BLACK INDIANS DE LA NOUVELLE-ORLÉANS

Article publié dans la Lettre n°558 du 23 novembre 2022



 
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BLACK INDIANS DE LA NOUVELLE-ORLÉANS. Tous les ans, depuis la deuxième moitié du 19e siècle, la communauté noire de la Nouvelle-Orléans fête le Mardi gras avec un carnaval éblouissant et très codifié. En symbiose avec les amérindiens qui avaient partagé leurs conditions serviles, les groupes d’Africains-Américains organisés en « tribes », qui défilent chaque année en marge du carnaval officiel, à dominante blanche, se définissent comme des Black Indians.
La présente exposition ne se contente pas de présenter quelques-uns des spectaculaires costumes confectionnés pour ce carnaval. Elle nous décrit le processus qui a abouti à ce défilé, depuis les tout débuts de la colonisation jusqu’à nos jours, où le racisme anti-noir sévit encore aux États-Unis, comme le montrent des événements telle la mort par asphyxie de George Floyd en 2020. Pour cela, les commissaires ont conçu un parcours en six sections avec moult objets, panneaux et vidéos.
La première section nous rappelle l’histoire de « La découverte du nouveau monde ». En 1534 Jacques Cartier, après bien d’autres, quitte Saint-Malo pour mettre le cap vers l’ouest et revendiquer la région de Gaspé, dans le golfe du Saint-Laurent, au nom de François Ier. Ayant capturé le chef iroquois Donnacona, celui-ci, pressé de retrouver son pays, raconte aux français ce qu’ils voulaient bien entendre, l’existence de la fabuleuse région de Saguenay (Canada) regorgeant d’or, de rubis et d’autres richesses. C’est le début de diverses expéditions. Citons celle de l’espagnol Hernando de Soto (1539-1543), un désastre qui ne rapporte rien à l’Espagne mais décime par les maladies les sociétés mississippiennes et introduit le cheval dans ce pays. Autre désastre, la mission de Cavelier de La Salle qui parcourt la région du Canada jusqu’à l’embouchure du Mississippi, dont il prend possession au nom de Louis XIV en 1682, embouchure qu’il ne parviendra pas à retrouver au cours de l’expédition suivante ! Enfin, trente années plus tard, en 1718, Jean-Baptiste Le Moyne, dit le « Sieur de Bienville », érige une bourgade qui deviendra le quartier français de La Nouvelle-Orléans, affirmant clairement sa vocation esclavagiste puisque trois ans plus tard, sur 400 habitants on comptait déjà 171 esclaves africains et 21 esclaves autochtones.
C’est ainsi que l’on passe tout naturellement à la deuxième section, « Le triangle de fer : Europe, Afrique et Amériques ». Cette traite transatlantique porte sur plus de douze millions d’esclaves. Très bien organisée, elle permet à ses promoteurs de s’enrichir à chaque étape. En Afrique ils achètent des esclaves contre des objets de faible valeur tels des colliers en verre ou des étoffes bon marché. En Amérique, ils revendent très chers les esclaves et embarquent les produits de leur labeur. En Europe, ils revendent ces produits hautement recherchés.
L’exposition nous montre les conditions inhumaines de ces terribles traversées où les esclaves sont rangés sous le pont comme le seraient, par exemple, des tonneaux, avec des entraves en fer et cela pendant deux ou trois mois. Les statistiques de l’époque font état d’une importante mortalité. Elle évoque aussi le Code noir édicté par Colbert (1685) qui fixe le statut juridique des esclaves et impose leur christianisation. On voit que les esclaves sont considérés comme des biens meubles que l’on peut saisir pour payer des dettes et punir s’ils tentent de fuir.
La religion catholique interdisant le travail le dimanche, les esclaves en profitent pour se réunir, chanter et danser en un lieu, au nord du quartier français de la Nouvelle-Orléans alors appelé « place des nègres » puis « place Congo ». Durant la première moitié du 19e siècle apparaissent les premiers costumes de plumes, précurseurs des Black Indians.
Mais cette situation ne dure pas. La guerre de Sept Ans (1756-1763) épuise la France qui du coup n’arrive plus à maintenir sa présence dans la Nouvelle France (six fois la superficie de la France) et la cède aux britanniques qui doivent alors faire face à une vaste coalition de nations amérindiennes. Enfin en 1803, Napoléon Bonaparte décide de vendre le vaste territoire de la Louisiane (un quart de la superficie des États-Unis actuels) au jeune état, pour un montant équivalent à plus de 300 millions d’euros. C’est cette « transition vers un nouveau pays » que décrit la troisième section. On y voit comment la population de la Nouvelle-Orléans s’est accrue avec les habitants qui fuyaient Saint-Domingue et la première révolte d’esclaves réussie. Il en résulte un mélange de cultures qui donne naissance à diverses religions, comme le vaudou, et musiques, comme le jazz et le blues.
Avec la quatrième section, le parcours aborde le délicat problème des « États-Unis et la question raciale ». La guerre de Sécession (1861-1865) ne met pas fin à l’idée courante dans le sud qu’il existe une « race supérieure » « divinement choisie » pour exploiter les hommes dont la couleur de peau indiquerait leur état de subordonné. Les états sudistes mettent en place des lois de ségrégation, dites lois « Jim Crow ». Celles-ci visent à imposer la ségrégation entre Blancs et gens de couleur dans les services publics et les lieux de rassemblement, et aussi à fournir une main d’œuvre bon marché par le biais de pseudo contrats sous-payés réservés à des milliers d’Africains-Américains émancipés mais sans-emploi. C’est le cas à la Nouvelle-Orléans où la ségrégation résidentielle confine ces derniers dans les quartiers les plus pauvres, situés pour la plupart sous le niveau de la mer.
On nous explique aussi ce qu’était le Convict Leasing. Ce système permettait de mettre gratuitement les prisonniers à la disposition des employeurs. Il en est résulté des abus aboutissant à condamner des gens à de lourdes peines pour des faits banaux tels que cracher par terre ! Les commissaires dressent aussi le portrait de quelques figures emblématiques comme Abraham Lincoln, Rosa Parks ou encore Laura Smith Haviland et son chemin de fer souterrain.
Dès 1865, six vétérans confédérés fondent le Ku Klux Klan (KKK) qui compte près de cinq millions de membres en 1925. De son côté, la White League, dont les membres agissent à visage découvert, vise à intimider les esclaves affranchis. Entre 1877 et 1950, plus de 4 000 personnes ont été lynchées dans les États du Sud pour imposer le maintien de la suprématie blanche. Encore aujourd’hui, sous la présidence de Donald Trump, on a vu des manifestations de suprémacistes blancs scandant « You will not replace us ! » (« Vous ne nous remplacerez pas ! ».
Le parcours s’attache aussi à décrire l’ouragan Katrina et ses conséquences dévastatrices le 29 août 2005. C’est l’occasion de montrer combien la situation des habitants des quartiers pauvres était précaire avec des digues mal entretenues, l’état n’ayant rien fait, qui ont cédé, inondant la ville. Plus d’un million d’Africains-Américains sont alors dispersés à travers la Louisiane et les États-Unis. Aujourd’hui encore, nombre de maisons n’ont pas été reconstruites. Il a fallu des gens comme Victor Harris, un Big Chief (chef de tribe), qui a appelé ses concitoyens à revenir pour le carnaval de 2006 et l’action des Social Aid and Pleasure Clubs, créés en 1884, pour permettre la reconstitution des communautés après l’ouragan Katrina.
Enfin, après nous avoir montré quelques-uns de ces costumes éblouissants dans les sections précédentes, le parcours débouche dans une vaste salle où sont exposés non seulement des tenus de Big Chiefs, mais aussi de Second Lines, de Baby Dolls et de Skull and Bones Gangs. Ces costumes qui demandent des journées de travail traduisent dans leurs motifs les croyances et les cultures de ceux qui les font et les portent le Mardi gras. Une exposition magistrale qui déborde le folklore de la Nouvelle-Orléans pour nous rappeler comment et à quel prix s’est construite cette ville. R.P. Musée du quai Branly Jacques Chirac 7e. Jusqu’au 15 janvier 2023. Lien : www.quaibranly.fr.


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