BRANCUSI. La rétrospective. À son décès, Constantin Brancusi (1876-1957) lègue son atelier à l’État français, à charge pour celui-ci de le reconstituer. C’est ce qui sera fait d’une manière partielle au Palais de Tokyo, puis intégralement au Centre Pompidou. Dans la présente rétrospective, l’un des quatre espaces de l’atelier, celui avec les outils, est reconstitué. Brancusi conservait tout: lettres, articles de presse, agendas, factures, disques, etc. Ce sont plus de 10 000 objets qui sont conservés aujourd’hui au Centre Pompidou, dans la Bibliothèque Kandinsky. Brancusi réalisait aussi des tirages en plâtre ou en bronze des œuvres qu’il vendait, de façon à conserver l’unité de son atelier, à la fois musée de sa création et œuvre en soi. Son lègue permet donc de présenter un très grand nombre de sculptures, plus de 120 avec celles prêtées par les plus grands musées internationaux. Avec les photographies, dessins et films de l’artiste, cette grande rétrospective constitue un événement exceptionnel.
Brancusi, déjà primé et exposé dans son pays natal, la Roumanie, se rend à Paris, en grande partie à pied, en 1904. Il s’inscrit à l’école des Beaux-arts et commence à exposer régulièrement dans les Salons. Début 1907 il travaille brièvement dans l’atelier d’Auguste Rodin. C’est là qu’il veut se démarquer du maître et trouver sa propre voie comme le montre, dès cette année-là, trois œuvres majeures: Le Baiser, La Sagesse de la Terre et La Prière. Abandonnant le modelage pour la taille directe, Brancusi est considéré comme l’inventeur de la sculpture moderne.
Le parcours en onze sections, plus une longue galerie biographique, est essentiellement thématique. Brancusi reprenait sans cesse les mêmes sujets qu’il modifiait et traitait avec des matériaux différents. Le choix des socles avait également une très grande importance comme l’avait montré le Musée Rodin en 2005 avec son exposition «La Sculpture dans l’espace, Rodin, Brancusi, Giacometti» (Lettre 250).
Une fois franchie la salle d’introduction où l’on voit l’un de ses Coqs, nous arrivons dans la première section, «Blancheur et clarté». En effet ce sont ces termes qui évoquent le mieux l’impression que faisaient son atelier et ses œuvres aux nombreux visiteurs de l’impasse Ronsin, à Paris. Trois gigantesques Coqs, symboles de la France, la terre d’accueil de l’artiste, occupent cette section.
Ensuite, avec «Aux sources d’un nouveau langage» nous voyons les influences multiples qui ont imprégné l’art de Brancusi: Rodin mais aussi Gauguin, Derain, la Grèce, l’Égypte, les arts africains etc. Ses œuvres sont mises en parallèle avec celles qui l’ont inspiré.
Dans la section suivante qui ouvre sur son atelier, nous avons quelques créations en bois, le matériau privilégié de sa région natale. On y trouve une porte, une cariatide, mais aussi des tabourets, des vases, etc. des sculptures proches des véritables objets familiers.
Le parcours se poursuit avec la «Ligne de vie». C’est une longue galerie chronologique précisant les principales étapes de la vie de Brancusi. Elle est illustrée avec des dessins, des photographies, des films, des lettres, etc. de sa main, à côté d’œuvres d’artistes tels que Duchamp, Léger, Modigliani, Man Ray, etc. avec lesquels il était ami.
Une partie de cette «Ligne de vie» est consacrée au procès qui l’opposa aux douanes américaines. Brancusi dut leur démontrer que son Oiseau dans l’espace n’était pas un objet industriel mais bien une œuvre d’art, la représentation abstraite d’un oiseau.
Après la reconstitution d’une partie de son atelier, pleine d’outils et de diverses sculptures, nous voici devant son œuvre la plus controversés, Princesse X. Est-ce une vierge ou une verge ? L’aspect équivoque de la sculpture fait scandale et lui vaut d’être refusée au Salon des indépendants en 1920.
Que dire de ses «Portraits», sujets de la section suivante. Ils portent le nom de leurs modèles, exécutés de mémoire, mais se ressemblent tous à quelques petites différences tels les yeux, les chignons, les bouclettes.
Avec «L’envol» nous avons une dizaine d’Oiseaux dans l’espace, dont un en bronze poli, magnifique sur son fond rouge. Justement, dans la section suivante, «Lisse et brut», nous voyons comment Brancusi associe des objets lisses à des supports bruts en bois ou en plâtre. Pour lui il n’y a pas de hiérarchie entre le haut et le bas, entre le banal et le noble et il attache autant d’importance aux deux.
Brancusi aime les objets polis, ceux dans lesquels on se voit comme dans un miroir. Il aime aussi le mouvement, comme son ami Duchamp dont on a vu précédemment les Rotoreliefs. Un magnifique exemple nous est proposé avec Léda, posée sur un socle tournant lentement.
Brancusi aimait beaucoup les animaux. Les visiteurs mentionnent son chien et même un coq blanc. L’avant dernière section nous montre des sculptures représentant des coqs, en plâtre, en bois et en bronze, des poissons, une tortue et même un crocodile. Mais les plus spectaculaires de ces sculptures sont les deux phoques, l’un en plâtre et l’autre en marbre bleu qui se dressent au milieu de la salle.
Le parcours se termine avec l’évocation de deux œuvres emblématiques, la Colonne sans fin et la Porte du Baiser. Brancusi voulait réaliser des œuvres monumentales. Il y parvient en 1926 avec une première Colonne sans fin qu’il installe dans le jardin de son ami Edward Steichen à Voulangis. Lorsque ce dernier déménagera, Brancusi récupérera sa Colonne pour l’installer dans son atelier. Ici nous voyons quatre Colonnes sans fin, dont certaines ne sont que partiellement remontées. Nous avons aussi de multiples éléments de sa Porte du Baiser et un grand nombre de plans, croquis et dessins de ces constructions. En 1937-1938, Brancusi réalise enfin son rêve, en Roumanie, à Târgu Jiu, où il édifie une Colonne sans fin de trente mètres de haut, une Table du Silence et une Porte du Baiser sur un axe d’un kilomètre et demi de longueur. Les films que Brancusi tourne à cette occasion montrent à quel point il était fier de ses œuvres.
Une rétrospective impressionnante bénéficiant d’une scénographie remarquable. À voir absolument. R.P. Centre Pompidou 4e. Jusqu’au 1er juillet 2024.
Lien: www.centrepompidou.fr.