DANS L’APPARTEMENT DE LÉONCE ROSENBERG. De Chirico, Ernst, Léger, Picabia … Léonce Rosenberg (1871-1947) fut un des premiers défenseurs de l’art abstrait et du cubisme, qu'il découvre chez les marchands de tableaux Ambroise Vollard et Wilhem Uhde en 1911 et Kahnweiler en 1912. Comme son frère Paul Rosenberg, le célèbre galeriste qui a représenté Braque, Picasso et Matisse en même temps que Kahnweiler, Léonce Rosenberg ouvre, dans son hôtel particulier, une galerie qu’il nomme « Galerie de L'Effort moderne » (1910-1941). En 1928 il passe commande à une douzaine de peintres de renom pour décorer son nouvel appartement de onze pièces situé 75 rue de Longchamp à Paris. Il attribue une pièce par artiste en associant aux toiles peintes un choix de mobilier ancien et contemporain. Le 15 juin 1929, le Paris mondain se presse pour la pendaison de crémaillère. Mais quelques mois plus tard, la crise financière de 1929-1930 précipite la ruine de Léonce Rosenberg et son déménagement. Ce décor exceptionnel se trouve alors à jamais dispersé.
La présente exposition évoque ce décor disparu en présentant dans cinq salles du parcours des œuvres qui décoraient l’appartement de Léonce Rosenberg. Si celui-ci admire et accompagne Picasso pendant la guerre et les années 1920, il ne fait pas appel à lui pour son appartement. Néanmoins, les commissaires ont accroché en guise d’introduction dans la première salle, neuf peintures et dessins de Picasso dont un portait de Rosenberg posant devant Arlequin. Ceci montre que Picasso n’hésitait pas à pratiquer au même moment un cubisme proche de l’abstraction et des dessins figuratifs. Cette coexistence se retrouve dans le choix des œuvres qui décoraient l’appartement de Rosenberg.
Dans la deuxième salle est exposée une grande peinture de Giorgio de Chirico (1888-1978), Le Combat, qui occupait la partie centrale du décor du hall de réception constitué de onze toiles dédiées au thème des gladiateurs. L’artiste détourne d’une manière ironique les codes de la peinture d’histoire avec un combat qui tient plus du mime que du massacre. En face de cette peinture, nous avons quatre toiles de Gino Severini (1883-1966), initialement prévues pour la chambre de Jacqueline, l’une des trois filles de Rosenberg, où l’on retrouve cette même veine parodique avec des ruines antiques et des personnages de la commedia dell’arte.
Dans la salle suivante, sous le titre «Survivances du cubisme», nous voyons des toiles d’Albert Gleizes (1881-1953), d’Auguste Herbin (1882-1960), de Georges Valmier (1885-1937) et du sculpteur hongrois Joseph Csaky (1888-1971). Ces peintures annoncent l’émergence du groupe Abstraction – Création au début des années 1930.
Dans la quatrième salle, on découvre des œuvres de Jean Metzinger (1883-1956) avec Le Sphinx, de Jean Viollier (1896-1985) avec un ensemble sur Le Jugement dernier, La Barque du Paradis et l’Enfer et des œuvres d’artistes moins connus comme le peintre équatorien Manuel Rendón Seminario (1894-1982) et le sculpteur arménien Yervand Kotchar (1899-1979) dont on voit une étonnante Peinture dans l'espace (1934) semblable à celle qui ornait l’appartement de Rosenberg. Toutes ces œuvres «inclassables» sont en marge du mouvement du surréalisme fondé en 1924 par André Breton.
Vient ensuite le magnifique cycle des «Transparences» de Francis Picabia (1879-1953). L’artiste construit ses toiles en superposant des motifs différents les uns sur les autres, ce qui leur donne un aspect ésotérique propice à la rêverie, tout à fait en phase avec la chambre de Madame Rosenberg. Dans cette salle se trouvent d’autres peintures «évanescentes», œuvres de Max Ernst (1891-1976), Amédée Ozenfant (1886-1966) et Alberto Savinio (1891-1952).
L’exposition se termine avec un grand décor de Fernand Léger (1881-1955), Les Quatre Saisons, conçu à l’origine pour le vestibule d’entrée.
Une exposition originale qui donne un aperçu des différents styles qui coexistaient à la même époque. R.P. Musée Picasso Paris 3e. Jusqu’au 19 mai 2024. Lien : www.musee-picasso.fr.