Parcours en images de l'exposition

MODIGLIANI / ZADKINE
Une amitié interrompue

avec des visuels mis à la disposition de la presse
et nos propres prises de vue

Parcours accompagnant l'article publié dans la Lettre n°611 du 5 mars 2025



Titre de l'exposition
 

Le musée Zadkine consacre pour la première fois une exposition à l'amitié qui a réuni, au temps de leur jeunesse, le sculpteur Ossip Zadkine et le peintre Amedeo Modigliani. Modigliani comme Zadkine appartiennent à la génération d'artistes qui prirent «Paris pour école» au début du XXe siècle. Les deux artistes se rencontrent à Montparnasse en 1913, aux portes du jardin du Luxembourg. Modigliani, formé à la peinture, rêve alors de devenir sculpteur. Il réalise d'étonnantes têtes en pierre, précédées de dizaines de dessins préparatoires, et invite Zadkine dans son atelier pour lui montrer son travail. Naît ainsi une amitié artistique aussi intense que brève, car bientôt interrompue par la Première Guerre mondiale puis la mort prématurée de Modigliani en janvier 1920.

Grâce à des prêts exceptionnels, provenant de musées prestigieux et de collectionneurs privés, l'exposition du musée Zadkine fait se confronter les œuvres de «Modi» et de Zadkine, mettant en évidence leur parenté d'inspiration. Le parcours retrace les étapes d'une amitié d'exception, depuis les débuts parisiens des deux artistes jusqu'à la mort de Modigliani. Il met en avant les cercles de sociabilité communs des deux artistes à Montparnasse, ainsi que le rôle pris par Zadkine dans l'édification posthume du mythe Modigliani. La dernière section interroge le rapport des deux artistes à l'architecture et offre une évocation spectaculaire du projet de temple à l'Humanité, rêvé par Modigliani.

Marc Vaux. Portrait photographique de Modigliani. Contretype avec retouches de Zadkine. Paris, archives du musée Zadkine.

 
Texte du panneau didactique.


1 - Les débuts à Paris

Scénographie. Photo Nicolas Borel.

Pratiquement contemporains, Modigliani, né en 1884 à Livourne, et Zadkine, né en 1888 à Vitebsk, sont arrivés à Paris l’un après l’autre, Modigliani début 1906 et Zadkine fin 1910. Avant 1910, le Livournais peignait à la manière d’Henri de Toulouse-Lautrec. En 1909-1910, il se mit à sculpter en taille directe des têtes archaïsantes qu’il exposa au Salon d’automne de 1912. Ce sont des têtes très stylisées, allongées ou ovoïdes dans l’esprit de Brancusi qu’il avait rencontré en 1909. Il emprunte à l’art africain, à l’Égypte et à la sculpture khmère. Zadkine se fait connaître par des sculptures qu’il qualifie lui-même de «primitives» lors de ses premières participations aux salons. Dans l’esprit de Zadkine, «archaïsme» veut dire un retour aux formes et à l’esprit des arts égyptien ou grec qu’il a découverts au cours de sa période anglaise au British Museum, mais aussi de l’art asiatique, de la sculpture romane et des sculpteurs africains et océaniens. Il est marqué par le style de Modigliani dont il fait la connaissance en 1913 et réalise des têtes et des figures humaines caractérisées par l’idéalisation et la frontalité des formes. Une expressivité singulière et son sens des matériaux distinguent cependant le sculpteur d’origine russe. Peu avant la Première Guerre mondiale, les deux artistes évoluent vers le cubisme sous l’influence de rencontres, notamment celle avec Picasso qui habitait alors rue Schoelcher à Montparnasse. Mais leur personnalité artistique déjà bien affirmée reste irréductible à ce que Zadkine appelle le «monachisme cubiste».


 
Texte du panneau didactique.
 
Ossip Zadkine (1888-1967). Hermaphrodite, 1914. Bronze, Susse Fondeur, tirage 1/5. Paris, musée Zadkine.

 
Amedeo Modigliani. Femme au ruban de velours, vers 1915. Huile sur papier collé sur carton, 54 x 45,5 cm. Achat à Mme Jean Walter avec le concours de la Société des Amis du Louvre, 1959. Paris, musée de l’Orangerie. Photo © GrandPalaisRmn (musée de l'Orangerie) / Hervé Lewandowski.

En 1914, sous l'influence de son marchand, Paul Guillaume, Modigliani renonce à la sculpture et redevient peintre avec passion. Il n'oublie cependant pas ce que la pratique de la sculpture lui a appris. La Femme au ruban de velours possède ainsi un visage-masque qui évoque les sculptures africaines que Modigliani admirait tant, tout comme Zadkine. Avec ses yeux en amande, aux orbites pleines, incrustées de marbre gris, la Tête de femme réalisée par Zadkine presque dix ans plus tard présente une physionomie très proche.
 
Cartel à destination du jeune public.

Scénographie
 
Ossip Zadkine (1888-1967). La Sainte Famille, 1912-1913. Mortier de plâtre et pigments. Paris, musée Zadkine.

 
Amedeo Modigliani (1884-1920). Rosa Mistica, vers 1916. Crayon graphite gras sur papier vélin. Paris, musée Bourdelle.

Le grand dessin Rosa mistica, exécuté vers 1916 par Modigliani, était peut-être destiné à illustrer un ouvrage de Max Jacob, poète d'origine juive et converti au catholicisme en 1915 que connaissait également Zadkine. Dans La Sainte Famille, taillée vers 1912-1913, Zadkine donne aux figures de Jésus, Marie et Joseph un aspect simple et stylisé très proche dans l'esprit de la maternité dessinée par Modigliani.
 
Amedeo Modigliani (1884-1920). Beatrice Hastings, 1915. Huile sur carton marouflé sur bois. Milan, Museo del Novecento.

Beatrice Hastings a été présentée à Modigliani par le poète Max Jacob en 1914. Entre 1914 et 1916, sa passion tumultueuse pour la «belle Anglaise» lui inspire des portraits peints et nombre de dessins. La peinture de 1915 montre plusieurs traits hérités de la période sculpturale: style sévère, visage ovale sur un long cou, larges orbites en amande des yeux sans pupille, nez droit, bouche pincée. Au contraire, le dessin, tout en courbes et arabesques, montre Beatrice au naturel, accoudée dans un fauteuil.
 
Amedeo Modigliani (1884-1920). Beatrice Hastings dans un fauteuil, vers 1916. Graphite sur papier. Milan, Galleria d'Arte Moderna.

 
Scénographie

 
Amedeo Modigliani (1884-1920). Tête de femme, 1911-1913. Calcaire. Paris, Centre Pompidou. Musée national d’art moderne / Centre de création industrielle.

 
Ossip Zadkine (1888-1967). Tête héroïque, 1909-1910. Granit. Paris, musée Zadkine.

Tête héroïque a été taillée par Zadkine dans un bloc de granit sur lequel il se souvient avoir cassé «tous [ses] ciseaux». La forme du bloc inspire le sculpteur qui utilise les irrégularités de la pierre pour suggérer les yeux et la bouche: faire avec la nature est la marque de Zadkine. Modigliani taille Tête de femme dans un calcaire plus tendre, mais il veut obtenir le dessin parfait qu’il a dans l’esprit et l'imposer à la matière. Les traits stylisés comme les yeux en amande et le nez en trapèze donnent un effet de haut-relief.
 
Cartel à destination du jeune public.
 
Amedeo Modigliani (1884-1920). Tête de face avec un collier (recto), vers 1911-1914. Crayon noir gras sur papier. Collection privée, ancienne Collection Docteur Paul Alexandre.

 
Amedeo Modigliani (1884-1920). Tête de face avec un collier (verso), vers 1911-1914. Crayon noir gras sur papier. Collection privée, ancienne Collection Docteur Paul Alexandre.

Scénographie. Photo Nicolas Borel.
 
Amedeo Modigliani (1884-1920). Tête de face, vers 1911-1913. Crayons noir, bleu, vert sur papier. Londres, Victoria & Albert Museum.

Entre 1912 et 1914, Modigliani réalise près d'une centaine de dessins préparatoires à ses têtes sculptées. Perfectionniste acharné, il reprend inlassablement le même motif de tête, dont les traits symétriques et stylisés évoquent les masques africains. Pour cette remarquable étude, l'artiste a recours au crayon de couleur, beaucoup plus rare que le crayon noir dans sa production à cette période.
 
Amedeo Modigliani (1884-1920). Tête de face sur un socle, vers 1911-1914. Crayon noir gras sur papier. Collection privée, ancienne Collection Docteur Paul Alexandre.

 
Amedeo Modigliani (1884-1920). Tête et épaules de face avec boucles d’oreilles, vers 1911-1914. Crayon noir gras sur papier. Collection privée, ancienne Collection Docteur Paul Alexandre.

 
Ossip Zadkine (1888-1967). Nu assis, 1914. Plume, encre brune sur papier. Collection particulière.

Scénographie. Photo Nicolas Borel.
 
Ossip Zadkine (1888-1967). Éphèbe, 1918. Bois d’orme partiellement peint. Collection particulière.

 
Ossip Zadkine (1888-1967). Femme à la mandoline, 1914. Bois laqué noir. Paris, musée d'Art moderne.

 
Ossip Zadkine (1888-1967). Tête de femme, 1924. Pierre calcaire, incrustation de marbre gris. Paris, musée Zadkine. © Adagp, Paris 2024. Photo Eric Emo / musée Zadkine / Paris Musées.

 
Ossip Zadkine (1888-1967). Couple, 1913. Graphite, plume et lavis d'encre brune sur papier. Paris, musée Zadkine.



2 - L'amitié interrompue

Scénographie

En 1914, la Première Guerre mondiale met fin à la période de fraternité artistique et d’insouciance que Zadkine et Modigliani ont partagée. Quoique étrangers tous les deux, ils tentent de s’engager dans l’armée française, mais seul Zadkine y parvient, son ami étant réformé à cause de sa santé fragile. Envoyé en Champagne, Zadkine est victime d’une attaque au gaz et réformé en 1917. De retour à Paris, il retrouve Modigliani, mais ce dernier a renoncé à la sculpture. Rattrapé par la «dame spéculation», selon les mots de Zadkine, il est en passe de devenir un peintre célèbre, soutenu par les marchands Paul Guillaume puis Léopold Zborowski qui l’encouragent à peindre des portraits et des nus. En 1918, les deux artistes quittent Paris: Modigliani part dans le sud de la France avec sa compagne Jeanne Hébuterne; Zadkine se réfugie dans le Quercy. Ce n’est qu’au printemps 1919 qu’ils se recroisent à Paris, mais leur complicité d’autrefois n’est plus. Lorsque Modigliani meurt, le 24 janvier 1920, Zadkine ne participe pas aux funérailles, organisées par une poignée d’amis. Il vient alors de rencontrer Valentine Prax, sa future femme, et sa carrière prend enfin son envol: il suit sa voie sans renoncer à l’idéal d’une sculpture nouvelle que Modigliani a fini par abandonner. Si certaines de ses sculptures portent encore la marque du cubisme, il s’en éloigne bientôt, empruntant la voie ouverte par Modigliani, dont l’influence se lit en particulier dans ses dessins.

 
Texte du panneau didactique.
 
Amedeo Modigliani (1884-1920). Nu debout de profil. Crayon noir gras sur papier. Collection particulière.

 
Ossip Zadkine (1888-1967). Musicienne, 1919. Pierre d’Euville. Paris, musée Zadkine.

 
Ossip Zadkine (1888-1967). Maternité, 1919. Marbre partiellement teinté. Paris, musée Zadkine.

Scénographie. Photo Nicolas Borel.
 
Amedeo Modigliani (1884-1920). La Bourguignonne, 1918. Huile sur toile. Collection particulière.

Modigliani peint sans distinction des modèles professionnelles, nombreuses à Montparnasse, des bourgeois fortunés ou des personnages plus populaires. Artisans, commerçants, servantes et apprentis peuplent ainsi son œuvre, dans une France où les caractères régionaux sont encore marqués. Le peintre donne à certains de ses portraits des titres comme La Marseillaise (1915), pour le portrait de la femme du peintre Othon Friesz, ou La Bourguignonne pour ce modèle aux pommettes rouges dans un visage laiteux.
 
Cartel destiné au jeune public.
 
Amedeo Modigliani (1884-1920). Tête de femme, vers 1920. Huile sur bois. Paris, musée d’Art moderne.

La maîtrise du dessin, qui permit à Modigliani sculpteur de créer les visages épurés devenus emblématiques, se retrouve dans cette peinture. Le tracé sûr du pinceau noir se distingue ainsi nettement sur les larges arcades sourcilières et au niveau du renflement de la lèvre inférieure. À l'ovale sans surprise du visage, la frange et les mèches de cheveux ajoutent une certaine individualisation et une touche d'époque.
 
Ossip Zadkine (1888-1967). Deux Nus, 1920. Aquarelle sur papier. Paris, musée d'Art moderne.

Scénographie
 
Ossip Zadkine (1888-1967). Nu allongé, 1924. Graphite, plume et lavis d’encre, Gouache sur papier. Paris, musée Zadkine.

À l'instar de Modigliani, Zadkine reprend ici le thème traditionnel du nu féminin couché dans un intérieur qui évoque l'atelier. Le drapé à l'arrière-plan, le lit garni d’un coussin, la tête reposant sur un bras replié répondent aux conventions du genre. L'influence du cubisme se fait toutefois discrètement sentir: le corps massif paraît contraint dans cet intérieur tout en obliques. Comme taillé par les aplats de gouache blanche, le modelé puissant évoque la dureté de la pierre, loin de la sensualité des nus de Modigliani.
 
Ossip Zadkine (1888-1967). Trois Figures féminines, 1920. Gouache sur papier. Paris, musée Zadkine.

 
Ossip Zadkine (1888-1967). Personnages, 1920. Aquarelle sur papier. Paris, musée d'Art moderne.

Ce dessin, réalisé l’année de la mort de Modigliani, témoigne de l'influence exercée par le cubisme sur Zadkine au début des années 1920. Les figures stylisées sont traitées en volumes géométriques simples, tout comme l'intérieur aux lignes obliques. Mais les attitudes et les tons ocre rappellent les œuvres peintes par Modigliani en 1918 dans le sud de la France, notamment la Fillette en bleu [fig. ci-dessous], très proche de la petite fille représentée ici.
 
Amedeo Modigliani (1884-1920). Le Joueur de violoncelle, vers 1909-1910. Lavis d’encre noire sur papier. Rouen, musée des Beaux-Arts.

 
Amedeo Modigliani. Fillette en bleu, 1918. Huile sur toile. Collection particulière. Collection Photo @ Photo Josse / Bridgeman Images.
 
Ossip Zadkine (1888-1967). Deux Buveurs attablés, 1922. Fusain, aquarelle, gouache sur papier. Musée d'Art moderne et contemporain de la Ville de Strasbourg.

 
Ossip Zadkine (1888-1967). Le Musicien, 1923. Graphite, gouache, plume et encre de Chine sur papier. Paris, musée Zadkine.



3 - À Montparnasse, les affinités électives

Scénographie

Zadkine comme Modigliani appartiennent au monde des «Montparnos», ces artistes et intellectuels qui firent de Montparnasse leur terre d’élection. Dès les années 1910, Montparnasse est en effet près de détrôner Montmartre comme centre artistique de la capitale. Modigliani, qui s’installe d’abord à Montmartre, découvre Montparnasse en 1909 lorsqu’il travaille à la Cité Falguière, près de Brancusi. De son côté, Zadkine s’installe à Montparnasse dès son arrivée à Paris et reste sa vie durant fidèle au quartier. À l’époque de son amitié avec Modigliani, le sculpteur vit rue Rousselet dans le VIe arrondissement, mais il fréquente assidûment le carrefour Vavin et ses célèbres cafés, le Dôme et la Rotonde, où il retrouve Modigliani.

Les personnalités que fréquentèrent en commun Modigliani et Zadkine, tels les poètes et écrivains Max Jacob et André Salmon, mais aussi le peintre Chaïm Soutine et la sculptrice Chana Orloff, sont évoqués grâce à des photographies et des portraits. Tous exécutés par Modigliani – qui avait pour habitude de dessiner ses amis à la terrasse des cafés - ils illustrent magnifiquement l’effervescence artistique qui régnait alors.


 
Texte du panneau didactique.
 
Chana Orloff (1888-1968). Vierge ou Jeanne Hébuterne, vers 1914-1915. Bronze. Paris, Ateliers-musée Chana Orloff.

 
Amedeo Modigliani (1884-1920). Portrait de Chana Orloff, vers 1916. Plume et encre noire sur papier. Paris, Ateliers-musée Chana Orloff.

 
Amedeo Modigliani (1884-1920). Portrait de Chaïm Soutine, 1915. Huile sur bois. Stuttgart, Staatsgalerie.

Fuyant les ghettos de l'Empire russe, Chaïm Soutine (1893-1943) arrive à Paris en 1912. Modigliani le considère comme son protégé et le recommande à Léopold Zborowski, son marchand. Ce premier portrait de son ami datant de 1915 est étonnant de vérité. La pupille des yeux reflète la lumière, la bouche laisse entrevoir les dents et le nez est large et épaté. D'autres portraits suivront, qui témoignent tous d’une chaleur amicale passionnée.
 
Jean Cocteau (1889-1963). Modigliani, Picasso et Salmon à Montparnasse le 12 août 1916. Tirage au gélatino-bromure d'argent. Paris, musée Carnavalet - Histoire de Paris.

 
Anonyme. Ossip Zadkine dans son atelier à la Ruche en compagnie de deux visiteurs, dont le peintre Foujita, 1912. Photographie. Paris, musée Zadkine.

Scénographie
 
Amedeo Modigliani (1884-1920). Portrait d’Ossip Zadkine, vers 1913. Mine graphite sur papier vélin. Musée Zadkine, Paris.

Ce portrait a sans doute été dessiné peu de temps après la rencontre de Zadkine et Modigliani au printemps 1913. Il fait partie des portraits d'amitié réalisés par Modigliani qui, toujours à court d'argent, avait coutume d'échanger ses dessins contre un verre où un repas, Modigliani parvient à saisir les traits du jeune sculpteur, coiffé d'une épaisse frange lui donnant une allure bohème. Ce dessin, précieusement conservé par Zadkine jusqu'à la fin de sa vie, fait partie aujourd'hui des chefs-d'œuvre du musée.
 
Cartel à destination du jeune public.
 
Amedeo Modigliani (1884-1920). Max Jacob, 1915. Graphite sur papier. Quimper, musée des Beaux-Arts.

Dans ce dessin sans doute préparatoire à son portrait peint, on reconnaît le peintre et poète Max Jacob à son visage ovale au nez busqué, et à son allure de dandy portant cravate et chapeau haut-de-forme. Son œil gauche n'est pas représenté, comme pour signifier sa capacité à voir au-delà du visible. Le croissant de lune tracé à droite évoque peut-être l'œil spirituel guidant le poète, mais aussi le monocle qu’il avait coutume de porter.
 
Amedeo Modigliani (1884-1920). Portrait d'André Salmon, vers 1914. Graphite sur papier. Milan, Castello Sforzesco, Gabinetto dei disegni.



4 - Le mythe Modigliani

Scénographie. Photo Nicolas Borel.

Après la mort prématurée de Modigliani en 1920, se constitue rapidement une légende autour du peintre, alimentée par sa réputation sulfureuse. Le succès posthume du «prince de Montparnasse» ne fait que croître, soutenu par l’engouement du marché de l’art pour ses peintures. Revers de la célébrité, les œuvres de Modigliani, extrêmement recherchées, suscitent également une production de faux dont certains sont difficiles à démasquer. Les anciens compagnons de bohème du peintre, dont fait partie Zadkine, assistent à la «revanche du mort» pour reprendre les mots du journaliste Francis Carco en 1920. Le peintre qu’ils ont connu pauvre et méconnu devient après son décès l’un des artistes mythiques de l’art moderne.

Dans ce contexte, Zadkine est amené à plusieurs reprises à évoquer Modigliani et ce dès les années 1930. Le sculpteur a manifestement gardé toute sa vie un intérêt particulier pour son ancien camarade qu’il décrit dans ses Mémoires comme un «authentique bourgeon montparnassien qui n’a pas duré longtemps». Au côté de photographies et d’archives, pour certaines inédites, sont rassemblés ici des œuvres évoquant le mythe Modigliani. Des extraits d’archives filmées permettent d’entendre les voix de Zadkine et Cendrars évoquant le Modigliani qu’ils ont connu dans leur jeunesse.

 
Texte du panneau didactique.
 
Anonyme. Paul Guillaume et Modigliani à Nice, vers 1917. Photographie. Paris, musée de l’Orangerie.

Les marchands jouent dans la carrière de Modigliani un rôle déterminant, comme l’a montré la récente exposition du musée de l’Orangerie (Lettre n°579) dédiée à Modigliani et Paul Guillaume. Le célèbre marchand d'art rencontre Modigliani en 1914 et l'encourage à se consacrer principalement à la peinture. Avant 1914, Modigliani bénéficie principalement du soutien de Paul Alexandre, jeune médecin passionné d’art, qui réunit une exceptionnelle collection de dessins de l'artiste. D’autres marchands s'intéressent au peintre à partir de 1916, notamment Léopold Zborowski, que connaissait également Zadkine.
 
Ossip Zadkine (1888-1967). L’Oiseau d’or, 1924. Plâtre peint, doré à la feuille. Paris, musée Zadkine.

Comme les Maïastras que le sculpteur roumain Brancusi réalise à partir de 1910, l'Oiseau d'or possède un corps bombé et un cou allongé, et fait référence aux oiseaux fabuleux des contes slaves, tel l'oiseau de feu, popularisé par le ballet de Diaghilev en 1909-1910. Dans ses Mémoires Zadkine cite à plusieurs reprises Brancusi, dont le goût pour la taille directe et les «sculptures primitives» fait écho à ses propres recherches.
 
Cartel à destination du jeune public.
 
Anciennement attribué à Amedeo Modigliani (1884-1920). Femme brune, 1919-1920. Huile sur toile. Nancy, musée des Beaux-Arts.

Les œuvres de Modigliani attirent l'attention des marchands dès les années 1916-1917, mais leur valeur sur le marché de l’art augmente considérablement après sa mort, encouragée par le mythe du peintre «maudit». Très vite, cette gloire posthume suscite la création de nombreux faux. Depuis quelques années, des analyses poussées sont menées pour identifier les matériaux (pigments, toiles) et les méthodes de travail propres à Modigliani afin de mieux repérer les faux, parfois très habiles, comme ce portrait de femme.
 
Cartel à destination du jeune public.
Scénographie
 
Chana Orloff (1888-1968). Buste de Modigliani, 1949. Plâtre. Paris, Ateliers-musée Chana Orloff.

 
Marie Vorobieff, dite Marevna (1892-1984). Portrait de Zadkine, 1955. Huile sur toile. Genève, Petit Palais.

Scénographie
 
Amedeo Modigliani (1884-1920). Paul Alexandre de profil au café, une pipe à la main, 1909. Crayon noir gras sur papier. Rouen, musée des Beaux-Arts.

 
Constantin Brancusi (1876-1957). Buste de femme, vers 1918. Crayons de couleur sur papier. Paris, musée d'Art moderne.

Modigliani rencontre Constantin Brancusi vers 1908 et noue une vraie amitié avec le sculpteur, qui lui trouve un atelier et l’aide à organiser une exposition de sculptures en 1911. Privilégiant la taille directe et les formes simples, la sculpture de Brancusi fait une forte impression sur Modigliani. Ce dessin épuré d’une femme à la tête penchée, au large œil en amande, souligne la parenté de leur langage formel.
 
Constantin Brancusi (1876-1957). Autoportrait dans son atelier avec sa chienne, 1923. Tirage au gélatino-bromure mat. Paris, musée d'Art moderne.

 
Anonyme. Modigliani dans son atelier rue Ravignan. Fonds d'archives Alain Bourret. © Musée d'Orsay, Dist. GrandPalaisRmn / Allison Bellido.

Musée Zadkine. Une vue du jardin.


5 - Un temple pour l'humanité

Scénographie. Photo Nicolas Borel.

La relation de la sculpture à l’architecture passionne Modigliani et Zadkine. Au Salon d’automne de 1912, Amedeo Modigliani présente un «ensemble décoratif» de sept têtes sculptées qu’il dispose lui-même dans l’espace. Dans son esprit, il s’agit des prémisses du projet de «temple en l’honneur de l’Humanité» dont il a parlé à son marchand Paul Guillaume. En 1912, le sculpteur britannique Jacob Epstein, qui travaille au monument d’Oscar Wilde au cimetière du Père-Lachaise, rapporte avoir vu son ami placer des bougies la nuit sur les têtes sculptées de son atelier de la cité Falguière, rituel qui transformait le tout en une sorte de « temple primitif ». Modigliani rejoint les rêves de sculpteurs-architectes comme Henri Gaudier-Brzeska, Jacob Epstein, Eric Gill, Paul Landowski ou Constantin Brancusi. Il imagine des centaines de cariatides sculptées formant autant de «colonnes de tendresse*» ! Il n’en réalisa que deux. En revanche, il en dessine et en peint d’admirables qui évoquent le Cambodge ou l’Inde des danses rituelles. Quant à Zadkine, s’il taille volontiers des cariatides en bois, voyant plutôt leur groupement comme une forêt, cela ne l’empêche pas, dès avant son voyage en Grèce en 1931, de penser, comme son ami Modi, au rythme et au décor de l’architecture pour mettre en scène ses sculptures. Splendeur classique pour l’un, sens dramatique pour l’autre si l’on considère par exemple sa sculpture L’Esprit de l’Antiquité (1927) qui a servi d’inspiration pour la scénographie de cette salle.
* Comme l’écrivait le marchand Paul Guillaume

 
Texte du panneau didactique.
 
Ossip Zadkine (1888-1967). Femme à la cruche ou Porteuse d’eau, 1923. Bois de noyer. Paris, musée Zadkine.

 
Scénographie

 
Ossip Zadkine (1888-1967). Rébecca ou La Grande porteuse d’eau, 1927. Plâtre peint. Paris, musée Zadkine.

 
Ossip Zadkine (1888-1967). Les Vendanges, 1918. Bois d’orme. Paris, musée Zadkine.

 
Ossip Zadkine (1888-1967). Torse agenouillé, 1927. Calcaire. Nancy, musée des Beaux-Arts.

- Ossip Zadkine (1888-1967). Masques, 1924. Bois de buis. Paris, musée Zadkine.
- Anonyme. Masque. Bois peint, métal, fibre végétale tressée. Paris, musée Zadkine.

Ces deux masques aux yeux évidés évoquent les arts extra-occidentaux, qui sont pour Zadkine une source d'inspiration importante. Il les découvre au British Museum à Londres, puis, comme Modigliani, au musée d'Ethnographie du Trocadéro à Paris. Il possède également des objets africains, tel ce masque. Comme Modigliani et d'autres artistes d'avant-garde, il est fasciné par les solutions plastiques nouvelles qu'offrent ces œuvres, dont il ignore toutefois probablement les fonctions et le contexte d'origine.
Scénographie. Photo Nicolas Borel.
 
Ossip Zadkine (1888-1967). Tête aux yeux de plomb, 1919. Pierre. Paris, musée Zadkine, legs de Valentine Prax, 1981.

 
Ossip Zadkine (1888-1967). Tête d’homme, 1918. Pierre. Paris, musée Zadkine, legs de Valentine Prax, 1981.

 
Au centre de l’atelier sont présentées trois têtes taillées par Zadkine en 1918 et 1919. Leurs visages allongés, leurs traits stylisés et leurs orbites pleines évoquent fortement les têtes sculptées par Modigliani avant 1914. Leur disposition dans l'espace rappelle volontairement la présentation des sept têtes exposées en 1912 par Modigliani au Salon d'automne, «échelonnées comme des tuyaux d'orgue pour réaliser la musique qui chantait dans son esprit», selon le sculpteur Jacques Lipchitz.
Ossip Zadkine (1888-1967). Tête d’homme, 1918. Pierre. Paris, musée Zadkine, legs de Valentine Prax, 1981.

 


Scénographie. Photo Nicolas Borel.
 
Ossip Zadkine (1888-1967). Vénus cariatide, 1919. Bols de poirier. Paris, musée Zadkine.

 
Cartel à destination du jeune public.

Scénographie. Photo Nicolas Borel.
 
Amedeo Modigliani (1884-1920). Femme nue de profil, les bras croisés, vers 1912-1913. Fusain sur papier. Collection privée, ancienne Collection Docteur Paul Alexandre.

 
Amedeo Modigliani (1884-1920). Tête de femme aux boucles d’oreilles, vers 1913-1914. Plume, encre de Chine sur papier. Dijon, musée des Beaux-Arts.

 
Amedeo Modigliani (1884-1920). Tête de profil surmontée d’un élément d'architecture, entre 1911 et 1913. Plume et lavis d'encre noire sur papier. Rouen, musée des Beaux-Arts.

 
Amedeo Modigliani (1884-1920). Tête de profil avec chignon et boucle d’oreille, entre 1911 et 1913. Crayon noir gras sur papier. Collection privée, ancienne Collection Docteur Paul Alexandre.

Scénographie. Photo Nicolas Borel.
 
Amedeo Modigliani (1884-1920). Cariatide, vers 1913-1914. Dessin (graphite, lavis d’encre, pastel). Paris, musée d’Art Moderne de Paris.

Si la tête de cette cariatide est bien celle d'une sculpture, la finesse du torse et l’arabesque qui anime bras et jambes montrent que l'artiste donne très vite une entière autonomie à ses dessins, d’abord pensés comme des études pour des sculptures. Agenouillées comme des anges de l'Annonciation ou dansantes comme les sculptures khmères, ses cariatides s'élèvent jusqu'à une abstraction qui fait penser aux œuvres de Frantisek Kupka sans pourtant perdre la sensualité qu'on retrouve plus tard dans les nus de l'artiste.
 
Amedeo Modigliani (1884-1920). Cariatide agenouillée, les bras levés. Crayon noir gras. Collection privée, ancienne collection du Docteur Paul Alexandre.

 
Cartel à destination du jeune public (peinture ci-dessus à gauche).
 
Cartel à destination du jeune public.
 
Amedeo Modigliani (1884-1920). Cariatide de trois quarts vers la droite, entre 1911 et 1913. Crayon noir gras sur papier. Rouen, musée des Beaux-Arts.

 
Amedeo Modigiilani (1884-1920). Femme nue, de face, les mains en avant, entre 1911 et 1913. Crayon noir gras sur papier. Collection privée, ancienne Collection Docteur Paul Alexandre.