LA VIE MATÉRIELLE de Marguerite Duras. Adaptation Michel Monnereau. Mise en scène et création lumière William Mesguich. Avec Catherine Artigala.
L’illusion est parfaite. Bercés par le clapotis assourdi des vagues, nous sommes plus chanceux que ces inconditionnels qui venaient sonner à la porte de Marguerite Duras dans le vain espoir d’être reçus. Catherine Artigala remplit la scène de sa présence mais c’est bien Marguerite qui se tient là, ses célèbres lunettes posées sur le nez, vêtue d’un « uniforme pour passer inaperçue », et nous l’écoutons, tout de suite captivés.
Elle se confie, installée dans son appartement des Roches noires à Trouville où elle reçut en 1980 un appel téléphonique d’un certain Yann Andréa, un admirateur avec lequel elle correspond. Il lui demande s’il peut venir. Elle accepte. Il vient et il reste. De trente-six ans son cadet, « c’était une folie » concède-t-elle… Elle n’a pas toujours répondu à ce genre de propositions venues de jeunes gens transis devant la femme qui se cachait derrière la romancière, à considérer son étonnement amusé face à celui qui la prévint du jour et de l’heure de sa venue et de ses intentions amoureuses et qui, trouvant porte close, resta toute la journée sur le seuil !
La vie de Marguerite Duras est à l’image de sa réponse au désir des hommes, complexe et intense. Son comportement fut toujours paradoxal face aux événements, admirative d’une mère ruinée, mais sans émotion devant sa mort, une attitude toujours décalée, voire provocante mais volontairement en retrait, incapable de s’épanouir dans une société qu’elle ne comprend pas.
Dans ce recueil de textes publié en 1987, Marguerite Duras remémore à bâtons rompus tout ce qui a façonné son existence, de son enfance en Indochine, à sa vie d’adulte à Paris, Neauphle-le-château ou Trouville. Abrupte, provocatrice, drôle ou émouvante, faisant référence aux personnages de ses romans d’inspiration autobiographique, elle expose sans tabou ses expériences amoureuses et sexuelles (l’Amant), son addiction à l’alcool, sa réflexion sur le rôle de la femme, épouse, mère ou amante (Un barrage contre le Pacifique) et commente des sujets plus terre-à-terre, comme les préoccupations de la vie quotidienne.
Pas un seul instant d’ennui dans cette intimité partagée. La sobriété de la mise en scène et des décors, les éclairages subtils invitent à l’écoute intense de ces confidences ciselées par Catherine Artigala qui sonde avec un rare talent l'âme et le cœur de Marguerite Duras. M-P P. Théâtre du Gymnase Marie Bell 10e.