TENDRESSE A QUAI de Henri Courseaux. Mise en scène Stéphane Cottin avec Henri Courseaux et Marie Frémont.
Une brasserie en bord de quai, chacun guette l’horaire d’un train. Un homme âgé, manifestement fantasque, contemple une jeune femme rêveuse et bien habillée assise à la table voisine. Léon, très ancien Prix Goncourt, lorgne sur le recueil de Mallarmé qu’elle a posé à côté d’elle, il en est lui-même un lecteur assidu. Aussitôt son appétit de fiction et le crayon qui l’accompagne la nomment Madeleine, celle de Jacques Brel. Il lui invente une existence, s’émeut quand elle court embrasser « le grand avec des pommettes hautes et des yeux verts », leur garantit l’échec sentimental. Parle-t-il à voix haute ? L’entend-elle, impassible ? Leurs destins s’éloignent, elle est partie, il va vers Brive. Fin de l’histoire ? Oh non, car dans son soliloque, il lui a promis une étreinte qu’elle vient quémander un an plus tard. Forcé dans ses retranchements, il cède, « Je suis là », répète-t-il. Ainsi s’initie une étrange histoire de tendresse entre ces deux oiseaux de solitude, le vieil homme en perte d’inspiration et de mémoire, acrobate du verbe, et la jeune femme en perte de repères et de travail, qui le bouscule et le maintient à flot d’enthousiasme.
Changements de lieux et d’identités, mise en abyme de la parole, filigrane familial et emboîtements des fictions, on pourrait s’interroger sans solution. Qui est qui ? Qui crée l’autre ? Deux pivots à trois facettes font tourner les têtes, les situations et les regards, vifs et spirituels comme les propos qui fusent, les sourires attendris et les rires qui interdisent l’alanguissement dans la vieillesse, les jalousies, les héritages douteux, les obsèques à hommages fluctuants.
Le couple que brodent les deux complices est charmant et charmeur. Fraîcheur et légèreté évitent de s’appesantir, la pirouette est en constant éveil. « Je ne sais pas commencer », dit Léon, « ni finir d’ailleurs », ajoutera-t-il. Pas de conclusion, on s’en réjouit, on en redemande. Comme un point de suspension facétieux. A.D. Studio Hébertot 17e.