ENFIN LE  CINÉMA ! Arts, images et spectacles en France, 1833-1907. Le cinéma, tel que  nous le connaissons aujourd’hui, n’est pas apparu du jour au lendemain. Il est  le fruit d’un long processus qui trouve son origine technique au XVIIe siècle,  avec la « lanterne magique », et son origine artistique dès  l’antiquité, avec le mythe de Pygmalion, ce sculpteur amoureux de la statue de  Galatée, qu’il vient de réaliser, à laquelle Aphrodite donne vie. Ce désir de  mettre en mouvement de l’inanimé a fasciné bien des artistes, comme Rodin ou  Gérôme, ou encore des cabarets comme les Folies-Bergère et ses « tableaux  vivants », avant que le génial Méliès s’empare du sujet d’une manière  parodique. C’est tout cela que les commissaires nous exposent en guise de  prologue.
                Dans  la seconde moitié du XIXe siècle la ville évolue très rapidement avec de grands  chantiers, le développement du chemin de fer et l’expérience de la vitesse.  Baudelaire définit la modernité comme « le transitoire, le fugitif, le  contingent ». Les peintres et les photographes traduisent cette modernité  en représentant des gens dans la rue, au restaurant, dans des omnibus, sur un  balcon, etc. Caillebotte (Le Pont de  l’Europe, 1876-1877), Louis Anquetin (Coup de  vent sur un pont de la Seine, 1889), Pissarro (La Place du Théâtre Français, 1898),  Vallotton (Scène de rue à Paris,  1897) parmi les peintres, Théophile Féau (La  Construction de la tour Eiffel, 1887-1889), Henri  Rivière (Passagers sur l’impériale  d’un omnibus, entre 1885 et 1895), Marville (Déplacement de la colonne du Châtelet,  avril-mai 1858) parmi les photographes, illustrent cette  « modernité ». Les tout premiers cinématographistes, en particulier  les opérateurs des Frères Lumière, reprennent ces thèmes dans de petits films  d’une minute seulement, la durée d’une bobine.
                Après  cette première partie consacrée au « Spectacle de la ville »,  l’exposition nous montre comment les artistes ont traduit les « mouvements  de la nature ». Pour cela les commissaires convoquent des peintres comme  Caillebotte qui nous donne à sentir le vent qui s’engouffre dans son Linge séchant au bord de la Seine (1892),  ou des sculpteurs comme Théodore Rivière qui représente Loïe Fuller, exécutant sa fameuse  « danse serpentine » (1900). La photographie n’est pas en reste et bouleverse  la représentation du réel en permettant de voir tout aussi bien l’infiniment  petit que l’infiniment grand. Là aussi le cinématographe donne à voir des  scènes de mer, de baignade, de fumée, de sang vu au microscope, etc.
                Si  le cinéma est particulièrement apte à « donner à voir du temps », il  n’est pas le seul. Monet avec sa série sur la cathédrale de Rouen peinte à  diverses heures et diverses saisons, fait de même. Des artistes réalisent des  tableaux dont le sujet (Château  des Fleurs aux Champs-Élysées ou Le Campo Santo de Pise)  passe progressivement du jour à la nuit. Des appareils comme le Praxinoscope d’Émile Reynaud (1889)  donnent aussi l’illusion du mouvement. Nous en voyons d’autres, comme le Phénakistiscope,  dans la section suivante, « Le corps mis à l’épreuve », qui procurent  la même illusion. Si dans cette section ce sont surtout des hommes qui sont  représentés en train de faire du sport ou de décharger du charbon, pour ne  citer que quelques exemples, c’est la femme qui devient le sujet exclusif avec  « Regards de voyeurs, corps de femmes ». Depuis son  origine, la photographie a contribué à la fétichisation du corps des femmes  montrées dénudées (Le Rêve  d’une Grisette, 1897). Le cinématographe n’est pas en reste et  s’empare des trucs du voyeurisme comme le trou de serrure ou le télescope.
                Les  commissaires nous montrent ensuite que la recherche d’une « réalité  augmentée » n’est pas apparue au XXIe siècle. Déjà, dans les années 1860,  les inventeurs cherchaient à ajouter la couleur et le relief à leurs images. Le  cinématographe en fait autant avec des images peintes une à une à la main et  des sons provenant soit d’un bonimenteur, soit d’un phonographe. Si le cinéma  en relief ne voit le jour qu’au siècle suivant, la trajectoire de certains sujets  qui « crèvent l’écran », comme dans L’arrivée d’un train en gare de la Ciotat de Louis Lumière, suggère  le relief. 
                Avec  la dernière section, « L’histoire en tableaux », le cinéma de fiction  fait son apparition. Il s’empare de grands sujets historiques (Cléopâtre, Marat,  la mort du duc de Guise, les Dernières cartouches) ou bibliques (la fuite en  Égypte) bien connus du public grâce à la peinture, les panoramas ou le théâtre.  D’attraction de foire, le cinématographe devient un art à part entière avec la  création des premières salles de cinéma en 1906 et le principe de la location  de films en 1907 par Pathé afin de présenter des films nouveaux et de  sédentariser le public. Le parcours se termine ainsi avec l’évocation de ces  premières salles de cinéma. 
                Avec  près de 400 œuvres et objets, dont une cinquantaine de films, une scénographie  somptueuse, des cartels limpides dont certains sont spécifiques au jeune public,  cette exposition inhabituelle est tout à la fois instructive et divertissante.  À voir absolument ! R.P. Musée d’Orsay 7e. Jusqu’au 16 janvier 2022.  Lien : www.musee-orsay.fr.