TRANSE-MAÎTRE(S)

Article publié dans la Lettre n°525 du 2 juin 2021


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TRANSE-MAÎTRE(S). Texte et mise en scène, Elemawusi Agbedjidji. Avec Amandine Gay, Astrid Bayiha, Athaya Mokonzi, Elemawusi Agbedjidji, Marcel Mankita, Senyon Hodin.
« Il est interdit de parler vernaculaire ». Écrite sur le mur d’une école togolaise, cette interdiction est en étrange résonance avec celle qui stigmatisa de même manière les enfants de l’école publique dans nombre de provinces françaises, dans l’École de Jules Ferry. Français obligatoire, punition inexorable pour les jeunes contrevenants. À l’index, breton, occitan, corse ou autre picard et parler local ! Au coin, sous les quolibets des petits camarades, avec bonnet d’âne ou autre accessoire ridicule ! On endosse ce signal tour à tour au gré de la journée et gare au dernier détenteur, le soir venu !
Ici, il s’agit d’un collier dégoûtant dont hérite Dzitri, le taiseux dont le silence passe pour de l’insolence. Il jette l’objet puant dans le caniveau et affronte en public le rigorisme borné du maître et les moqueries de ses camarades. La sanction ne se fait pas attendre, un morceau de savon lui lavera la bouche et lui fera digérer tous ces mots interdits…
Autour de cette intrigue minimale, s’organise une pluralité d’histoires entrecroisées. On commence par l’éternité où la divinité va tenter de se désennuyer en créant le monde, et Jules Ferry entre autres. L’école vient ensuite, avec son maître intransigeant en quête de savon, qui s’échoue chez la blanchisseuse, justement la mère de Dzitri. Et comme cette blanchisseuse vit dans le souvenir douloureux de son amoureux enrôlé dans la guerre française, on évoque enfin la responsabilité coloniale et ses conséquences sur les États concernés.
De cet enchevêtrement complexe des intrigues, la scénographie éclaire les espaces tout en préservant la part de l’imaginaire. Voix directes ou voix off, sous-tendues par un subtil jeu de la lumière et de l’obscurité, évocation en monologue des aléas militaires, des massacres de tirailleurs, mémoire de la lettre d’amour du disparu, tout concourt à une alternance chorale, pourrait-on dire, servie par la richesse de la langue rythmée, modulée, éminemment poétique et épique.
Un beau spectacle, tendre, émouvant, voire dérangeant. De toute façon, salutaire. A.D. Théâtre Ouvert 20e.


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