FIBRES AFRICAINES. Patrimoine et savoir-faire textiles d’un continent. Le musée de la toile de Jouy nous présente une rétrospective très complète des savoir-faire africains en matière de tissage et de décoration de tissus. Si le filage, le tissage, la teinture se retrouvent sur tous les continents, l’Afrique, dont on voit ici les œuvres en provenance d’une vingtaine de pays, a développé des techniques qui lui sont propres, en mettant à contribution les matériaux qu’elle avait à portée de main et cela, si l’on met l’Egypte à part, dès le XIe siècle pour la teinture à l’indigo.
Pour tracer ce foisonnement d’inventions, le parcours se développe en cinq sections. La première, « Bruissement de la terre des ancêtres », nous offre un panorama des fibres les plus anciennes comme l’écorce battue (grokwa), le tressage du palmier-raphia ou le filage du coton, la plus récente des trois fibres (XIe siècle). Les objets que l’on obtient avec ces matières, comme les carrés de velours kasaï ou les pagnes, sont magnifiques.
La section suivante, « De l’indigo à l’arc en ciel », est consacrée aux toiles obtenues avec cette teinture provenant d’une « mystérieuse plante verte qui fait du bleu ». Cette teinture prédomine sur tout le continent. Avec elle, les artisans réalisent toutes sortes de motifs, tout d’abord en jouant sur l’intensité du bleu, qui va du bleu très clair, particulièrement prisé au Sénégal, jusqu’au bleu-noir, en vogue au Mali. Ensuite en créant des motifs avec des techniques telles que les ligatures, les coutures, l’emploi de matières aquaphobes (pate de manioc ou paraffine) ou les pochoirs. Quelques exemples spectaculaires obtenus avec ces méthodes sont présentés ici, comme ce pagne ukara en coton du Nigéria et ces ndop en coton et raphia du Cameroun, représentant des personnages et des motifs géométriques, ou encore ce basin en coton du Mali.
Tout cela crée des liens, d’où la section suivante « Tisser des liens » où apparaissent des étoffes avec des décors de toutes les couleurs, comme le montrent ces somptueux kente en coton ou en coton et rayonne du Ghana. On le voit, les artisans africains se sont emparés des fibres synthétiques (rayonne, lurex) venues d’Occident. Ils ont même démonté des étoffes de soie pour récupérer les fibres et les retisser à leur manière. L’accent est également mis sur le métier à tisser, à l’origine réservé aux hommes, en complément du travail des champs durant la saison sèche, tandis que le filage échouait aux femmes. Cela a perduré jusqu’à ce que les religieuses de la confrérie de l’Immaculée Conception, au Mali, mettent au point dans les années 1970, un métier à tisser adapté aux femmes, même en grossesse avancée.
La section suivante, « Signes et insignes du pouvoir » montre qu’en dehors de son utilité pour couvrir le corps nu, le vêtement permet aussi de définir le rang social de celui qui le porte. C’est là que l’on voit toute l’importance des perles dans la confection de ces vêtements et de divers objets tels que ces masques-éléphants, ces coiffes, ces sceptres, ce trône royal ou cette Reine Mère. Les tonnes de perles de verre européennes, échangées entre le XVIe et le XXe siècle contre des matières premières ou des esclaves, ont remplacé celles fabriquées à partir de matériaux naturels (os, pierre, vertèbre de poisson, coquille d’œuf d’autruche, etc.). On utilise aussi la broderie pour décorer les vêtements de luxe, surtout dans les pays où l’Islam s’est implanté.
La dernière section, « Le langage des étoffes industrielles » pose le débat de ce qui fait africain et de qui est africain quand on sait qu’aujourd’hui 95% des étoffes « africaines » proviennent d’Asie. En effet, au début du XIXe siècle, les européens s’emparent des motifs traditionnels africains pour en créer de semblables et les exporter sur le continent noir. Leur succès est immédiat et se commercialisent sous le nom de wax (Togo, etc.) ou de kanga ou leso (Afrique de l’Est). Toutes sortes d’exemples de ces tissus modernes décorent cette cinquième section.
Les commissaires présentent également, tout au long du parcours, des robes et manteaux créés de nos jours par des couturiers africains ayant acquis suffisamment de notoriété pour participer à des défilés de mode à Paris. Il s’agit de la Camerounaise Ly Dumas, dont on voit trois créations, et du Burkinabé Pathé’O, qui collabore avec la maison Dior. Une exposition instructive, haute en couleur et bénéficiant d’une scénographie originale évoquant les ateliers africains. R.P. Musée de la toile de Jouy 78. Jusqu’au 28 mars 2021.
Lien : www.museedelatoiledejouy.fr.