monde germanique, surtout au 16e siècle.  Ici, le maître MZ n'hésite pas à accentuer le côté caricatural de la scène: le philosophe Aristote, transformé en bête de somme, semble implorer la pitié de la belle Phyllis, qui le fouette avec énergie
 
Aquamanile: Aristote et Phyllis. Pays-Bas du Sud, vers 1380. Alliage cuivreux, H. 32,4 cm ; L. 39,3 cm ; P. 17,8 cm. New York, The Metropolitan Museum of Art, The Robert Lehman Collection. © The Metropolitan Museum of Art.

L'aquamanile est un récipient contenant l'eau destinée au lavage des mains, dans le contexte des règles de l'hospitalité durant les banquets. Ce bel objet, destiné à une table luxueuse, met en scène avec beaucoup d'humour le thème du philosophe Aristote ridiculisé par la belle Phyllis. Empoignant d'une main ferme la chevelure du pauvre vieillard, Phyllis semble de l'autre donner une tape sur le postérieur de sa monture, affirmant avec autorité le pouvoir des femmes.
 
Cartel destiné au jeune public.

Coffret composite. Paris, vers 1300-1320. Ivoire d’éléphant, H. 9,7 cm ; L. 25,7 cm ; P. 16,7 cm.
Paris, musée de Cluny – musée national du Moyen Âge. © RMN-Grand Palais (musée de Cluny - musée national du Moyen Âge) / Michel Urtado.

Ce précieux coffret est appelé « composite » car il juxtapose les scènes les plus célèbres de romans chevaleresques ou d’autres sources. Tandis que le couvercle montre «L'Attaque du château d'Amour», les autres faces évoquent la folie de l’amour dans toutes ses composantes, et l’opposent à la sagesse du roi Salomon, figuré sur la face avant. Sur le petit côté gauche, on voit Tristan arriver déguisé en fou à la cour du roi Marc. Méconnaissable, il a revêtu l'apparence de l’insensé: il a rasé sa belle chevelure, il tient la massue qui lui sert à se défendre et un grelot pend à son capuchon.


Le fou, symbole de la luxure

Scénographie

Au Moyen Âge, dans les romans de chevalerie et dans la poésie, le jardin est le lieu par excellence de la rencontre des amants. Avec la naissance et la diffusion de la gravure au 15e siècle, un nouveau personnage s'introduit dans le jardin d'amour : le fou, qui, par sa figure grinçante et ses gestes souvent obscènes, réduit l'amour à la Luxure. Personnage lubrique, il en devient le symbole. Les gravures servent de modèles à tous types de supports: orfèvrerie, vitrail, ou objets de la vie quotidienne sont envahis par ce fou sarcastique. Il se fait aussi moralisateur quand il dénonce la luxure des vieillards qui se laissent enjôler par de jeunes femmes intéressées par leur argent, tout autant que celle des jeunes gens qui se laissent aller à la débauche dans les bains ou maisons publiques.

 
Texte du panneau didactique.
 
Maître E. S. (actif entre 1450 et 1467). Le Grand Jardin d'amour. Rhin supérieur, vers 1465-1467.  Gravure sur cuivre. Paris, musée du Louvre, département des Arts graphiques, collection Edmond de Rothschild.

Derrière la palissade de ce jardin, le monde chevaleresque bascule. Parmi les quatre jeunes gens attablés, le premier de ces couples, en partant de la gauche, respecte les règles de la courtoisie: la jeune fille esquisse un geste de refus devant le gobelet de vin que lui tend son compagnon. «Boire le vin» ou «boire le vin frais» est dans les pays germaniques et néerlandophones une expression populaire pour «faire l'amour». L'autre couple se laisse aller à la débauche. Le couple debout au premier plan est insolite: une maîtresse femme soulève la robe du fou pour montrer son sexe, tandis que le fou rit bêtement.
 
Artiste anonyme. Le Fils prodigue chez les courtisanes. Anvers (Belgique), vers 1550. Chêne, polychromie, socle moderne en tilleul. Amsterdam, Rijksmuseum, acquis avec le soutien de la Stichting tot Bervordering van de Belangen van het Rijksmuseum.

La parabole du fils prodigue est l’une des plus connues de la Bible. Un jeune homme réclame sa part d’héritage avant l'heure, part dilapider son bien dans une vie de débauche, sombre dans la misère et revient enfin chez son père, qui célèbre son retour par une grande fête. L'histoire symbolise le pécheur qui s’est égaré mais finit par recevoir le pardon du père divin. Ce groupe sculpté montre la vie dissolue du fils prodigue. Le fou y symbolise la Luxure.
 
Maître aux Banderoles (actif entre 1475 et 1500). La Fontaine de Jouvence. Belgique ou Pays-Bas. Burin. Paris, musée du Louvre, département des Arts graphiques, collection Edmond de Rothschild.

Le thème de la fontaine de Jouvence, apparu dans le Roman d'Alexandre (vers 1160-1180), a connu un grand succès et a été rapidement intégré dans le vocabulaire de l'iconographie courtoise. Le Maître aux Banderoles revisite ce thème sur un ton ouvertement satirique. Il fait du fou, présent dans l’angle supérieur droit, le spectateur désabusé d’une humanité menée par l'appât du sexe et de l'argent, bien éloignée du monde merveilleux du Roman d'Alexandre.
Scénographie
 
Atelier de Veit Hirschvogel l'Ancien (1461-1525). Rondel: quadrilobe avec des scènes courtoises. Nuremberg (Allemagne), vers 1510. Vitrail. Berlin, Staatliche Museen zu Berlin, Kunstgewerbemuseum.

 
Artiste anonyme. Couple: un fou et une vieille femme. Porte-serviette? Cheshire (Angleterre)? Vers 1500-1525. Chêne polychromé. Londres, Victoria and Albert Museum.

Ce couple d’amoureux est formé d’un fou et d'une vieille femme au visage grotesque. La vieille aux traits masculins tient fermement son soupirant par le menton, tandis que celui-ci caresse son sein dénudé. En l'absence d’une partie des bras des personnages, la fonction de l’objet reste indéterminée: porte-serviette, décor d'un édifice, d’un char de carnaval ou de théâtre (avec les allégories de la Luxure et de l’Avarice)?
 
Maître E. S. (actif entre 1450 et 1467). Le Fou et la femme à l'écusson. Rhin supérieur, vers 1465. Gravure sur cuivre au burin. Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Estampes et de la photographie.

 
Maître E.S. Le Fou et la femme nue au miroir. Rhin supérieur, vers 1465. Gravures sur cuivre au burin, H. 148 mm ; l. 108 mm (feuille). Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Estampes et de la photographie. © Bibliothèque nationale de France.

Scénographie
 
Arnt van Tricht. Porte-serviette : Fou enlaçant une femme. Rhin moyen, vers 1535. Chêne polychromé, H. 44,3 cm ; L. 46,8 cm ; P. 30 cm. Clèves, Museum Kurhaus Kleve – Ewald Mataré-Sammlung. © Museum Koekkoek Haus Kleve, Photo A.Gossens.

Selon certains, ce porte-serviette ornait certainement un riche intérieur où il délivrait en permanence un message moral à la maîtresse de maison: gare à celle qui sort du droit chemin tracé par les vertus domestiques, la folie s'empare d'elle aussitôt. Et si plutôt ce porte-serviettes était destiné à une maison de plaisir? Il affirmerait, sous forme humoristique, le pouvoir de séduction de la femme sur le pauvre fou qu'est l'homme. Lorsqu'elle paraît, c'est toujours la même musique qui le fait danser, semblent dire les deux fous perchés sur leurs épaules.
 
Maître du Fils prodigue (actif vers 1530-1580). Le Vieillard amoureux. Anvers (Belgique). Huile sur bois. Douai, musée de la Chartreuse.

Ce tableau illustre le sujet du couple mal assorti un thème fréquemment représenté à la fin du Moyen Âge. Ici, le vieil homme se laisse enjôler par la belle, qui en veut à son argent. Le fou, à droite, sert de commentateur de la scène. Son capuchon à tête de coq dressée en souligne le caractère sexuel et la banderole qui se déroule derrière son visage en dessine la pesante moralité: «On voit ici que plus on est vieux, plus on est bête».
 
Lucas de Leyde (vers 1494-1533). La Tireuse de cartes. Leyde (Pays-Bas), avant 1510. Chêne. Paris, musée du Louvre, département des Peintures.
 
La Collation. Tournai (?), vers 1520. Tapisserie, laine et soie, H. 325 cm ; l. 458 cm. Paris, musée de Cluny – musée national du Moyen Âge. © Grand Palais Rmn (musée de Cluny - musée national du Moyen Âge) / Michel Urtado.

Scénographie
 
D'après Hans Sebald Beham (1500-1550)? Femme et Fou, ou la Volupté. Nuremberg (Allemagne), tirage 1808-1816 d'après le bloc réalisé vers 1530. Gravure sur bois. Berlin, Staatliche Museen zu Berlin.

La gravure figure un bouffon rendu fou d'amour par une femme portant pour tout vêtement le grand chapeau décoré de plumes d’une riche et élégante courtisane - sans doute une allégorie de la Volupté, voire Vénus en personne. Celle-ci tient d’une main un coucou, qui est au 16e siècle le symbole d’un homme sous la coupe d’une courtisane. De l’autre elle tient une tétine pour nourrissons: le fou est retombé en enfance sous les attraits de la Volupté.
 
Artiste anonyme. D'après Hans Sebald Beham (1500-1550)? Femme et Fou, ou la Volupté. Nuremberg (Allemagne), vers 1535. Laiton. Berlin, Staatliche Museen zu Berlin.

 
Artiste anonyme. L'Enfant prodigue chez les courtisanes. Flandre (France ou Belgique), vers 1545. Huile sur bois. Paris, Musée Carnavalet - Histoire de Paris.

 
Auteur du carton et lissier anonymes. Le Fils prodigue. France, vers 1560-1570. Tapisserie en laine et soie. Paris, Musée des Arts décoratifs.



Le fou, l'Amour et la Mort

Scénographie

Entre Éros (l'Amour) et Thanatos (la Mort), la figure du fou se glisse pour dénoncer la vanité de l'amour charnel, voué à la mort. C'est déjà le thème des Vanités, qui figurent la fugacité de la vie humaine, souvent par le biais d'une tête de mort. Mais ce fou moraliste est pris à son propre jeu : les danses macabres, ces peintures fréquentes à la fin du Moyen Âge dans les cimetières où les églises, intègrent le fou dans leur figuration de toute la société. C'est la Mort qui mène la danse et entraîne à sa suite pape et empereur, cardinal et roi, jusqu'au fou et au colporteur, ce dernier incarnant l'âme humaine dans son vagabondage terrestre.

 
Texte du panneau didactique.
 
Pieter Coecke van Aelst (1502-1550). Amants surpris par un fou et la Mort. Anvers (Belgique), vers 1525-1530. Huile sur toile. Collection particulière.

 
Vanité: femme et squelette. France (Paris), vers 1520. Ivoire, H. 28 cm ; l. 9,1 cm ; P. 7,9 cm.
Berlin, Staatliche Museen zu Berlin, Skulpturensammlung und Museum für Byzantinische Kunst. © BPK, Berlin, dist. GrandPalaisRmn, Antje Voigt.

Cette statuette illustre le thème de la vanité des plaisirs du monde: une belle jeune femme presque nue (Vénus ?), dévoile son sexe. À ses pieds, un fou semble l'apostropher. Sa marotte dressée et la bourse placée entre ses jambes sont autant de symboles explicites du caractère sexuel de la représentation. À côté de lui, un singe, symbole de luxure, vient redoubler cette signification. Mais au revers de la statuette, cette Vénus n'est déjà plus qu'un squelette...
 
Johann Rudolf Feyerabend (1779-1814). Copie de la Danse macabre de Bâle. Suisse, 1806. Aquarelle. Bâle, Musée historique de Bâle.

La grande Danse macabre de Bâle fut exécutée sur un mur du cimetière des Dominicains, peu après un retour de peste en 1439: elle s'étendait sur 60 mètres. Johann Rudolf Feyerabend en a fait une copie d'après des relevés anciens, peu après que le conseil municipal l'avait fait détruire (1805). La Mort, portant elle-même un habit de bouffon, entraîne le fou dans sa danse, tandis que le fou la suit en baissant tristement sa marotte.
 
Cartel destiné au jeune public.


Le FOU à la COUR

Scénographie

La tradition biblique exalte la sagesse du roi Salomon. Au Moyen Âge, on a imaginé qu'il avait à sa cour un fou nommé  Marcolf dont les réparties étaient célèbres. Suivant ce modèle, rois et princes ont à leur cour des fous et des folles destinés à les divertir. À partir du 14e siècle au moins, le fou de cour, antithèse de la sagesse royale, s'institutionnalise et la parole ironique ou critique de ce personnage réel est acceptée.

Selon la terminologie de l'époque, certains étaient des «fous naturels», c'est-à-dire des simples d'esprit (ou des infirmes), d’autres étaient des «fous artificiels», c'est-à-dire des bouffons pleins d'esprit. Ils étaient dotés d'un surnom, comme Coquinet à la cour des ducs de Bourgogne. Certains sont passés à la postérité, inspirant la littérature jusqu'au 19e siècle, tels Triboulet en France, Will Somers en Angleterre et Kunz von der Rosen en Allemagne. Ironie du sort, parfois, c'est aussi le roi qui est fou.

Quoique les folles aient aussi été présentes dans les cours, elles semblent avoir été moins fréquemment représentées.

 
Texte du panneau didactique.
 
Artiste anonyme. Une fête champêtre à la cour de Bourgogne. Anvers (Belgique), vers 1550? D'après un original du début du 15e siècle. Peinture sur toile contrecollée sur bois. Versailles, Musée national des châteaux de Versailles et de Trianon.

Dans cette peinture d'une fête champêtre à la cour de Bourgogne, un personnage détonne au milieu de l'élégante assemblée vêtue de blanc et d'or: le fou en robe rouge. On reconnaît la silhouette de Coquinet, «le sot du bon duc Philippe de Bourgogne», portraituré dans le Recueil d'Arras exposé à côté. Sa silhouette a été ajoutée sur une composition plus ancienne.
 
Maître FVB, Frans van Brugge? (actif entre 1475 et 1500). Le Jugement de Salomon. Flandre, actif à Bruges (Belgique)? Vers 1475-1485. Burin. Paris, musée du Louvre, département des Arts graphiques, collection Edmond de Rothschild.

 
Artiste anonyme. Auguste et la sibylle de Tibur avec Frémin Le Clercq accompagné d'un fou et d’une folle. Pays-Bas? Vers 1548. Bois (chêne). Arras, musée des Beaux-Arts.

Un bourgeois d'Arras, Frémin Leclercq, encadré par un fou et une folle, assiste à la vision de la Sibylle de Tibur prédisant à l'empereur romain Auguste (27 avant Jésus Christ - 14 après Jésus-Christ) la venue du Sauveur sous la forme de la Vierge et l'Enfant Jésus apparaissant dans le ciel. Cette scène symbolise peut être l'allégeance de Frémin Leclercq à Charles Quint (empereur de 1520 à 1558), qui règne depuis peu sur la ville d'Arras.
Scénographie
 
Francesco Laurana ou Pietro di Martino da Milano (?). Triboulet, bouffon de René d’Anjou. France (Barrois, Anjou ou Provence ?), vers 1461-1466. Marbre, H. 26,7 cm ; l. 20,6 cm ; P. 6,4 cm. Oberlin (Ohio), Allen Memorial Art Museum, Oberlin College. © Allen Memorial Art Museum, Oberlin College, Ohio, USA / Bridgeman Images.

Pour portraiturer son fou Triboulet, René d'Anjou (1409-1480) fait appel à un grand sculpteur italien travaillant à sa cour: Francesco Laurana ou son maître, Pietro da Milano. Le sculpteur a taillé dans le marbre une effigie pleine de vie, où le bouffon apparaît presque aussi glorieux qu'un empereur romain.
 
Konrad Seusonhofer. Armet à visage de fou d’Henri VIII d’Angleterre. Innsbruck, vers 1511-1514. Fer forgé, repoussé et gravé à l’acide, laiton, dorure, H. 35 cm; L. 49,5 cm; P. 37 cm; poids 2,89 kg. Leeds, Royal Armouries. © Royal Armouries Museum.

Scénographie
 
Artiste anonyme. Portrait d’un fou à la cour de Maximilien Ier (?), vers 1515-1520.  Huile sur bois, H. 30,6 cm ; l. 21,9 cm. Anvers, The Phoebus Foundation. © The Phoebus Foundation.

Ce portrait semble être celui d’un des fous «naturels» de Maximilien ler (empereur de 1508 à 1519). On le reonnaît grâce à sa toque ornée de bijoux et d'une grande plume, au centre du char des fous «naturels» gravé par Hans Burgkmair et exposé dans cette salle. Il s’agit d'un certain Pock, ou de Hanns Wynnter. La lettre M sur sa toque indique probablement son lien familier avec l’empereur Maximilien.
 
Daniel Hopfer (vers 1470-1536). Portrait de Kunz von der Rosen. Augsbourg (Allemagne), vers 1515. Gravure à l'eau-forte, état II/IV. Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Estampes et de la Photographie.

Kunz von der Rosen est le fou le plus célèbre de l'empereur Maximilien Ier (règne de 1508 à 1519). Comme Triboulet, le fou de René d'Anjou (1409-1480), il accède à l'honneur du portrait en médaille, ainsi que des portraits gravés. Ces représentations le montrent en homme de cour, proche de l'empereur: c'est, selon la terminologie de l'époque, un fou «artificiel» et non un fou «naturel».
 
Hans Burgkmair (1473-1531). Le char des fous «artificiels» et le char des fous «naturels», 1517. Gravure sur bois.
Paris, musée du Louvre, département des Arts graphiques, collection Edmond de Rothschild.

L'empereur Maximilien Ier (règne de 1508 à 1519) fait exécuter par les meilleurs graveurs de son temps un grand cortège triomphal représentant les personnes les plus importantes de la vie à la cour. Deux de ces gravures figurent les fous de sa cour et distinguent, selon la terminologie de l'époque, les fous «artificiels» (ou bouffons) des fous «naturels» (ou infirmes). Les premiers (quatre fous et une folle), guidés par le fou Kunz von der Rosen montant un cheval empanaché, avancent sur un char tiré par des chevaux. Le second groupe, également composé de quatre fous et d’une folle, gesticule à bord d'une charrette rustique traînée par des mules.


Régner à la folie

Scénographie

À la cour, ce sont parfois les rois eux-mêmes qui sont atteints d'une véritable maladie mentale. Charles VI, dont le règne (1380-1422) est entravé par une succession de crises de folie (pudiquement appelées «absences» à l'époque), entraîne ainsi le royaume de France dans les heures les plus sombres de la guerre de Cent Ans.

C'est aussi le cas de Jeanne de Castille (1479-1555) qui, n'ayant pas supporté la mort subite et précoce de Philippe le Beau en 1506, époux qu'elle aimait passionnément, est enfermée jusqu'à la fin de ses jours, poussée vers la folie et privée de règne par son père Ferdinand Il d'Aragon et son fils Charles Quint. C'est de là que vient son surnom de Jeanne la Folle.

 
Texte du panneau didactique.
 
Juan de Flandes (documenté entre 1496 et 1519). Jeanne de Castille dite Jeanne la Folle. Vers 1496? Huile sur bois de chêne. Vienne, Kunsthistorisches Museum Vienna, Picture Gallery, Gemäldegalerie.

Jeanne de Castille (1479-1555) est la deuxième fille des Rois Catholiques d’Espagne Isabelle et Ferdinand. Elle épouse en 1496 l’archiduc Philippe le Beau et en tombe passionnément amoureuse. La mort subite de son époux en 1506 entraîne la reine dans des crises de démence. Son surnom de «Jeanne la Folle» vient de cet épisode dramatique. La reine a vécu enfermée dans le château royal de Tordesillas (Espagne) de 1509 jusqu'à sa mort en 1555.
 
D'après la gravure de Hans I Liefrinck (vers 1518-1573), d’après le dessin de Lambert van Noort  (vers 1520-1572). Nabuchodonosor mange de l'herbe parmi les vaches. Anvers (Belgique), vers 1560. Vitrail en verre blanc, grisaille et jaune d'argent. Amsterdam, achat avec le soutien du Fonds Ebus / Fonds Rijksmuseum.

 
Atelier de Velt Hirschvogel l'Ancien (1461-1525), d'après Hans Süss von Kulmbach (vers 1480-vers 1522). Rondel aux armes de l'Autriche et scènes de tournoi. Nuremberg (Allemagne), vers 1508. Vitrail en verre blanc, rouge et bleu, avec grisaille et jaune d'argent. Berlin, Staatliche Museen zu Berlin, Kunstgewerbemuseum.

Scénographie avec, de Leonhard Danner (1507 ?-1585): Banc d'orfèvre du prince-électeur Auguste Ier de Saxe (1526-1586).
Nuremberg (Allemagne), 1565. Bois marquetés, acier gravé à l'eau-forte et rehaussé de dorure.
Écouen, musée national de la Renaissance - Château d'Écouen

La fonction principale de ce banc d'orfèvre est le tréfilage (opération consistant à former des fils de métal). Commandée par le prince-électeur de Saxe Auguste Ier, gagné au protestantisme, c'est une des œuvres majeures de sa collection de merveilles (Kunstkammer). Sur une des faces, un tournoi imaginaire oppose des jouteurs catholiques et protestants. On y voit de droite à gauche l'arrivée des jouteurs, la défaite ridicule du catholique au centre, pour finir avec une procession de triomphe grotesque, où le champion vaincu est traîné dans une brouette tirée par deux religieuses fesses nues qu'un fou doit fouetter pour les faire avancer.
Illustration: Relevé du décor montrant tous les fous participant à ce tournoi imaginaire.
Leonhard Danner (1507 ?-1585): Banc d'orfèvre du prince-électeur Auguste Ier de Saxe (1526-1586) (détail; voir ci-dessus).
Carton attribué au Maître du Champion des dames (actif entre 1465 et 1475) à la cour de Bourgogne).
Le Bal des sauvages
. Tournai (Belgique) pour le tissage? Vers 1465. Tapisserie en laine et soie.
Saumur, Château-Musée de Saumur. Tapisserie classée au titre des monuments historiques par arrêté du 14 avril 1904.

Cette tapisserie au sujet mystérieux semble célébrer la rencontre de deux mondes: à gauche, le monde civilisé, avec son pavillon somptueux et ses hommes d'armes, à droite, la nature, peuplée d'animaux et d'hommes sauvages. Au centre, un fou enlace brutalement une femme sauvage. Vêtu de rouge et de jaune, il porte d'énormes grelots en guise de ceinture et son capuchon s'achève par une crête de coq, symbole phallique et expression d'un appétit sexuel immodéré. Ce fou incarnerait la Luxure tout comme le singe assis dans le paysage à droite.
Artiste anonyme. Le Châtiment de Nabuchodonosor. Début du 16e siècle. Tapisserie, trame en laine.
Langeais, Fondation Jacques Siegfried - Institut de France, Château de Langeais.

Cette tapisserie illustre l'épisode biblique du roi de Babylone Nabuchodonosor, qui, puni pour son orgueil, fut frappé de folie et, pendant sept ans, «mangea de l'herbe comme les bœufs [...] jusqu’à ce que ses cheveux crussent comme les plumes des aigles et ses ongles comme ceux des oiseaux» (Daniel 4, 33). À gauche, c'est l'illustration de sa folie, tandis que la partie droite de la tapisserie représente un épisode antérieur, où le roi raconte un rêve au prophète Daniel.


Le fou s'amuse : bals, tournois et jeux

Scénographie

Personnage réel, devenu en quelque sorte «institutionnel», le fou a sa place à la cour, parmi les divertissements et les jeux aristocratiques. Il commente ou parodie les tournois et les joutes, il assiste aux bals. Sa présence semble introduire une distance ironique par rapport à ces manifestations de la sociabilité aristocratique.

Ce fou subversif est tellement inscrit au cœur de la société de cour qu'il en devient un personnage de ses jeux: figure de pièces d'échec, il est aussi une figure de jeux de cartes, notamment des atouts du jeu de tarot, apparu au 15e siècle en Europe, et dont les premières cartes connues sont présentées ici. Sous cette forme, c'est l'ancêtre du joker de nos jeux de cartes.

 
Texte du panneau didactique.
 
Bonifacio Bembo et atelier (attribué à). Tarot dit Visconti-Sforza ou Colleoni: le Fou. Crémone, vers 1456-1458. Encre noire sur assiette d’or et peinture a tempera à l’oeuf, H. 175 mm ; l. 87 mm. New York, The Morgan Library & Museum, Purchased by J. Pierpont Morgan (1837-1913) in 1911. ©The Morgan Library & Museum.

Les premiers tarots connus, présentés ici, sont des jeux luxueux, produits par des ateliers italiens pour le compte de riches commanditaires dont ils portent aujourd'hui le nom. L'atout du Fou est figuré comme un homme vêtu de haillons couvrant à peine sa nudité. Il esquisse un sourire ou un rictus, peut-être provoqué par les sévices que lui infligent les enfants qui le bombardent de pierres ou le déshabillent. La folie, l’indécence et la bestialité sacrilèges sont un tribut à payer à la stabilité du jeu, comme de la société.
 
Artiste anonyme. Singe en bouffon (valet de la couleur «poire»). Carte du jeu dit des «cartes à jouer géantes». Tyrol (Autriche), vers 1580. Gouache et aquarelle sur papier. Innsbruck, Kunsthistorisches Museum Vienna, Kunstkammer / Schloss Ambras Innsbruck.

 
Artiste anonyme. Chanfrein de tournoi. Allemagne du Sud, probablement Nuremberg, vers 1510-1520. Fer forgé, repoussé, incisé et gravé à l'acide. Leeds, Royal Armouries.

Le décor montre un fou tirant derrière lui une charrette portant un luth. Au-dessus de lui, une banderole sur laquelle est écrit «EIN LAUTEN AUF EINEM KARS FIER DIE NAR» (Le fou tire un luth sur une charrette). Cette phrase fait probablement référence à un proverbe ou à un poème moralisateur. Le luth qu'il transporte derrière lui, instrument associé à la musique profane, est traditionnellement un symbole d'oisiveté et de vie légère.
Scénographie
Artiste anonyme. Jeu d'échecs. Allemagne du Sud, vers 1550. Buis (pièces blanches), bois d'arbre fruitier avec des restes de peinture noire sur un socle en cèdre (la plus grande tour noire), noyer (trois pions noirs), bois de cèdre (les autres pièces noires). Amsterdam, Rijksmuseum.

Ce jeu d'échecs presque complet semble figurer deux cours et leurs armées en miniature. Parmi les pièces noires, on reconnaît l'empereur Charles Quint avec son menton prognathe (le roi) et son épouse Isabelle de Portugal (la reine). Les fous y sont des bouffons de cour portant sur leur dos un singe ou un autre fou. Les pièces blanches représentent peut-être l’électeur luthérien Jean-Frédéric Ier de Saxe, son épouse Sibylle de Clèves et leur suite. En 1547, à la bataille de Mühlberg (Allemagne), l'électeur et ses alliés protestants avaient été écrasés par l’armée des Habsbourg commandée par Charles Quint en personne.
 
Cartel destiné au jeune public.

 
Jost Amman. Joute des compagnons des patriciens, le 3 mars 1561 à Nuremberg. Nuremberg (Allemagne), 1561. Gouache sur papier marouflé sur bois. Munich, Bayerisches Nationalmuseum.



Le FOU en VILLE

Scénographie

La figure du fou continue à se diffuser, passant du milieu clos de la cour à celui de la ville. À la fin du Moyen Âge, la silhouette caractéristique de ce personnage subversif se fixe dans ce cadre des fêtes urbaines, où il est omniprésent. Dans le calendrier liturgique chrétien médiéval, des temps spécifiques permettent de renverser l'ordre du monde lors de festivités débridées. Ainsi, pendant la fête des fous dans les églises, entre Noël et l'Épiphanie, les jeunes clercs prennent la place du haut clergé et parodient les offices.

Dans le monde laïc, le carnaval joue ce rôle: on s'y déguise, porte un masque, joue des pièces de théâtre, boit et festoie, avant le Carême. Enfin, lors des charivaris et des fêtes de confréries ont lieu de joyeux défilés et des farces où scatologie et grivoiserie ont libre cours. Rieur et bruyant, le fou mène la danse. Dans la foule, son costume bariolé et ses attributs le distinguent: marotte faisant office de sceptre et capuchon à oreilles d'âne et à crête de coq. Il envahit autant le décor urbain que les intérieurs, sur toutes sortes d'objets. Il passe à la postérité ainsi costumé, dans des portraits où il regarde le spectateur d'un air moqueur. Dans ce miroir tendu, qui est vraiment fou?

 
Texte du panneau didactique.
 
Marotte. France ou anciens Pays-Bas (?), seconde moitié du XVIe siècle. Buis, H. 43,5 cm ; L. 6 cm. Florence, Museo Nazionale del Bargello. © Museo nazionale del Bargello.

Scénographie
 
Vitrine

 
Vitrine

Suiveur de Jérôme Bosch (vers 1450-1516). Combat de Carnaval et Carême, vers 1540-1550. Huile sur bois.
Anvers, Musée Mayer van den Bergh.

Le changement radical des habitudes alimentaires est, pour la population médiévale, la marque la plus tangible du passage entre le Carnaval et le Carême, période de jeûne et d’abstinence. Ce thème est très fréquemment représenté sous la forme d’un combat entre un homme gras (Carnaval, ici à gauche) et une femme maigre (Carême, ici à droite) et leurs troupes pourvues de saucisses d'un côté, de poissons de l'autre.
 
Artiste anonyme. Bonnet dit de l'archevêque des Innocents, 13e siècle? Soie, baudruche, fils d'or et toile. Sens, Cathédrale Saint-Étienne, ministère de la Culture, DRAC Bourgogne-Franche-Comté, classé au titre des monuments historiques le 26 septembre 1903.

La tradition identifie ce bonnet avec la mitre dont on coiffait un jeune enfant lors de la fête des fous à Sens. Au seuil de la nouvelle année, l'inversion de la hiérarchie ecclésiastique permettait au bas clergé d'entrer en procession dans la cathédrale, en suivant ce petit archevêque monté sur un âne. Après cet office, la fête continuait sur la place de la cathédrale par des jeux et des danses.
 
Artiste anonyme. Trois panneaux de 36 carreaux de pavement. Aisne (France), vers 1500. Terre cuite avec décor à engobe rouge / marron sur fond jaune, glaçure. Commune de Vallées en Champagne, classement au titre des Monuments historiques.

Ces carreaux proviennent du chœur de l’église de La Chapelle-Monthodon (France). On y voit des danseurs de mauresque (dame, joueur de flûte et de tambour, danseurs) et des fous (déjà visibles sur les carreaux présentés derrière les sifflets). Dans un joyeux désordre, ils voisinent avec des symboles chrétiens (l'Agneau de Dieu) et des créatures fantastiques (monstres, centaure). Ce décor témoignait de manière pérenne du désordre permis le jour de la fête des fous, entre Noël et l'Épiphanie, et pendant le carnaval.
Scénographie
 
Artiste anonyme. Bâton de la compagnie de la Mère Folle de Dijon. Dijon (France), 1482? Bois polychromé. Dijon, musée de la Vie Bourguignonne.

Le pommeau du bâton de la Mère Folle de Dijon est formé d’un fou rieur coiffé d’un capuchon et tenant un flacon. Telle une poule, il couve un nid de trois petit fous, maintenu par un quatrième, un feuillage à la main. C'était l’insigne désignant le chef de la Mère folle, compagnie chargée d'organiser des festivités qui étaient à l’origine préparées par les chantres (clercs) de la chapelle ducale, lors de la fête des fous.
 
Artiste anonyme. Fou jouant de la cornemuse. Sud de l'Allemagne? Vers 1500. Bronze. Bâle, Musée historique de Bâle.

Comme les fous de la pièce de carnaval La Fonderie des fous, cette statuette de fou jouant de la cornemuse a été fondue à de multiples reprises, témoignant du succès de ce petit personnage au sourire grinçant.


De la marotte aux grelots :
Le fou, la musique et la danse

Scénographie

Depuis l'expansion formidable de la figure du fou à partir du 14e siècle, la représentation de ce dernier s'est codifiée. Ce personnage est devenu bien reconnaissable grâce à son costume bigarré (expression du désordre) et à ses attributs: la marotte - parodie de sceptre avec laquelle le fou peut  dialoguer -, les grelots de son costume et le bonnet à oreilles d'âne et crête de coq.

Bruyant, exubérant, le fou est souvent musicien dans les fêtes: il joue de la musette où cornemuse, d’autres instruments à vent où des castagnettes. Il se fait aussi acrobate ou danseur. À la cour, sa folie est contagieuse et s'exprime dans la danse de la mauresque, où les danseurs, dont le fou, se transforment en contorsionnistes pour obtenir le prix dispensé par la dame à conquérir.

 
Texte du panneau didactique.
 
Artiste anonyme. Éolipile : Fou jouant de la cornemuse. Sud de l'Allemagne, vers 1500. Bronze. New York, Courtesy of Anthony Blumka.

Cette statuette est probablement un exemple de ces rares engins à vapeur connus sous le nom d'éolipiles. Inventée dans l’Antiquité, cette machine est adaptée au Moyen Âge à un usage domestique sous le nom de «sufflator», c'est-à-dire soufflet. Comiques figures posées près du foyer de la cheminée, elles attisaient le feu grâce au jet de vapeur qui s'échappait d'elles. Percé de huit orifices, ce fou devait produire un effet spectaculaire lorsque les jets de vapeur fusaient (l’eau était contenue dans l’outre sur laquelle il est assis).
 
Vitrine

 
Valve de miroir : danseurs mauresques dans un jardin clos. Londres, 1856. ©The British Museum.

 
Artiste anonyme. Coffret: Danse mauresque (sur le couvercle). Flandre (Belgique ou France) ou Pays-Bas, vers 1435-1470. Os sur âme de bois, ébène et bois de citronnier, restes de polychromie. Paris, musée du Louvre, département des Objets d'art.

 
Artiste anonyme. Peigne : Danse mauresque. Belgique ou Nord de la France, vers 1500. Ivoire. Berlin, Staatliche Museen zu Berlin, Kunstgewerbemuseum.

La danse mauresque fait fureur au 15e siècle, à la cour comme à la ville, et ses danseurs aux costumes exotiques fournissent un motif décoratif très prisé dans les intérieurs, qu'il s'agisse du décor monumental ou d'objets précieux. Ces trois objets (avec les 2 précédents), en os et en ivoire, font partie des petits objets de luxe liés à un mode de vie raffiné.
Frans Hogenberg (né vers 1539/1540-1590). Danse des fous (STULTORUM CHOREA). Vers 1560-1570.
Gravure sur cuivre à l'eau-forte et au burin. Amsterdam, Rijksmuseum.

Avec la danse des folles (pas reproduite ici), ces deux gravures décrivent de manière symbolique, la folie des hommes et des femmes. Dans une arène, sous les yeux de deux sages accoudés dans des niches, quinze fous ou folles dansent en ronde autour du musicien qui se tient au centre. Une longue lettre gravée, en latin et en flamand, accompagne la représentation et décrit les fous et les folles, chacun d'entre eux étant associé à un défaut ou à un péché.
 
Maître de 1537. Portrait de fou regardant à travers ses doigts. Anciens Pays-Bas, vers 1548. Huile sur bois, H. 48,4 cm; l. 39,6 cm. Anvers, The Phoebus Foundation. © The Phoebus Foundation.

Le geste de ce fou qui nous regarde à travers ses doigts est la figuration d’une expression en allemand et en néerlandais signifiant: «fermer les yeux sur», surtout utilisée pour les maris trompés par leurs femmes. Mais il peut signifier plus généralement l’idée que de l'excès de tolérance découle la prolifération des péchés qui met le monde à l'envers. Qu'advient-il lorsque le fou choisit de «fermer les yeux» sur la folie de ses semblables?
 
Cornelis van Haarlem (1562-1638). Portrait du fou Pieter Cornelisz van der Morsch. Fin du 16e siècle. Huile sur bois. Amsterdam, Allard Pierson, Collections of the University of Amsterdam.

Pieter Cornelisz van der Morsch (1543-1628) est un personnage bien connu: c'était le bouffon du «cercle des rhétoriciens», la guilde des poètes de Leyde (Pays-Bas). Sa notoriété était telle que Frans Hals a aussi peint son portrait, en 1616, sans bonnet de fou, mais avec des attributs renvoyant clairement à son personnage de bouffon.
Scénographie
 
Maître de Francfort. La Fête des archers d’Anvers. Anvers, 1493. Huile sur bois, H. 176 cm ; l. 141 cm. Anvers, musée royal des Beaux-Arts Anvers – Communauté Flamande. © Collection KMSKA - Flemish Community.

Sans doute commandé par Peter de Gramme, riche bourgeois d'Anvers, le panneau représente la fête annuelle de l’une des guildes des archers, association de citoyens qui assurait la défense de la ville. Pourtant l’œuvre ne montre pas la partie sportive de la fête (un championnat de tir à l’arc). Le peintre se concentre sur un autre moment des festivités, les rencontres amoureuses des participants dans un jardin clos, animées au centre par une danse mauresque exécutée par deux fous et un musicien.
 
Marx Reichlich. Portrait d’un fou. Tyrol, vers 1519-1520. Tempera sur bois, H. 44,5 cm ; l. 33,7 cm. New Haven, Yale University Art Gallery, Bequest of Dr. Herbert and Monika Schaefer. © Yale University Art Gallery.

Le personnage, représenté en buste, porte un costume de bouffon particulièrement somptueux. Au centre de l’image se trouve un œuf cassé que le fou semble avoir en partie dévoré. Au début du 16e siècle, l’image des fous naissant d’un œuf est courante; ici, le fou, en consommant l'embryon du poussin, semble s'approprier l’origine de sa propre folie.
 
Danseurs de mauresque (ici : Le Magicien). Copies de Joseph Baumgartner, 1957-1958, d’après les originaux d’Erasmus Grasser (ici reproduits), vers 1480 (polychromie de 1928). Tilleul, H. 61,5 à 81,5 cm (selon les danseurs). Munich, Münchner Stadtmuseum. © Münchner Stadtmuseum, Sammlung Angewandte Kunst_photo G. Adler, E. Jank.

 
Josef Baumgartner (1901-1987), d'après Erasmus Grasser (vers 1450-1518). Danseur de mauresque (copie moderne): Le Paysan. Vers 1957-1958, d'après un original vers 1480. Munich, Münchner Stadtmuseum.

- Au centre: Attribué à Hanns Greiff (actif vers 1470-1516). Gobelet couvert. Ingolstadt (Allemagne), vers 1480-1490. Argent partiellement doré. New York, The Metropolitan Museum of Art.
- À gauche : Gallus Mader. Gobelet en forme de tête de fou (voir ci-dessous). Überlingen (Allemagne), vers 1570. Argent partiellement doré. Bern, Bernisches Historisches Museum, Depositum Gesellschaft zum Distelzwang.
- À droite : Artiste anonyme. Gobelet en forme de tête de fou. Probablement Bâle (Suisse), deuxième moitié du 16e siècle. Noix de coco, argent partiellement doré. Bâle, Musée historique de Bâle.
Les gobelets et les coupes en noix de coco étaient des objets de collection recherchés par la riche bourgeoisie et les princes. Ici, sur le couvercle, les trois trous naturels de la noix de coco ont été utilisés pour figurer le visage du fou. Le col est orné de trois médaillons représentant des têtes de fous. Une inscription moralisatrice court autour du couvercle: «Mon penchant pour l'alcool fort et le vin m'empêche d'être intelligent», c'est-à-dire, est fou celui qui boit sans modération.
 
Gallus Mader. Gobelet en forme de tête de fou. Überlingen, vers 1570. Argent, partiellement doré, H. 14,3 cm ; L. 14,8 cm ; P. 11,5 cm env. ; Pds 290,62 g. Berne, Bernisches Historisches Museum (Depositum Gesellschaft zum Distelzwang, Bern). © Musée d’Histoire de Berne.

Au 16e siècle, les gobelets drolatiques, aux formes amusantes, étaient extrêmement appréciés. Pour boire dans celui-ci, il suffit de le faire pivoter de 90° et de le poser sur ses grelots: la tête de fou se transforme alors en gobelet. Ce gobelet et celui de Bâle (ci-dessus à droite) portent les attributs types du fou: les oreilles d'âne rappellent sa stupidité et sa paresse, la crête de coq évoque sa lubricité, tandis que les grelots font écho à son bavardage.
 
Cartel destiné au jeune public.

 
Artiste anonyme. La Chanson des fous ou La Sérénade des fous. Belgique ou Pays-Bas ? Vers 1525-1550. Huile sur bois. Düsseldorf, Kunstpalast.

 
Barthélemy d’Eyck (1420-1470) et Enguerrand Quarton (vers 1410/1415-1466). La Vierge d’'Humilité, danseurs de mauresques dans les marges. Heures à l'usage de Rome. Provence (France), vers 1440-1450. Enluminures sur parchemin. New York, The Morgan Library & Museum, ouvert au feuillet 25 recto.

Ce magnifique livre d'heures appartenait probablement à René d'Anjou, le «bon roi René» (1409-1480). Dans les marges de ce feuillet, tourbillonnent des danseurs de mauresque: au centre de la marge droite, la dame exécute sa danse avec un voile tandis qu’en haut à gauche, le musicien joue des deux instruments spécifiques de la mauresque, la flûte et le tambour. Cette danse était très en vogue dans les cours du 15e siècle: elle a le prestige de l’exotisme, puisque censée venir des Maures d'Espagne.


Le FOU PARTOUT

Scénographie

Autour de 1500, la figure du fou est devenue omniprésente dans la société et la culture européennes. Y contribue le succès de deux ouvrages, très différents mais complémentaires, La Nef des fous de Sébastien Brant (1458-1521), puis L'Éloge de la folie d'Érasme (vers 1467-1536). En 1494, le premier raconte un voyage imaginaire au pays des fous pour dénoncer les travers de ses contemporains. L'ouvrage, illustré de gravures, connaît un succès fulgurant.

Érasme publie son Moriae Encomium (L'Éloge de la folie) en 1511. Il est publié en latin et est donc destiné a priori à une élite savante. Pourtant, son livre est aujourd'hui bien plus célèbre que celui de Brant, car ses critiques annoncent les thèses de la réforme protestante, qui dénoncent la décadence de l’Église. De plus, comme la figure du fou sert à dénoncer «l'autre», catholiques et protestants se livrent à une guerre d'images sur ce thème, qui redouble et renforce les guerres de Religion.

 
Texte du panneau didactique.
 
Hans Holbein le Jeune (1497-1543). Portrait d'Érasme écrivant, 1528. Huile sur bois (tilleul). Paris, musée du Louvre, département des peintures.

Érasme, le plus célèbre des penseurs de son temps, publie L'Éloge de la folie en 1511. Tout jeune, le peintre allemand Holbein avait découvert l'ouvrage, puisqu'il dessine des illustrations pour un exemplaire de l'édition de 1515. Il rencontre Érasme par la suite et en fait plusieurs portraits, qui le mettent en scène dans son cabinet de travail. Dans celui du Louvre, ce grand représentant de l’humanisme apparaît concentré dans la rédaction de son Commentaire sur l'Évangile selon saint Marc.
 
Cercle de Jörg Breu l'Ancien (1475-1537). Plat aux fous. Augsbourg (Allemagne), 1528. Huile sur bois. Vienne, Kunsthistorisches Museum Vienna, Kunstkammer / Schloss Ambras Innsbruck.

Ce plat décoratif a été commandé par une société de notables d’Augsbourg. On identifie son chef à gauche de l’image principale grâce à l'inscription sur le pont. En bas se tient la mère des fous, en référence à l'un des mythes sur leur genèse. Les petites scènes sur le bord du plat s’observent dans le sens des aiguilles d'une montre en partant du haut. On y voit sept tentatives d'éradiquer la folie. La dernière montre l'échec de l’entreprise: les germes de la folie sont semés.
 
Artiste anonyme. Poule couvant des fous. Belgique ou Pays-Bas, 16e siècle (après 1570). Huile sur bois. Liège, Université de Liège - Musée Wittert.

Selon un mythe très populaire à la fin du Moyen Âge et à la Renaissance, les fous naissent dans des œufs. Ici, le peintre les montre couvés par une énorme poule. Le choix de cet oiseau qui pond sans cesse permet de justifier leur prolifération. De nombreux autres détails sont empruntés à une estampe de Pieter Bruegel l'Ancien, La Fête des fous.
Scénographie
Illustration de l'édition latine (1497) de La Nef des fous (1494) de Sébastien Brandt  par
- 1: le Maître du fou Hainz (fin du 15e siècle), graveur.
- 2, 3 et 4: Le Maître principal de La Nef des fous, peut-être Albrecht Dürer (1471-1528), graveur. Johan Bergmann de Olpe (éditeur). Bâle (Suisse), 1497. Xylographies sur papier. Bâle, Musée historique de Bâle.

L'édition latine de 1497 reprend fidèlement les gravures de l'édition originale de 1494 avec quelques ajouts. Les graveurs anonymes, qui illustrent cet ouvrage, étaient probablement trois. Le Maître du fou Haintz donne des modèles aux détails sommaires, mais pleins de verve. Le Maître principal, en nombre comme en qualité, est souvent identifié au jeune Dürer, alors actif à Bâle comme semble l'indiquer le rendu réussi de l'espace avec édifices et paysages.
Scénographie


De Bosch à Bruegel : triomphe du fou à la Renaissance

Scénographie

La multiplication des fous donne lieu à différents mythes qui prétendent expliquer leur genèse, et leur expansion sur toute la terre, en particulier avec l'idée de la nef des fous. Le tableau de Jérôme Bosch (vers 1450-1516), intitulé à tort par la critique moderne La Nef des fous, comme le livre de Brant, n’est en réalité que le fragment d'un triptyque démembré. Le message général du tableau renvoie à l'univers de la folie, mais aussi à d’autres motifs: la peinture des vices et l'incertitude du destin humain, avant et après la mort.

Pieter Bruegel l'Ancien (vers 1525-1569), comme Bosch, continue parfois d’user de la figure du fou de manière traditionnelle. Mais il lui donne aussi une valeur nouvelle: le fou passe au second plan et devient le témoin de la folie des êtres humains.

 
Texte du panneau didactique.
 
D’après Jean de Gourmont. O caput elleboro dignum, vers 1590. Estampe aquarellée; H. 360 mm ; l. 490 mm (dessin) ; H. 425 mm ; l. 555 mm (feuille). Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Cartes et plans. © Bibliothèque nationale de France.

Cette estampe montre un bonnet à oreilles d'âne, où la tête du fou est remplacée par une mappemonde. Elle reprend un modèle de Jean de Gourmont qui a connu plusieurs versions. Ici, on utilise une carte publiée en 1587 par Abraham Ortelius (1527-1598). Les nombreux proverbes latins présents sur l'image montrent que la folie est partout présente dans le monde. Le titre de la gravure fait référence à l'ellébore, plante considérée comme un traitement de la folie.
 
D’après Hyeronimus Bosch. Concert dans un œuf. Anciens Pays-Bas, milieu du XVIe siècle. Huile sur toile, H. 108,5 cm ; l. 126,5 cm. Lille, Palais des Beaux-Arts. © RMN-Grand Palais (Palais des Beaux-Arts, Lille) Stéphane Maréchalle.

Ce tableau s'inspire sans doute d’une composition perdue de Bosch. Certains des musiciens sont des ecclésiastiques (le moine au premier plan, la religieuse à la tête surmontée d’une chouette...), mais leur chant n'est nullement religieux. La partition est celle d’une chanson d'amour, publiée en 1549. L'œuf et de multiples symboles, comme le hibou attaqué par les oiseaux, désignent ces chanteurs comme des fous adonnés à tous les vices.
 
Cartel destiné au jeune public.

Scénographie
 
Hyeronimus Bosch. Satire des noceurs débauchés, dit La Nef des fous. Bois-le-Duc, vers 1505-1515. Huile sur bois (chêne), H. 58 cm ; l. 33 cm. Paris, musée du Louvre, département des Peintures. © RMN - Grand Palais (Musée du Louvre), Franck Raux.

Le tableau est le fragment d’un retable dispersé. Même si l’on voit un bateau chargé de passagers à la conduite déréglée, l'œuvre ne s'inspire pas directement du poème de Sébastien Brant, La Nef des fous, malgré le titre qu'on lui a donné traditionnellement. Elle montre de joyeux convives faisant un festin à bord d'un petit navire, qui semble dériver sur la mer. Mais la fête se transforme en beuverie. Le seul personnage qui soit caractérisé comme un bouffon, par son costume et sa marotte, est assis, solitaire, sur la branche d'un arbre installé dans le bateau. Dans un monde envahi par le vice et la folie, le fou n'a plus de leçons à donner.
 
Hyeronimus Bosch. Excision de la pierre de folie. Bois-le-Duc, vers 1501-1505. Huile sur bois (chêne), H. 48,5 cm ; l. 34,5 cm. Madrid, Museo Nacional del Prado. © Museo Nacional del Prado, Dist. Grand Palais Rmn, image du Prado.

L'extraction de la pierre de folie, une opération imaginaire, est un thème très répandu au 16e siècle. Bosch en donne ici une version très précoce et originale, puisqu'il substitue à la pierre une fleur. Mais dans l'inscription, le patient demande bien au chirurgien d'enlever une pierre. De nombreux éléments du tableau, comme la fleur, possèdent une connotation sexuelle. Le type de folie dont il est question est donc sans doute lié à la luxure.
Scénographie
 
Pieter van der Heyden (vers 1530-après 1572). Le Bateau bleu. Anvers (Belgique), 1559. Estampe. Anvers, The Phoebus Foundation.

Vers le milieu du 15e siècle, un auteur anonyme a composé un poème, Le Bateau bleu, qui invite tous les groupes de la société à monter dans une barque folle. L'œuvre a sans doute inspiré La Nef des fous de Sébastien Brant, et l'expression «Bateau bleu» est devenue l'équivalent de «vie dissolue». Comme La Satire des noceurs débauchés de Bosch, la présente gravure est aussi une caricature des excursions en bateau de l'aristocratie, à la belle saison.
 
Atelier ou suiveur de Jérôme Bosch (vers 1450-1516). L'Escamoteur. Belgique ou Pays-Bas, après 1525 environ. Huile sur bois. Saint-Germain-en-Laye, musée Ducastel-Vera, legs Louis-Alexandre Ducastel 1872.

Chez Bosch et ses suiveurs, folie et tromperie sont souvent associées. Dans cette œuvre, le personnage à droite, un bateleur de foire, est clairement un filou, dont le comparse (mais ils sont peut-être plusieurs) dérobe la bourse d'un spectateur crédule et ahuri. De nombreux éléments renvoient aussi à la folie, tel le chien au costume de bouffon. Tout n'est qu'illusion, y  compris la table, que le spectateur peut voir comme un visage, en inclinant la tête vers la droite.
Pieter van der Heyden (vers 1530 - après 1572) d'après un suiveur de Jérôme Bosch (vers 1450-1516). Participants au carnaval.
Anvers (Belgique), 1567. Gravure sur cuivre. Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Estampes et de la photographie.

L'auteur du modèle gravé par Pieter van der Heyden est resté anonyme. Même s’il a inscrit le nom du peintre Bosch comme une signature sur l'image de la chouette déguisée en pèlerin, sur la cheminée, il ne s’agit ici que d'un clin d'œil. Les gaufres évoquent Mardi gras, dernier jour de la saison du Carnaval avant le Carême, période de jeûne et d’abstinence dans le christianisme. Instruments de musique et outils de cuisine créent un tintamarre. À droite, le fou, accompagné de son petit chien, est rasé, comme marque d’infamie.
Scénographie


Éclipse et métamorphoses du FOU

Scénographie

Tout au long des 17e et 18e siècles, les représentations des fous sont de moins en moins nombreuses dans l'art européen. Dans ces époques qui voient croître le règne de la raison et des Lumières (de Descartes aux philosophes de l'Encyclopédie), les fous de cour n'ont plus vraiment leur place.

Mais les notions qu'incarnent les multiples figures du fou (ironie, farce ou désarroi) survivent à travers de nouvelles silhouettes, en marge de la société, que ce soit le personnage de Don Quichotte inventé par Cervantès (1547-1616) ou plusieurs figures de la «Comedia dell'arte», notamment celle de Pulcinella (Polichinelle ou «petit poussin»).

 
Texte du panneau didactique.
 
Giandomenico Tiepolo (1727-1804). Le Charlatan, ou L'Arracheur de dents. Venise (Italie), vers 1754. Huile sur toile. Paris, musée du Louvre, département des peintures.

Au 18e siècle, si les représentations de fous sont moins nombreuses, on en retrouve les thèmes comme dans cette scène du carnaval. Arlequin et des polichinelles, dans la foule, reprennent le rôle d'amuseurs publics. Un arracheur de dents vante ses services pendant qu'un client est opéré par un assistant qui regarde ailleurs. Le singe, mauvaise copie de l'Homme, atteste qu'il s'agit d'une parodie de chirurgie, comme auparavant dans les scènes de l'extraction de la pierre de folie chez Bosch.
 
Charles Antoine Coypel (1694-1752). Don Quichotte, conduit par la folie, part de chez lui en chevalier errant. Paris, 1716. Huile sur toile. Compiègne, Musée national du Château de Compiègne, dépôt du musée du Louvre, département des Peintures.

Coypel a peint un ensemble de tableaux pour servir de modèles à une série de tapisseries. On voit ici l'un des premiers épisodes de l’histoire écrite par Miguel de Cervantès (1547-1616). Nourri jusqu’à la déraison de récits chevaleresques, le héros part à l'aventure, à cheval et en armure, guidé par une allégorie de la Folie. Enflammé d'amour pour une paysanne dont il fait sa dulcinée, il s'apprête à combattre des moulins à vent qu'il prend pour des géants.
  Cartel destiné au jeune public.


Résurgence et modernité du FOU

Scénographie

À la fin du 18e siècle et pendant la première moitié du 19e siècle, les artistes revisitent la figure du fou telle qu'elle est représentée au Moyen Age et à la Renaissance. Les révolutions politiques et artistiques donnent à ce personnage une dimension tragique et même cruelle. Ainsi la figure du fou revient à la mode grâce aux rééditions de L'Éloge de la folie d'Érasme, dont les illustrations sont mises au goût du jour.

Parallèlement, les premières vagues du romantisme, mouvement artistique qui exalte les sentiments et les passions, inspirent certains artistes, comme Johann Heinrich Füssli, qui proposent des œuvres marquées par le bizarre et l'effroi. Ces artistes s'appuient sur des références littéraires ou sur leur propre expérience pour évoquer le «sommeil de la raison» (Francisco de Goya).

 
Texte du panneau didactique.
 
Franz Xavier Messerschmidt (1736-1783). Tête de caractère: «L'homme de mauvaise humeur». Vienne (Autriche) ou Bratislava (Slovaquie), vers 1777 (ou avant) - 1783.  Alliage de plomb et d'étain. Paris, musée du Louvre, département des Sculptures, acquis avec l'aide de la Société des Amis du Louvre et du Fonds du patrimoine.

Des troubles mentaux ont contraint Messerschmidt à quitter la cour d'Autriche. Reclus à Bratislava, dans l'actuelle Slovaquie, il a développé une singulière production de têtes d'expression, reproduisant peut-être les mouvements de son propre visage déformé par ces troubles. Les manifestations de la folie étaient alors expliquées par un déséquilibre d'un fluide magnétique universel qui pouvait être corrigé par l'emploi d'aimants. Ici, la courroie présente sur la lèvre de l'homme serait peut-être un aimant à visée thérapeutique.
Scénographie
 
Johann Heinrich Füssli (1741-1825). Un peintre faisant le portrait d'un fou, ou Till l'Espiègle. Zurich (Suisse), vers 1757-1759. Plume, encre grise et brune, lavis gris et brun sur papier vergé. Zurich, Kunsthaus Zürich. Collection d'arts graphiques, don C. Mever, 1826.

Au-delà de la scène d'atelier avec un bouffon posant, cette image symbolise le peintre fou et le fou philosophe. Un artiste myope esquisse le bouffon, s’identifiant à lui dans une parodie de l'artiste excentrique. Ce dessin de jeunesse, inspiré par des légendes suisses et le bouffon Till l'Espiègle, était peut-être destiné à ouvrir un cycle sur ce célèbre personnage anticonformiste.
 
Francisco José de Goya y Lucientes (1746-1828). Ya tienen asiento (Les voilà bien assises). Planche 26 des Caprices. Espagne, après 1799. Gravure à l’eau-forte et à l’aquatinte brunie. Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Estampes et de la photographie.



Naissance de la psychiatrie et folies royales

Scénographie

Dans la première moitié du 19e siècle, un double mouvement donne un nouvel essor à la thématique du fou. Le mot «fou» renvoie presque exclusivement aux malades mentaux. À partir de la Révolution française, leur enfermement est mis en question, notamment par le médecin Philippe Pinel. D'autre part, en pleine époque de restauration monarchique, les artistes n'hésitent pas à montrer les ravages de la folie chez les souverains du passé. Ainsi, Charles VI (roi de 1380 à 1422), en France, ou Jeanne la Folle (1479-1555), notamment en Espagne et en Belgique, sont le prétexte d'une méditation sur la fragilité ou les risques du pouvoir.

Les artistes romantiques comme Antoine-Louis Barye, nourris par l'histoire et la littérature mettent ainsi à l'honneur les drames du Moyen Âge et de la Renaissance.

 
Texte du panneau didactique.
 
Willem Geets (1838-1919). L'Exorcisme de Jeanne de Castille. Malines (Belgique), 1876. Huile sur toile. Anvers, Musée Royal des Beaux-Arts Anvers - Communauté Flamande.

William Geets préfère illustrer des épisodes anecdotiques plutôt que des hauts faits historiques. Son tableau sur la reine Jeanne de Castille (1479-1555), surnommée Jeanne la Folle, montre sa résistance à un exorcisme. La composition permet d'interpréter la scène comme une critique de la religion ou du clergé. Bien que la scène se déroule au 16e siècle, la violence palpable souligne les tensions politiques et sociales du 19e siècle, notamment la lutte entre États et Églises et l'émancipation féminine.
 
Johann Heinrich Füssli (1741-1825). Lady Macbeth marchant dans son sommeil. Londres (Angleterre), vers 1784. Huile sur toile. Paris, musée du Louvre, département des Peintures.

Nourri de littérature germanique et britannique, Füssli est l'auteur vers 1750 d'une traduction en allemand de Macbeth, célèbre pièce de William Shakespeare créée sans doute en 1606. Dans l'Écosse médiévale, l'ambitieux chevalier Macbeth est poussé au régicide par son épouse. Ce crime fait sombrer le couple dans la folie. Ici, Lady Macbeth, devenue reine, erre de nuit dans son château, yeux exorbités, pieds nus, cheveux détachés. Cette œuvre témoigne du goût de Füssli pour une veine sombre du fantastique.
 
Raymond Quinsac Monvoisin (1790-1870). Jeanne, dite la Loca ou la Folle, reine de Castille. France, vers 1834. Huile sur toile. Amiens, collection des Musées d'Amiens.

Scénographie
 
Francisco José de Goya y Lucientes. L’Enclos des fous, 1794. Huile sur étain, H. 43 cm ; l. 32 cm. Dallas (Texas), Meadows Museum, Southern Methodist University, Algur H. Meadows Collection. © Meadows Museum, SMU photo Robert La Prelle.

En janvier 1794, Goya présente onze peintures à l'Académie royale de Madrid (Espagne), marquant son retour après une maladie qui le rend sourd. Créées pour occuper son loisir forcé, elles permettent à l'artiste d'explorer librement ses idées. Parmi elles, L'Enclos des fous montre des aliénés en train de lutter, associant réalisme et violence. Cette scène, vue à l'hôpital de Saragosse (Espagne), préfigure les thèmes de la folie et de la critique sociale dans son œuvre.
 
Paul Gachet (1828-1909). Croquis d'une folle de la Salpêtrière (?) : Mademoiselle Duval. Paris, vers 1854-1855? Mine de plomb sur papier bleu. Paris, Musée d'Art et d'Histoire de l'Hôpital Sainte-Anne.

Paul Gachet, médecin des derniers jours de Vincent Van Gogh (1853-1890), pratiquait le dessin. Intéressé par les troubles de l'esprit, il fait son internat à la Salpêtrière dont les pensionnaires lui inspirent plusieurs feuilles. On se demande ici si l'inscription «Mlle Duval» ne fait pas référence à Jeanne Duval, muse et amante de Charles Baudelaire (1821-1867). L’épais fichu cacherait alors la chevelure qui inspira le poète.
Tony Robert-Fleury (1837-1911). Le Docteur Pinel, médecin en chef à la Salpêtrière, en 1795. Paris, 1876.
Huile sur toile. Paris, Centre national des arts plastiques.

Robert-Fleury situe l’action en 1795 à la Salpêtrière, asile pour femmes. Il met en lumière une malade, tandis que le docteur Pinel (1745-1826) est représenté à sa gauche. La scène met surtout en valeur Jean-Baptiste Pussin (1745-1811), l'adjoint de Pinel, derrière la femme en train d'enlever les entraves de cette dernière. Il est le véritable instigateur du retrait des fers des aliénés, épisode clé de l'histoire de la psychiatrie.
Scénographie
 
Victor Hugo (1802-1885). Le Fou. Vers 1858. Encre et lavis sur papier vélin. Paris, Maisons de Victor Hugo, Paris /Guernesey.

 
Théodore Géricault (1791-1824). La Folle monomane du jeu. Paris, 1819-1822. Huile sur toile. Paris, musée du Louvre, département des Peintures.

Ce portrait anonyme fait partie d’une série de dix tableaux, peints entre 1819 et 1824. Le contexte et les motivations des œuvres, non signées et jamais exposées du vivant de l'artiste, restent flous. Bien après sa mort, on a affirmé que Géricault les avait réalisées pour le médecin aliéniste Étienne-Jean Georget (1795-1828). Leur sensibilité témoigne en tout cas de l'attention du peintre envers ses modèles, probablement des marginaux autant que des personnes atteintes de troubles mentaux.
Scénographie
 
Charles-Marie Bouton (1781-1853). La Folie du roi Charles VI. France, 1817. Huile sur toile. Bourg-en-Bresse, musée du Monastère royal de Brou.

 
Antoine Louis Barye (1795-1875). Le Roi Charles VI effrayé dans la forêt du Mans. Paris, 1833. Plâtre doré et cire. Paris, musée du Louvre, département des Sculptures.

Au Salon de 1833, Barye expose douze sculptures, dont l’une inspirée de l’histoire de Charles VI. Le 5 août 1392, un homme arrête le roi dans la forêt du Mans, l’avertissant d’une trahison. L'épisode déclenche la folie chez le souverain. Le sculpteur se concentre sur la tension dramatique de la scène, utilisant les lignes de force et les regards hallucinés pour capturer l'instant fondateur de la maladie du roi.
 
Jean-Pierre-Victor Huguenin (1802-1860). Le Roi Charles VI et sa favorite Odette de Champdivers. France, 1839. Marbre. Dole, Musée des Beaux-Arts de Dole.

 
François-Auguste Biard. L’Exorcisme de la folie de Charles VI ou L’Exorcisme de Charles VI par deux moines augustins, 1839. Huile sur toile, H. 164 cm ; l. 131 cm. Leipzig, Museum der bildenden Künste Leipzig.
L'intérêt de Biard pour la démence s'était déjà manifesté dans L'Hôpital des fous (1833). Au Salon de 1839, il n'expose pas moins de six tableaux, dont L'Exorcisme de la folie du roi Charles VI. Dans ce dernier, le peintre dramatise la scène, en montrant le roi comme convulsé par un rite d’exorcisme et soutenu par une femme, son épouse ou sa maîtresse. Le tableau, dans une veine romantique, exploite les oppositions de lumière et d'ombre pour accentuer l'intensité dramatique.


Le fou tragique, une figure romantique

Scénographie

Durant la période romantique, les artistes se servent souvent des grands auteurs du passé, comme William Shakespeare (1564-1616) et sa pièce Macbeth, pour insuffler un  vent de folie à leur peinture. L'influence d'un auteur de leur époque, Victor Hugo (1802-1885), est tout aussi importante. Il ressuscite la figure du fou: en 1831, dans Notre-Dame de Paris, avec le personnage de Quasimodo, et un an plus tard dans la pièce Le roi s'amuse, avec celui de Triboulet, bouffon au 16e siècle, à la cour de François Ier. Ce dernier ouvrage connaît un succès mondial grâce à sa métamorphose en opéra par Verdi (Rigoletto) en 1851.

Fort de cet héritage, le visage du fou s'identifie parfois avec celui de l'artiste, aux prises avec ses angoisses, voire avec sa propre folie.

 
Texte du panneau didactique.
 
Louis Boulanger (1806-1867). Le Roi Lear et son fou pendant la tempête. France, 1836. Huile sur toile. Paris, Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris. Legs Adolphe Julien, 1933.

Les artistes romantiques manifestent un vif intérêt pour l'œuvre de William Shakespeare qui regorge de scènes de cour, donc de fous. Le Roi Lear (1606) témoigne d'une inversion des rôles. Le bon sens du roi est emporté d'une part par son âge, d'autre part par l'ingratitude de deux de ses trois filles. Quand il erre dans la lande sous la tempête, son fou, qui reste sage, s'efforce de le ramener à la raison et aux réalités du monde matériel.
 
Jan Matejko. Stanczyk durant un bal après la perte de Smolensk. Cracovie, 1862. Huile sur toile, H. 88 cm ; l. 120 cm. Varsovie, National Museum in Warsaw. © Varsovie, Muzeum Narodowe Warszawie / Piotr Ligier.

Ce tableau montre Stanczyk, bouffon de la cour polonaise, accablé par la perte de Smolensk, ville prise par les Russes en 1514. Abattu, il contemple une lettre annonçant la défaite. En arrière-plan, une fête royale symbolise le contraste entre l’'insouciance de la cour et la conscience politique du bouffon. Le tableau reflète l'inquiétude de l'artiste pour son pays, à la veille de l'insurrection du début de 1863.
 
Charles Louis Müller (1815-1892). Lady Macbeth. D'après Macbeth de William Shakespeare. France, 1849. Huile sur toile. Amiens. Collection des Musées d'Amiens.

Adolphe-Victor Geoffroy-Dechaume (1816-1892) et sculpteurs anonymes d'après Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc (1814-1879).
Chimères de Notre-Dame de Paris: Le pélican, La lionne, Monstre penché sur le parapet, Le juif errant. Paris, 1847-1862. Pierre.
Paris, Cathédrale Notre-Dame de Paris. Direction régionale des Affaires culturelles d'Île-de-France, classement au titre des monuments historiques, 1862.

Les cinquante-quatre chimères de la cathédrale Notre-Dame de Paris, absentes du projet initial de restauration de 1843, apparaissent quelques années plus tard. Ces figures fantastiques sont indissociables aujourd'hui de l'image de la cathédrale. Elles s'inspirent de l'art médiéval, notamment des gargouilles et des statues qui décoraient l'extérieur des édifices de l'époque gothique (12e-16e siècle). Comme elles, les chimères créent autour de l'église une atmosphère inquiétante, qui évoque les monstres engendrés par le sommeil de la raison de Goya.
Scénographie
 
Gustave Courbet. Portrait de l’artiste dit Le Fou de peur, vers 1844-1848. Huile sur toile marouflée sur panneau, H. 60,5 cm ; l. 50 cm. Oslo, The National Museum.

Courbet, natif d'Ornans (Doubs, France), arrive à Paris pour se faire un nom. Il est accepté au Salon en 1844, avec un autoportrait plein d'assurance. Mais d'autres autoportraits qu'il peint à cette période révèlent ses doutes. Dans L'Homme fou de peur, œuvre dramatique et introspective, il explore la folie et la mélancolie. Le tableau témoigne de l'écart entre son personnage public, couronné de succès, et ses tourments intérieurs. Le costume de fantaisie qu'il porte ici rappelle les costumes de fou du Moyen Âge. De plus, Courbet semble prêt à vaciller vers un gouffre qu'il désigne de la main droite.
 
Atelier de couture de l'Opéra de Paris (?). Pourpoint long du duc de Mantoue. Paris, 1929. Soie, fourrure blanche et cabochons verts. Moulins, Centre national du costume et de la scène, fonds CNCS / opéra national de Paris.

Si le pourpoint à fourrure blanche s'éloigne du modèle original, c'est qu'il a sans doute été commandé par le chanteur à son tailleur personnel, comme c'était alors l'usage.
 
Atelier de couture de l'Opéra de Paris, d'après Ludovic Napoléon Lepic (1839-1889). Pourpoint de Rigoletto. Paris, entre 1885 et 1961. Faille orange et verte, pompons d'argent. Éléments de costume de Rigoletto. Paris, vers 1936. Satin de soie jaune et vert. Moulins, Centre national du costume et de la scène, fonds CNCS / Opéra national de Paris.

La mise en scène créée en 1885 à Paris de l'opéra Rigoletto a connu de nombreuses reprises jusque dans les années 1960. Les costumes conservés présentent donc bien peu d'éléments d'origine. On peut y trouver, cependant, certains éléments des maquettes dessinées par Lepic en 1885, comme la longue manche du pourpoint jaune et noir, qui montre la difformité du personnage de Rigoletto.
 
Cartel destiné au jeune public.

 
Ludovic Napoléon Lepic. Projet de costume pour Rigoletto définitif. Paris, Bnf, BMO. © Bibliothèque nationale de France.

 
Louis Boulanger (1806-1867). Projet de costume de Triboulet. Pour Le roi s'amuse de Victor Hugo. Paris, 1832. Aquarelle et graphite sur papier. Paris, Maisons de Victor Hugo, Paris / Guernesey.

En 1832, le peintre Louis Boulanger dresse une série de dessins pour les costumes du Roi s'amuse, qui met en scène la cour de François Ier (1515-1547). Sur les conseils de Victor Hugo, il s'inspire de tableaux de la Renaissance du Louvre. Le créateur des costumes définitifs, Auguste de Châtillon, apporte plus de pittoresque, par l'expression des personnages et la fantaisie des costumes, comme celui de Triboulet orné de nombreux grelots et de couleurs chatoyantes.
 
Vidéo. La vision romantique du fou médiéval : «Notre-Dame de Paris» et « Rigoletto ».

Victor Hugo (1802-1885) ressuscite la figure du fou médiéval dans plusieurs de ses œuvres: d'abord en 1831 dans « Notre-Dame de Paris » avec Quasimodo, puis en 1832 dans sa pièce Le roi s'amuse, transposée en opéra sous le nom de «Rigoletto» par Verdi en 1851.
Découvrez cette vision tragique du fou médiéval à travers les extraits
des adaptations de «Notre-Dame de Paris» au cinéma et de plusieurs mises en scène de «Rigoletto».
   
Citation finale