TIGRANE. Texte et mise en scène de Jalie Barcilon. Avec Éric Leconte, Soulaymane Rkiba, Sandrine Nicolas.
Un adolescent recroquevillé en lui-même, son père abruti d’alcool et de désespérance, une jeune professeure pétrie d’ardeur pédagogique. Isabelle raconte l’épopée de Tigrane, écartelé entre sa découverte admirative de la culture qu’elle lui offre et les parties de flipper que lui impose un père, rageur et vindicatif, que son épouse a fui. Face à ce père qui lui assène des poncifs de déception et d’échec, l’école offre à Tigrane la perspective d’une parole enfin possible, des émois amoureux, une passion tangible. Il s’ouvre lentement, entre violence et replis. Mais la lutte est inégale contre une société qui n’est pas prête à accueillir ce jeune atypique, que la chaudronnerie ne tente pas. Isabelle, quant à elle, fait les frais d’une naïveté inconsciente que les enjeux de cette manipulation, même bienveillante et attendrie, la dépassent dangereusement. Le Caravage, Picasso ou Basquiat sont-ils de taille à niveler les écueils ?
Une belle leçon d’optimisme sans mièvrerie, car elle ne gomme pas artificiellement la dure réalité de la déshérence familiale et scolaire, de l’abandon et de l’incompréhension, ni les dangers qui rognent les ailes de l’enthousiasme de la débutante. Le trio des comédiens est cohérent et la complicité de leur jeu est patente. Sandrine Nicolas est fragile, fébrile, attendrissante. Éric Leconte bougonne sans parvenir à masquer les fractures de sa vie en déroute. Soulaymane Rkiba est émouvant de colères et d’élans, à l’image de ses courses rageuses en clair-obscur sur son skate. De besoin d’être aimé surtout.
Un moment de véritable humanité lucide. A.D. Théâtre Lucernaire 6e.