TU TE SOUVIENDRAS DE MOI de François Archambault. Adaptation Philippe Caroit. Mise en scène Daniel Benoin avec Patrick Chesnais, Nathalie Roussel, Émilie Chesnais, Frédéric de Goldfiem, Fanny Valette.
L’émission sur la maladie d’Alzheimer à laquelle participent Edouard Bauchard et sa femme Madeleine a remporté un succès certain. Professeur d’université émérite à la retraite, Edouard Bauchard possède encore, selon lui, une mémoire phénoménale pour les dates. Il pourrait disserter sur les réformes d’Akhenaton ou réciter les plus beaux vers d’Homère mais serait incapable de raconter sa journée de la veille. Il garde aussi une vision très critique sur le monde actuel, déplore l’oubli des valeurs du passé au profit d’un présent « fast food », où la profusion d’informations tue l’information, où le virtuel s’est substitué au réel, où les gens ne s’intéressent plus qu’à leurs sensations. Conscient de son état, il tente de ne pas basculer trop vite, de garder encore un peu le pied dans le réel, se concentrant sur les petits moments de joie que le présent peut encore lui offrir.
Sa femme Madeleine n’en peut plus, elle a besoin « d’une petite pause ». Elle installe Édouard, pour le week-end, chez Isabelle, leur fille, et Patrick, le nouveau compagnon de celle-ci. Puis elle disparaît après avoir décliné les nombreuses recommandations d’usage.
Sur le plateau, un bout de jardin mangé par les roseaux est le cocon du temps que va passer Edouard dans la maison où il a vécu autrefois avant de la céder à sa fille. Prisonnier de l’instant présent, il retrouve cet espace connu, se plaint des fameux roseaux, « bulldozer qui écrase tout ». Il assomme Patrick avec des questions pratiques posées maintes fois entre deux diatribes contre une société dans laquelle il ne trouve plus sa place. L’irruption de Bérénice, la fille de Patrick, dans son espace perturbé, lui renvoie l’image de sa seconde fille. Il trouve en elle la fraîcheur d’une interlocutrice d’une autre génération.
La pièce, très bien écrite, porte un regard perspicace sur l’existence d’un homme et de sa famille avant qu’il chute dans le néant où la maladie va le précipiter. Elle apporte aussi un constat sur l’état du monde d’aujourd’hui, sur le réchauffement climatique qui est l’occasion d’un joli monologue, façon tirade du nez.
Les rôles très équilibrés donnent la part belle aux cinq comédiens. Chacun joue avec la conviction du vécu. Qui n’a pas supporté à un moment donné de son existence la disparition d’une sœur, le chagrin d’un père qui ne vous reconnaît plus ? Tout ceci est dit avec sobriété, avec une délicatesse mêlée d’humour. M-P.P. Théâtre de Paris - Salle Réjane 9e.