TROIS FEMMES
(L’échappée)

Article publié dans la Lettre n°492 du 11 décembre 2019


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TROIS FEMMES (L’échappée) de Catherine Anne. Mise en scène de l’auteure. Avec Catherine Hiegel, Clotilde Mollet, Milena Csergo.
« Sixième étage six deux fois trois » ! Le ton agacé de cette précision donnerait plutôt envie de passer son chemin. Veuve, issue d’un milieu bourgeois, Madame Chevalier bougonne « quelle tête elle aura celle-là », furieuse d’ouvrir sa porte à l’auxiliaire de vie imposée par sa fille, justement parce que celle-ci la lui impose. Mais elle se heurte à la détermination de la nouvelle venue. Soulagée et fière d’avoir retrouvé un travail, Joëlle est bien décidée à rester. Ce premier soir, Joëlle, la fille de celle-ci, survient chez la vieille dame. Dans un élan du cœur, Madame Chevalier la prend pour Amélie, sa petite-fille qu’elle n’a pas vue depuis vingt-ans.
Après les premiers soirs chargés d’orages, la vieille dame finit par accepter la présence nocturne de son auxiliaire de vie. Un roulement quotidien s’installe même à son domicile. Joëlle, la mère, succède le soir sans le savoir tout d’abord à sa fille Joëlle, « baptisée » Amélie le jour. La jeune femme laisse le quiproquo s’installer malgré la réprobation de sa mère lorsqu’elle découvre la supercherie. Mais si Madame Chevalier est un brin impotente, elle n’est pas encore gâteuse.
Le mobilier de style, côté jardin, en bois blanc, côté cour, marque le fossé social entre les deux foyers, fossé qui peu à peu se comble. De sous-entendus en confidences, les trois femmes échangent les soucis et les peines intrinsèques à leur génération. Une connivence mêlée d’affection finit par les lier. Clotilde Mollet exprime très finement les sentiments d’un personnage marqué par les épreuves. Elle s’attache à sa « vieille grincheuse » même si son honnêteté est partagée entre la honte de lui mentir et la nécessité de couvrir sa fille. La jalousie de les voir si bien s’accorder n’est pas sans la tarauder mais son empathie s’en accommode. Milena Csergo est parfaite dans le rôle de la jeune Joëlle, culotée, ivre d’indépendance. Mère célibataire malmenée par le chômage, elle se bat pour ne pas être une charge pour sa mère. Les deux comédiennes sont d’un naturel absolu face à Catherine Hiegel, impressionnante Madame Chevalier. Elle passe subtilement d’un état d’esprit à l’autre, joue l’irascibilité puis la tempérance, son personnage trouvant finalement son compte dans une présence qui la préserve de la solitude nocturne. Privée si longtemps de son rôle de grand-mère, l’intrusion de la fille de Joëlle représente pour elle un rayon de soleil dans l’eau froide de sa fin de vie.
Catherine Anne dessine à ravir trois portraits de femmes de notre temps, émouvants et subtils, campés par trois comédiennes éblouissantes. M-P.P. Le Lucernaire 6e.

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