UN AMOUR SANS RÉSISTANCE d’après le roman de Gilles Rozier. Mise en scène Gabriel Debray. Avec Chantal Pétillot ou Xavier Béja.
Une ville française sous l’Occupation. Le professeur d’allemand revendique le droit de se consacrer à sa passion exclusive pour la lecture, surtout de la littérature germanique. Le mariage, imposé par la famille en quête d’honorabilité, ne sera pas, par tacite convention entre les époux, une entrave à cette indépendance. La famille alentour offre le spectacle des frasques sexuelles d’Anne la sœur cadette, aussi bruyantes que choquantes, avec Volker le SS, celui de l’aveuglement délibéré de la mère qui perdurera dans le mutisme bien des années après ces déconcertantes rencontres. En tant que germaniste patenté, on est sollicité pour des traductions, on n’est pas trop regardant sur ces entorses à un patriotisme bien « mou ». Jusqu’au jour où la confrontation est inévitable avec la question juive… Alors on découvre la passion qui submerge dans le secret de la cave, le miracle de Heinrich Heine en version yiddish. Goethe ou Goebbels ? Se préoccupe-t-on de sauver un Juif par esprit de résistance ou par appétit insatiable des plaisirs de la chair ? Et quand un cadavre devient encombrant, où l’ensevelir sinon dans la terre battue par d’autres émois ?
De l’ombre douillette du fauteuil à côté d’un guéridon et d’une tasse de thé, dans le halo d’un lampadaire, face au public contemporain de l’aveu, le récit se déporte vers le fond obscur de la scène, quelques décennies auparavant, vers le souvenir évoqué des faits de l’amour et de la clandestinité, de la collaboration et de ses collusions avec l’occupant qu’on vit entre ombre et lumière. Et il pose les questions, jamais résolues, de la complicité par passivité ou veulerie d’une société refermée sur ses préjugés et ses ostracismes, son aveuglement parfois zébré de lucidités personnelles. Se défait-on, même au long des années, de la douleur de l’amour perdu qui tourmente la chair et la mémoire ?
L’ambivalence du texte autorise le jeu par une comédienne, Chantal Pétillot, ou par un comédien, Xavier Béja. Tous deux sont excellents, chacun dans une tonalité légèrement différente, d’autant plus signifiante que leurs mots sont identiques, ainsi que la mise en scène. Elle est plus cynique, presque décalée, comme si elle parlait d’une émotion qui ne la concerne plus vraiment. Une nostalgie détachée, même à la date anniversaire. Il est davantage bouleversé dans la version homosexuelle de ce ravage amoureux, bien plus inconvenant à l’époque où se sont déroulés les faits. L’émotion ne s’en est jamais effacée. Au travers de l’expérience intime, dans la beauté de la langue musicalement poétique, avec Schumann en filigrane, l’ambiguïté historique ne laisse pas de tarauder les consciences. Une expérience théâtrale salutaire. A.D. Théâtre Le Local 11e.