ALLEMAGNE / ANNÉES 1920 / NOUVELLE OBJECTIVITÉ / AUGUST SANDER. C’est à une double exposition que nous convie le Musée national d’art moderne avec ce programme. En effet, à côté des œuvres des artistes allemands des années 1920 regroupées sous le nom de « Nouvelle Objectivité » par l'historien de l'art Gustav Friedrich Hartlaub, les commissaires ont ajouté un autre parcours, recoupant le premier en certains endroits, consacré au photographe August Sander (1876-1946). Après une carrière de photographe itinérant, celui-ci consacra sa vie à tenter de classifier toute la population allemande avec des photographies regroupées en sept groupes et quarante-cinq portfolios. C’est ainsi que la photographie de Marta Hegemann, une femme peintre, est attribuée au groupe III, La Femme, et au portfolio 17, La Femme exerçant un métier intellectuel et manuel. Si cette œuvre ambitieuse et gigantesque, « Les Hommes du XXe siècle », est restée inachevée, elle constitue un monument de l’histoire de la photographie. Nous en voyons non seulement de larges extraits mais aussi des documents permettant de comprendre la genèse de cette construction organique. Le parcours consacré à August Sander nous présente les sept groupes, à savoir « Le paysan », « L’artisan », « La femme », « Les états », « Les artistes », « La grande ville » et « Les derniers hommes ». Sous le terme « Les états » [Die Stände], Sander regroupe, comme à l’époque féodale, ceux qui gouvernent, ceux qui prient et ceux qui combattent. Parmi les nombreux portfolios de ce groupe, citons, L’aristocrate (24), L’ecclésiastique (25), Le soldat (23), Le fonctionnaire (20), L’homme politique (28), Le médecin et le pharmacien (21) etc. Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, il ajoute le portfolio Le national-socialiste (23a), classé à côté du portfolio sur Le soldat (23) et non pas à côté de celui sur L’homme politique (28). Déjà, en 1938, il avait créé le groupe 44, Les Persécutés, où l’on trouve des photographies de déporté(e)s. Les huit sections consacrées à la Nouvelle Objectivité décrivent ce mouvement pluridisciplinaire, dans lequel les artistes en tout genre des années 1920, sous la République de Weimar (1918-1933), se tournent vers un style figuratif plus neutre et moins expressif, après la lourde défaite qui a eu raison de leurs utopies. En introduction (« Genèse ») nous voyons la liste manuscrite des artistes invités par Hartlaub à l’exposition de la Nouvelle Objectivité à Mannheim en 1925 et divers tableaux des peintres qui y ont participé comme George Grosz, Alexander Kanoldt, Georg Scholz ou Georg Schrimpf. Viennent ensuite huit sections décrivant les principaux aspects de ce courant artistique. La première, « Standardisation », nous montre des peintres ou des architectes qui ne cherchent plus l’individu mais l’appartenance sociale à un groupe, comme le fait August Sander en photographie. À Francfort, l’architecte Ernst May construit en cinq ans 10 000 logements aux formes simples et identiques. Marcel Breuer conçoit un mobilier en acier tubulaires aux formes pures dont on voit quelques exemples. Parmi les nouveautés de l’époque, celle du « montage » est en vogue. Elle permet à Karl Hubbuch de faire quatre portraits contrastés de sa femme sur une même toile. À Christian Schad de faire le Portrait du Comte St-Genois d’Anneaucourt (1927), à côté d’un travesti berlinois devant une rue de Montmartre. Ou encore à Sasha Stone de mettre la porte de Brandebourg à côté d’une mosquée de Constantinople (Si Berlin était Constantinople, avant 1929). Les artistes s’intéressent aussi aux « choses » comme les plantes ou les objets manufacturés qu’ils représentent sans filtre, avec objectivité. L’époque est marquée par la honte de la défaite. Il s’agit alors de préserver son image auprès des autres. Apparaît ce que Lethen nomme la « persona froide ». Le portrait se concentre sur les signes extérieurs des individus. Les artistes nomment leurs portraits « homme d’affaires », « médecin », etc. Arrive aussi la Neue Frau (nouvelle femme), émancipée et adoptant des attributs masculins. Liée à La Nouvelle Objectivité, la notion de « Gebräuch (utilité) » fait son apparition dans l'Allemagne des années 1920 dans les domaines du théâtre, de la musique et de la littérature, à l’image de ce qui se passe aux États-Unis. Le jazz fait lui aussi son apparition. Erwin Piscator et Bertolt Brecht développent le théâtre épique qui contribue à l’éveil politique du spectateur. Compte tenu d’une période de stabilité et de croissance relative, l’Allemagne adopte la « rationalisation » du travail mise au point par Taylor. Les artistes sont fascinés par les sites industriels, les machines, la radio. Les architectes repensent l’aménagement des petits logements. On voit ici, « en vrai », une cuisine repensée pour faciliter le quotidien des ménagères. Après la guerre, durant laquelle les femmes ont occupé les postes laissés vacants, celles-ci occupent le marché du travail et obtiennent en 1918 le droit de vote. Elles s’approprient alors les codes de la masculinité. Les travestis peuvent se montrer dans les cabarets, comme l’Eldorado. Mais ce décloisonnement des genres génère des angoisses chez certains artistes. Ils peignent alors des scènes de crimes sexuels pour conjurer l’émancipation féminine, perçue comme une menace. Cette prospérité, cette nouvelle vie, la fréquentation des théâtres et des cabarets ne sont pas données à tout le monde. Les artistes de la Nouvelle Objectivité, souvent membres du parti communiste, décrivent le quotidien des masses laborieuses. C’est par exemple le cas de Hans Baluschek avec Sommerabend (Soir d'été, 1928), exposé dans la dernière section de ce parcours, « Regard vers le bas », où l’on voit des familles ouvrières profitant de l’air frais et de rares étendues d’herbe au pied de leur immeuble jouxtant une usine et une voie ferrée. Une exposition magistrale, riche de 900 œuvres et documents. R.P. Centre Pompidou 4e. Jusqu’au 5 septembre 2022. Lien : www.centrepompidou.fr. 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