ARTEMISIA
Héroïne de l'art

Article publié dans la Lettre n°616 du 14 mai 2025



 
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ARTEMISIA. Héroïne de l’art. En 2012, le Musée Maillol rendait hommage à cette artiste d’une renommée internationale en son temps mais complétement oubliée vers la fin du XVIIIe siècle (Lettre 340). Cette exposition complète la précédente avec 28 tableaux d’Artemisia Gentileschi (1593 – vers 1656) auxquels s’ajoutent d’autres tableaux, en particulier de son père, Orazio Gentileschi (1563-1639), et du Caravage (1571-1610).  
Artemisia, née à Rome, se forme dans l’atelier de son père, artiste d’origine toscane influencé par Caravage, un ami avec lequel il se brouilla vu les tempéraments de chacun. Très vite son père se rend compte de son talent exceptionnel. Si la jeune fille n’a pas accès aux académies et aux vestiges de l'Antiquité, comme ses collègues masculins, elle peut voir les tableaux du Caravage dans les églises romaines.
Un épisode dramatique de sa vie permet de mieux cerner le caractère d’Artemisia et ses choix en peinture. En 1611, elle est violée par un employé de son père, le peintre Agostino Tassi. Celui-ci refuse de l’épouser et contraint donc Orazio et sa fille à lui intenter un procès au cours duquel Artemisia est torturée afin de prouver la véracité de ses accusations. Tassi est condamné à cinq ans d’exil mais, protégé par le pape, revient rapidement à Rome. La manière dont Artemisia surmonte cette épreuve révèle sa résilience, son courage et sa détermination. Certains y voient son goût pour des sujets tels que Judith et sa servante avec la tête d'Holopherne ou Yaël et Siséra, des sujets où des femmes tuent des hommes.
À l’issue du procès, Artemisia épouse le florentin Pierantonio Stiattesi, peintre et apothicaire, et part avec lui à Florence. Là elle développe aussi bien ses compétences techniques que son érudition, apprenant à lire et à écrire de la poésie. Presque illettrée dans sa jeunesse, elle finit par être considérée comme une savante, correspondant avec des personnalités importantes, des souverains et des scientifiques tel Galilée. Cela lui permet de tisser un réseau dans toute l’Europe.
Fuyant les créanciers, le couple revient en 1620 à Rome où Artemisia fréquente le cercle des peintres caravagesques, dont les français Simon Vouet, qui fait son portrait, et Nicolas Régnier. En 1623 Stiattesi, selon les registres paroissiaux, disparaît de la vie d’Artemisia. Celle-ci a alors un statut hors norme: elle est recensée en tant que responsable de son propre foyer, composé de sa fille Prudenzia, la seule de ses cinq enfants qui atteignit l’âge adulte, et de ses domestiques.
Tandis que son père quitte définitivement Rome pour Gênes, puis la France et enfin Londres, Artemisia s’installe à Venise, puis à Naples. En 1638 elle rejoint son père à Londres pour l’aider à réaliser un plafond pour la reine à Greenwich. Une reproduction de celui-ci est exposée au plafond de la première salle. Son père meurt l’année suivante et Artemisia revient à Naples en 1640. C’est là qu’elle termine sa vie et décède, sans doute en 1656 durant la grande épidémie de peste.
Le parcours de l’exposition commence avec des œuvres célèbres : Loth et ses filles (1628), Esther et Assuérus (vers 1628), Ulysse reconnaissant Achille parmi les filles de Lycomède (vers 1640). Nous avons aussi quelques toiles de son père et son portrait par Simon Vouet (vers 1622-1626). Celui-ci nous familiarise avec son visage que l’on retrouvera, non seulement dans ses autoportraits mais aussi dans les représentations de certaines de ses héroïnes.
La salle suivante nous montre l’évolution de son style en le comparant à celui de son père. C’est frappant dans Judith et sa servante, peint vers 1612 par Orazio et vers 1615 par sa fille. Dans le second, la psychologie des personnages est plus approfondie et ajoute à la dramaturgie de la scène. On y voit aussi l’étonnant tableau Suzanne et les vieillards, peint en 1610, alors qu’elle n’avait que 17 ans. Viennent ensuite des tableaux caravagesques dont Le Couronnement d’épines (vers 1605) du Maître, deux tableaux d’Orazio et une superbe Danaé (vers 1612), entièrement nue et en plein extase sous une pluie de pièces d’or.
Après une copie du XVIIe siècle,représentant Judith décapitant Holopherne, et une Allégorie de l’Inclination (vers 1615-1616) nous entrons dans la salle des portraits. Nous y voyons un autoportrait véritable (Autoportrait en joueuse de luth [1614-1615]) et d’autres dans divers sujets comme cette Tête d’héroïne (années 1620). Elle se montre aussi très habile dans la représentation de chevaliers de différents ordres.
Les commissaires nous présentent ensuite quelques dessins (1620) de Leonaert Bramer (1596-1674) représentant des peintres célèbres parmi lesquels on ne trouve qu’une seule femme, Artemisia, sous les traits d’un homme à moustache, ce qui prouverait qu’elle était considérée à l’égal d’un homme par ses pairs !
La septième salle aborde exclusivement le thème considéré comme le plus noble, celui de la peinture d’histoire. Artemisia y excelle avec des Madeleine pénitente, un Saint Jean-Baptiste dans le désert (années 1630), une Minerve (vers 1635-1639) et surtout sa Vénus endormie (vers 1626) à qui elle a sans doute donné ses propres traits. Notons dans ce tableau un petit paysage peint par un collaborateur spécialisé dans ce sujet.
Sous le titre « Éros et Thanatos », le parcours se termine avec une nouvelle Judith et sa servante avec la tête d'Holopherne (vers 1640-1642), un dramatique Yaël et Siséra (1620) et surtout trois Cléopâtre se donnant la mort. Dans la toile de 1620 on reconnaît, une fois de plus, le visage d’Artemisia, un souhait de ses commanditaires. Une exposition passionnante, avec des cartels développés très intéressants et une agréable scénographie. R.P. Musée Jacquemart-André 8e. Jusqu’au 3 août 2025. Lien : www.musee-jacquemart-andre.com.

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