VEL’ D’HIV. Texte de Sébastien Lévy en collaboration avec le Mémorial de la Shoah. Mise en scène Axel Lutz. Collaboration artistique Isabelle Dumontet. Avec Alice Taglioni.
Son agent la presse, mais Alice n’est pas très partante pour monter ce spectacle. Que n’a-t-on pas déjà écrit sur le Vel d’hiv ? Que n’a-t-on pas déjà dit sur ces milliers d’hommes, de femmes et d’enfants entassés dans des bus, puis dans des trains, en partance pour une destination dont ils ne revinrent jamais ? « Tu es leur filtre, leur relais », insiste l’agent. Alors Alice se laisse convaincre, compulse les lettres écrites dans l’urgence à un proche et se lance.
Ce sont des témoignages ni tout à fait les mêmes ni tout à fait autres, mais initiés de la même manière : les mesures discriminatoires, le recensement, les interdictions, le port obligatoire de l’étoile jaune et le regard des autres, les spoliations puis l’arrestation avec les coups frappés à la porte au petit matin et le départ vers les centres de rassemblement de Drancy ou du Vélodrome d’Hiver.
C’est le témoignage d’une jeune fille qui pousse son frère puis sa mère dans l’escalier de service, quitte le foyer accompagnée des deux policiers français et qui, à force d’audace, parvient à s’enfuir du camp. C’est cette mère dont le petit garçon malade est le fils d’un allemand aryen, dûment baptisé, qui supplie sa marraine de venir le chercher quand il est encore temps. C’est cet homme qui, debout dans un wagon à bestiaux, écrit une dernière lettre en yiddish à ses enfants, la laisse tomber sur le ballast et qu’un employé des chemins de fer compatissant récupère. Ce sont les pompiers qui les collectent par centaines en secret et s’emploient à toutes les faire parvenir aux destinataires. C’est le soulagement pour certains d’avoir mis leurs enfants à l’abri, le regret pour d’autres de les avoir gardés, mêlé à la terreur d’en être séparé. C’est l’angoisse de ne rien savoir, le courage dans l’adversité et malgré tout l’espoir ténu d’un retour.
Entre chaque écrit, avec une extrême sensibilité, Alice Taglioni laisse ses doigts courir sur le clavier du piano. On prend le temps de digérer les mots et de maîtriser l’émotion entre deux lettres, jusqu’au décompte final et glaçant des 13 152 juifs déportés lors de la rafle du Vélodrome d’Hiver les 16 et 17 juillet 1942.
On savait, on a lu tant de choses, mais on quitte les lieux ébranlés. Alice Taglioni ne joue que quelques semaines. Ne ratez pas son rendez-vous. M-P P. Théâtre Antoine 10e.