L’ÉPOPÉE DU CANAL DE SUEZ. Des pharaons au XXIe siècle. Cette exposition commence, à la manière d’un film, par l’inauguration de cet ouvrage pharaonique qu’est le canal de Suez puis, par un retour en arrière, elle nous raconte son histoire. Celle-ci commence sous le règne du pharaon Sésostris III (1878-1762 avant J.-C.) qui fait relier le Nil, au nord de la ville actuelle du Caire, à la mer Rouge. Les voiliers mesurent alors entre 10 et 20 mètres de long et peuvent transporter autant que 3 000 ânes. Ce canal, fréquemment ensablé, est régulièrement entretenu au fil des siècles par les diverses autorités de l’Égypte. Mais au VIIIe siècle de notre ère, il est détruit par le calife Al-Mansour qui veut fermer les accès à la ville de Médine.
Les portugais ayant trouvé une route, contournant l’Afrique, leur permettant de gagner l’Orient sans payer de taxes au sultan d’Égypte, Venise propose à ce dernier, en 1504, de creuser un canal entre la Méditerranée et la mer Rouge. Le sultan refuse.
En 1798, Bonaparte débarque en Égypte accompagné de savants qui étudient la faisabilité de percer l’isthme de Suez sans passer par le Nil. Leurs études sont reprises après 1820 par les partisans du saint-simonisme, une doctrine qui estime que, au moment où commence la révolution industrielle, la société doit passer de l’âge théologique et féodal à l’âge positif et industriel. Ils se heurtent au vice-roi d’Égypte, Méhémet Ali, qui pense qu’un tel projet suscitera les convoitises des grandes puissances et sera fatal à son projet de faire de l’Égypte un pays indépendant. Quelle clairvoyance !
La situation change avec Saïd Pacha, petit-fils de Méhémet Ali, ami d’un personnage inclassable, diplomate et aventurier de génie, Ferdinand de Lesseps. Tous deux se lancent seuls dans l’aventure qui se poursuivra jusqu’en 1869 sous l’impulsion du Khédive Ismaïl Pacha, qui succède à son oncle en 1863. Après bien des vicissitudes - anglais faisant arrêter les travaux, plusieurs dizaines de milliers de morts, la plupart victimes du choléra, parmi les ouvriers du chantier - le canal est inauguré en grande pompe le 17 novembre 1869. Les grands de ce monde sont là à l’exception de la reine Victoria. C’est l’impératrice Eugénie, apparentée à la famille de Ferdinand de Lesseps, qui préside les cérémonies en l’absence de Napoléon III qui, souffrant de la maladie de la pierre, ne peut se déplacer.
L’exposition décrit avec des maquettes, des tableaux et divers documents le faste de cette inauguration. Néanmoins deux œuvres manquent : l’opéra Aïda, commandé à Verdi par Ismaïl Pacha pour le nouvel opéra du Caire et, par faute de moyens, la statue de Bartholdi de 43 mètres de haut représentant une paysanne égyptienne tendant un flambeau au bout de son bras. Le sculpteur reprendra son projet pour en faire la statue de la Liberté offerte par la France à la ville de New York !
On voit déjà les problèmes liés à ce canal. Ayant trop dépensé, le Khédive doit revendre, en 1875, ses 44% du capital de la Compagnie maritime du Canal de Suez au Royaume-Uni qui retrouve ainsi son influence sur la route des Indes et remplace, en 1882, les Ottomans comme tuteur du pays, avant de proclamer le protectorat durant la première guerre mondiale. L’Égypte accède à une indépendance presque totale en 1936, à l’exception du canal qui reste sous monopole britannique. Enfin, le 26 juillet 1956, Nasser nationalise le canal, provoquant la riposte du Royaume-Uni, de la France et d’Israël. Ces trois pays doivent se retirer suite à la réprobation générale des Nations Unies. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Il y aura ensuite la guerre des Six Jours en 1967 et la guerre d’octobre 1973. Finalement le canal ne peut rouvrir qu’en juin 1975.
Avec 5 milliards de dollars par an (chiffres de 2013), le canal assure 20% du budget de l’Égypte. En 2014, le Président Al Sissi annonce son intention de creuser un deuxième canal parallèle au premier afin de supprimer la circulation alternée et de réduire de 11 heures le temps d’attente des navires. Les travaux sont terminés un an plus tard. Le Canal de Suez devrait rapporter 13,2 milliards de dollars par an à l’Égypte en 2023. Une zone économique devrait également voir le jour le long du canal.
Le parcours, riche en documents, peintures, sculptures, maquettes et vidéos, rend compte de cette longue histoire, pleine de péripéties. Une exposition très instructive sur ces quelque 200 km de long qui relient l’Europe, l’Afrique et l’Asie. R.P. Institut du Monde Arabe 5e. Jusqu’au 5 août 2018. Lien : www.imarabe.org.