EX AFRICA. Présences africaines dans l’art d’aujourd’hui. En 1984, le Museum of Modern Art de New York présentait l’exposition Primitivism qui avait pour objectif de dépister les ressemblances de formes entre des œuvres « primitives » et celles des avant-gardes. Il en résultait, par exemple, qu’une statue africaine n’avait de valeur que parce qu’elle avait contribué au cubisme. La présente exposition montre que ces arts qualifiés de « primitifs », qui réunissaient les créations des peuples « sauvages », des fous, des enfants, des hommes de la préhistoire, etc. n’étaient ni grossiers, ni risibles. Tout simplement ils ne répondaient pas aux critères de l’homme occidental moderne, celui des révolutions scientifiques et industrielles. Des artistes comme Gauguin et Kandinsky, ou ceux des mouvements dada et surréalistes, avaient compris que ces arts échappaient à l’emprise du monde « moderne ». En se centrant sur l’art africain, Philippe Dagen, historien et critique d’art, commissaire de cette exposition, nous montre toute l’importance de ces arts « primitifs » dans la création contemporaine. Pour cela, il a fait appel à 34 artistes, aussi bien africains qu’occidentaux, qui nous montrent combien l’art africain de l’époque coloniale imprègne leurs créations.
L’exposition s’ouvre sur de grandes peintures de Jean-Michel Basquiat et de A. R. Penck, deux artistes que l’on ne saurait qualifier de « primitifs » mais qui ont contribué à défendre par leur travail les apports de ces arts « primitifs ». En regard, nous avons trois toiles de Chéri Samba, artiste bien connu aujourd’hui. En 1997, il se pose cette question « Quel avenir pour notre art » et y répond en disant qu’il faut être accepté en France et exposé au Musée d’Art moderne, tout en se demandant si ce musée n’est pas raciste. Un peu plus tard, en 2000, constatant combien les artistes qui travaillaient le bois ou l’argile étaient méconnus, il les célèbre avec Hommage aux anciens créateurs. Il n’est pas le seul à le faire comme on le voit dans les trois sections suivantes.
Mais avant cela, on traverse l’installation des frères britanniques Jake et Dinos Chapman, The Chapman Family Collection [2002]. Dans la pénombre, on croit voir une collection de sculptures africaines comme celles du musée. En réalité il s’agit de pastiches exécutés dans différents styles africains dont certains sont des allusions claires à Mc Donald (clown, logo, hamburger, etc.). Cette installation montre que l’art africain est lui aussi détourné à des fins commerciales.
C’est particulièrement évident dans la première section, « Pop ». Théo Mercier y a installé un tas de masques africains brisés. Il s’agit de fabrications modernes cassées pendant le transport et donc invendables, analogie entre le rejet des masques et celui des immigrés en Europe. Avec Commerce (1985) Jean-Michel Alberola fait allusion aux trafics d’objets de toutes sortes entre l’Afrique et l’Occident. Bertrand Lavier, de son côté, reproduit en bronze nickelé des sortes de statuettes africaines en bois, tandis que Hervé di Rosa fait sculpter au Cameroun des bas-reliefs d’une grande finesse, associant bande dessinée de science-fiction et style Bamoun.
Avec la deuxième section, « Métamorphoses », on voit comment ces arts du passé prennent aujourd’hui une part active dans les nouveaux langages plastiques. Les artistes exposés, qu’ils soient ou ne soient pas, de près ou de loin, d’origine africaine, abandonnent le bois pour des techniques et matériaux modernes comme la photographie, le plastique, la peinture, le collage, la vidéo, etc. Ce sont les statues grandeur nature de Gloria Friedman (Sans titres, 2019) ; les têtes d’expression de Françoise Vergier (La déesse de la lune, verte, 2016-2017) ; les tirages numériques de la Série des Demoiselles de Porto-Novo (2012) de Léonce Raphaël Agbodjelou ; les Self-hybridations africaines (2002) d’Orlan ; les peintures de Nazanin Pouyandeh (Créole, 2017), Steve Bandoma (Mental Slavery, 2012 ; Dénaturée, 2016) et bien d’autres, dont Annette Messager qui nous livre ces Collants totémiques (2015) réalisés avec des collants en nylon et des épingles.
Dans une rotonde sonorisée, on peut voir une collection de masques contemporains réalisés par une petite dizaine d’artistes.
La dernière section, « Activations », est la plus spectaculaire. Quatre artistes ont réalisé à l’occasion de cette exposition des installations de grande ampleur. Les Entrelacs de l’Objet, de Kader Attia traite de la restitution du patrimoine africain aux pays d’origine de ces œuvres. Eseka, lieu d’une catastrophe ferroviaire en 2016, suivie d’une découverte de gisements d’or, de Pascale Marthine Tayou, aborde le thème de la surexploitation des ressources naturelles. No Return, une spirale constituée de 5000 tongs récupérées sur les plages, de Romuald Hazoumè, évoque l’émigration de la jeunesse africaine vers l’Europe et ses drames. Enfin, Trophée, de Myriam Mihindou traite d’une autre façon le problème de la restitution.
Cette section présente également des œuvres, souvent très fortes, traitant de sujets politiques, ainsi que de religion et de sexualité.
La conclusion revient de nouveau à Chéri Samba qui déclare : J’aime la couleur (2010) et nous livre La vraie carte du monde (2011), une mappemonde inversée où l’Amérique du Nord et l’Europe sont écrasées en bas de la feuille, tandis que l’Amérique latine et l’Afrique se redressent au-dessus. Une exposition brillante, bénéficiant d’une magnifique scénographie. R.P. Musée du quai Branly - Jacques Chirac 7e. Jusqu’au 11 juillet 2021. Lien : www.quaibranly.fr.