LES CHOSES
Une histoire de la nature morte

Article publié dans la Lettre n°560 du 21 décembre 2022



 
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LES CHOSES. Une histoire  de la nature morte. « Les choses », quel titre banal pour désigner une grande exposition au Louvre ! Que dire aussi de ces « natures mortes » où l’on peut représenter des plantes bien vivantes ? Avec leur « still life », les anglo-saxons sont plus proches que nous de la véritable nature de ces « choses » représentées par les artistes. Sous la banalité de ce titre, l’auteure et commissaire Laurence Bertrand Dorléac, nous invite à une revue chronologique et thématique de l’histoire de ces choses telles que les ont vues les artistes, depuis la préhistoire jusqu’à nos jours.
Le parcours est conçu en quinze sections auxquelles il convient d’ajouter une œuvre monumentale de l’artiste camerounais Barthélémy Toguo, Le Pilier des migrants disparus (2022), installée sous la pyramide.
La première salle nous présente un ensemble d’objets allant de la préhistoire, avec un dessin d’une œuvre retrouvée sur le cairn de Gavrinis dans le Morbihan, jusqu’à une hache néolithique emballée sous plastique dans un pain d’argile par Hubert Duprat (Volos, 2013). Entre les deux on remarque, entre autres, une stèle égyptienne, la Madeleine à la veilleuse de Georges de la Tour (vers 1642-1644), des compositions de Boltanski et deux films. En effet, la commissaire s’est intéressée à toutes les formes artistiques aussi bien la peinture et la sculpture que la photographie, le cinéma et la vidéo. Dans cette salle l’extrait du film L’Épouvantail (1920) de Buster Keaton, où ce dernier utilise les « choses » avec maestria, est particulièrement bien choisi.
Il n’est pas possible de rendre compte en détail de cette exposition où quelque 170 objets sont présentés. Arrêtons-nous cependant sur quelques-uns particulièrement significatifs par leur originalité ou leur perfection, comme ces mosaïques romaines représentant un memento mori et des victuailles. Elles nous rappellent qu’il faut profiter de la vie pendant qu’il en est temps !
Si l’exposition présente quelques objets non européens, comme cette cloche du Royaume de Bénin (XVIe-XVIIe siècles), elle est d’abord consacrée à l’art occidental. Or celui-ci a subi une éclipse de 1000 ans entre la chute de l’Empire romain au VIe siècle et le XVIe siècle où l’on commence à s’intéresser de nouveau aux choses en tant que telles et non pas en tant que symboles dans l’art religieux. Nous avons trois magnifiques illustrations de cette « émancipation » de l’art religieux avec un trompe-l’œil de l’École allemande (vers 1530) et deux stupéfiantes armoires en marqueterie de Vincenzo da Verona (entre 1520 et 1523).
Au cours de la seconde moitié du XVIe siècle apparaissent des tableaux représentants des accumulations de choses telles que viandes, poissons, légumes, objets précieux etc. La commissaire, entrecroisant les époques, juxtapose un tableau de Jan Davidsz de Heem, La Desserte (1640) avec sa copie réinterprétée par Matisse en 1915. Dans cette même section, nous avons aussi des peintures et photographies contemporaines, dans la droite ligne des œuvres flamandes comme cet Europortrait d’Esther Ferrer (2002).
C’est au XVIIe siècle que les choses commencent à être peintes pour elles-mêmes, selon les goûts des artistes. C’est aussi à cette époque que l’on décrète que la nature morte est un genre mineur, que l’on délègue donc aux femmes. Elles excelleront dans ce genre ! Peu à peu les choses prennent de l’importance. Arcimboldo (1526-1593) brouille les pistes en utilisant des fruits et des légumes pour représenter des figures humaines. D’autres, tel Meléndez (1716-1780), les mettent au premier plan d’un paysage, qu’elles éclipsent. Mais c’est vraiment au XVIIIe siècle que les choses triomphent à la suite des travaux de Chardin (1699-1779), Desportes, Meléndez et d’autres.
Au milieu du parcours, une section est consacrée aux « vanités », déjà entrevues avec les mosaïques de Pompéi. Ce genre devient très populaire au XVIIe siècle et connaît aujourd’hui un regain d’intérêt chez des artistes tels les frères Chapman, Barthélemy Toguo ou Jean-Loup Champion.
Si, parmi les choses, les objets ont la cote, les dépouilles d’animaux ne sont pas en reste comme le montre la section « La bête humaine ». On y trouve des toiles de Jan Vosmaer, Rembrandt, Goya, Géricault, Courbet à côté d’une œuvre de Andres Serrano de 1984.
Comme l’avaient déjà fait leurs anciens en peignant des objets modestes, comme des pantoufles, les artistes de la seconde moitié du XIXe siècle peignent des choses banales. Tel est le cas de Manet avec Le Citron (1880) et L’Asperge (1880), de van Gogh avec sa Chambre à Arles (1889), de Gauguin avec Le Jambon (1889), de Rousseau avec La Bougie rose (vers 1908) ou encore de Foujita avec Mon intérieur, Paris (1921) où la commissaire voit un autoportrait moderne, à la manière d’Arcimboldo !
Les sections suivantes évoquent tout d’abord les objets « Dans leur solitude » comme dans le tableau de Giorgio de Chirico, Mélancolie d’un après-midi (1913) où des artichauts sont disposés sur un fond industriel vide. Puis comme des « Choses humaines » : marionnettes, poupées ou membres humains, telle cette jambe de Robert Gober, Untitled (1991). Avec « Les temps modernes », les choses peuvent servir à définir des personnes comme le fait Arman avec son Portrait-robot d'Iris Clert, sa galeriste (1960) ou deviennent des œuvres d’art par la seule volonté de l’artiste comme le fait Duchamp avec son Porte-bouteilles (vers 1921) acheté tel quel au Bazar de l'Hôtel-de-Ville. Les choses peuvent aussi être des « objets poétiques » comme cette Table (1933) d’Alberto Giacometti, ce Bagage de lune (1959) de Louise Nevelson ou encore cet Écureuil (1969) de Meret Oppenheim, à savoir une queue d’écureuil collée sur un verre de bière avec un peu de mousse.
L’exposition se termine avec des œuvres modernes et contemporaines qui, tout en s’inspirant des représentations du passé, traduisent moins la joie que nos craintes : mort, solitude, maladie, pauvreté, dérèglement climatique etc.
Une exposition virtuose avec des cartels très clairs et des commentaires intéressants sur chacune des œuvres présentées. R.P. Musée du Louvre 1er. Jusqu’au 23 janvier 2023. Lien : www.louvre.fr..

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