« À TOI APPARTIENT LE REGARD ET (…)
LA LIAISON INFINIE ENTRE LES CHOSES »

Article publié dans la Lettre n°507 du 16 septembre 2020



 
Pour voir le parcours en images de l'exposition, cliquez ici.

«  À TOI APPARTIENT LE REGARD ET (…) LA LIAISON INFINIE ENTRE LES CHOSES ». C’est la première exposition exclusivement consacrée à la photographie contemporaine et à la vidéo organisée à l’intérieur du Musée du quai Branly – Jacques Chirac. Il n’y a pas de sujet proprement dit sinon la volonté de sa commissaire, Christine Barthe, de montrer des images, fixes ou en mouvement, et des installations d’images, qui retiennent l’attention par la qualité de ce qu’elles expriment. Pour cela elle a fait appel à 26 artistes issus de 18 pays d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et d’Amérique. Parmi ceux-ci il y en a de très connus sur le plan international comme Guy Tillim, Dinh Q. Lê, José Alejandro Restrepo, Dayanita Singh, Sammy Bajoli, Rosângela Rennó, Mario Torrès, Yoshua Okón, Samuel Fosso ou Brook Andrew et d’autres, jeunes et émergents, comme Gosette Lubondo, Lek Kiatsirikajorn,  Cinthya Soto ou José Luis Cuevas, tous les quatre ayant bénéficié des Résidences photographiques mises en place par le musée depuis 2008, en faveur de photographes non-européens. Ces Résidences ont permis d’intégrer aux collections du musée les séries photographiques de 35 lauréats, soit l’équivalent de 464 tirages.
Le titre de l’exposition est issu d’un texte de l’écrivain allemand August Hülsen (1765-1809) qui décrit son expérience visuelle des chutes du Rhin, en 1800, soulignant la capacité de l’œil à recomposer une unité dans un paysage étranger perçu jusque-là par fragments. Transposée ici, cette évocation nous rappelle que les significations, que nous pouvons tirer de ces rencontres avec des œuvres trop rarement vues, dépendent aussi de l’attention que nous leur accordons, et comment nous les regardons. Travaillant dans 18 pays différents, les 26 artistes présents proposent non seulement des œuvres éclairantes, mais également des points de vue précisément localisés.
Le parcours de l’exposition comprend cinq sections. Un petit classeur, remis à l’entrée, permet de conserver les fiches mises à la disposition des visiteurs à côté des œuvres de chacun des artistes. Cette idée originale permet de conserver un souvenir précis et documenté de l’exposition.
Celle-ci s’ouvre, en préambule, sur une œuvre étonnante, présentée pour la première fois dans son intégralité, Sixsixsix (2015-2016), de Samuel Fosso. Elle est constituée de 666 autoportraits au Polaroïd grand format (21 x 30 cm). C’est une des rares ou l’artiste, que l’on retrouvera plus loin, apparaît sans maquillage ni costume, et où l’image est centrée sur le visage.
Dans la première section, « L’image est-elle un coup d’œil arrêté ? », on voit le point de vue de six jeunes artistes, dans les parcs argentins, en Islande, en Thailande, aux frontières de l’Afrique du sud ou au Japon. C’est ainsi que Daniela Edburg, face à l’interdiction de prendre quelque élément que ce soit dans la nature, en Islande, en produit de nouveaux artefacts, avec des brindilles de coton ou des cailloux tricotés, qu’elle brandit au centre de ses images (Projet échantillons, Islande, 2013-2014).
Avec « se reconnaître dans une image », la commissaire se demande comment on s’identifie à des personnalités via des images ? On y voit, en diaporama, 80 diapositives tirées du célèbre The black photo album / Look at me de Santu Mofokeng qui reproduit des photographies historiques de la bourgeoisie noire sud-africaine du début du 20e siècle, avant l’Apartheid, collectées par l’artiste. Samuel Fosso, quant à lui, se représente grimé en personnalités connues comme Martin Luther King ou Angela Davis (African Spirits, 2008). Du grand art ! Dans cette section, on voit aussi des statues et des édifices réalisés en Afrique par la Corée du nord, qui cherche ainsi à importer ses modèles !
Vient ensuite une section absolument spectaculaire, « Les images se pensent entre elles » où s’imposent l’installation de Dinh Q. Lê, Crossing the Farther Shore, 2014, réalisée avec des milliers de photographies issues d’albums de familles, et l’œuvre de Brook Andrew, Horizon, 2020, créée à la demande du musée. Six autres artistes sont également présents ici avec des œuvres très originales.
La quatrième section fait référence au « entre les choses » du titre de l’exposition. Ici il s’agit des paysages. On retrouve Dinh Q. Lê, qui a mené une enquête sur la postérité du Guano Island Act de 1856, par lequel les États-Unis s’étaient octroyés le droit de prendre possession de toute île inhabitée contenant du guano (La colonie, 2016-2019, vidéo) ! Avec Essay on urban planning, 2013, Sammy Baloji illustre les conséquences à Lubumbashi (RDC), jusqu’à ce jour, d’une décision prise en 1929, imposant à chaque travailleur d’apporter 50 mouches à la distribution quotidienne de la ration, pour lutter contre leur invasion dans les quartiers coloniaux. Autre œuvre marquante dans cette section, la série Imaginary trip II, 2018, de la jeune Gosette Lubondo qui convoque les silhouettes fantomatiques d’étudiants fictifs, elle comprise, qui réinvestissent un lycée désaffecté.
Le parcours se termine avec « Passages dans le temps » où les œuvres présentées évoquent plusieurs temporalités décalées, comme le fait avec The Indian Project (2015, vidéo), Yoshua Okón avec la relecture ironique de la performance de Joseph Beuys en 1974, I like America and Amerika likes me, observant la logique de perpétuation des processus d’appropriation culturelle.
Une exposition très originale, bien documentée, donnant au visiteur toutes les clés pour comprendre les œuvres exposées, dont beaucoup se suffisent à elles-mêmes. R.P. Musée du quai Branly - Jacques Chirac 7e. Jusqu’au 1er novembre 2020. Lien : www.quaibranly.fr.


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