UN DÉMOCRATE

Article publié dans la Lettre n° 404
du 23 novembre 2016


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UN DÉMOCRATE. Texte et mise en scène Julie Timmerman avec Anne Cantineau, Mathieu Desfemmes, Julie Timmerman, Jean-Baptiste Verquin.
Chien chasse de race, dit l’adage. Peut-on échapper à la réflexion sur les mécanismes de l’esprit et de la manipulation mentale, quand on est le « double neveu de Freud » ?
Au soir de sa vie, Edward Bernays évoque avec jubilation les grandes étapes et le non moins grand succès de ses méthodes de conseiller en relations publiques. Avec une inventivité inédite pour l’époque, il instaure l’ère, jamais démentie depuis, de la propagande, qu’elle soit mise en jeu au niveau individuel, politique, commercial, étatique. Il a prouvé, au long de son siècle d’existence, que modeler, contrôler, conditionner l’esprit des foules et des individus était un jeu stimulant et infiniment divers. Jeu sans limites et d’autant plus insidieux qu’il se réclame d’une éthique de la démocratie. Tout se vend, donc s’achète, donc mérite publicité, même si le cynisme le plus débridé en est la loi. La cigarette virile des hommes sera désormais l’apanage des femmes, dans l’illusion d’un pouvoir dont même et surtout les féministes revendiqueront l’image. Et les statistiques s’envoleront ! S’il faut corrompre les hommes politiques, les industries fruitières, renverser les gouvernements « bananiers », coups d’Etat à la clef, avec récupération totalitaire inévitable, point de vergogne !
Susciter le besoin, exacerber le désir, lancer les paillettes de l’illusion, fabriquer le consentement. Mentir, certes, mais avec panache. Bernays est le géniteur de ce marketing, dont notre époque est plus que jamais la victime consentante. Le tout au nom de l’égalité de tous et de la liberté de chacun… Merci, papa Edward !
Tous les moyens sont bons, seul le plaisir du consommateur est invoqué, seul le jeu manipulateur vaut la peine. Irrationnel et inconscient sont constamment sollicités pour mieux conditionner l’individu et la foule qu’il compose. Merci, tonton Sigmund !
Ce qui est peut-être le plus glaçant, c’est que le profit n’en est même pas le moteur premier. Le jeu, toujours le jeu.
La mise en scène et les acteurs contribuent très efficacement à cette impression à la fois ludique et inquiétante. Quatre acteurs se partagent alternativement l’identité de Bernays, dans une ronde d’anecdotes, de récits et de situations joyeuses, vivaces, tant rieuses qu’anxiogènes, qui donnent à voir l’évolution pernicieuse de ce nouveau mode de vie, tandis que s’en matérialisent, sous forme de photos, de graphiques et de tableaux statistiques, les étapes sur un grand tableau de fond de plateau. Mélange des époques, publicités chantées, quatuor des manipulateurs voyeurs, fausse naïveté et vrai cynisme, dans ce tourbillon le spectateur est entraîné à la prise de conscience et en même temps privé de toute pause de lucidité. Tel le consommateur de moins en moins citoyen qu’il est devenu, à son corps et son esprit défendant…
Un théâtre ludiquement pédagogique ! A.D. TQI Ivry/Seine 94.


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