LA TEMPÊTE

Article publié dans la Lettre n°601 du 2 octobre 2024


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LA TEMPÊTE de William Shakespeare. Traduction et mise en scène Stéphanie Tesson. Avec Stéphanie Tesson (du 17 septembre jusqu’à fin octobre), Pierre Val, Sylvain Katan, Marguerite Danguy des Déserts, Jean Dudant, Quentin Kelberine, Aurélien Palmer.
Tout est ambigu, déconcertant, réjouissant et glaçant, obscur et lumineux, dans cette ultime tragédie de 1611, quasi testamentaire, du grand William. Il n’écrira plus jusqu’à sa mort en 1616, comme s’il confiait à cette Tempête les clés de ses tours de magie, mais sans autre éclaircissement que sa dernière adresse au public à la fin de la représentation «...mes charmes sont tous anéantis...délivrez-moi de mes enchantements à l’aide de vos applaudissements».
On y repère ses thèmes favoris déjà mis en œuvre dans des drames précédents, une tempête, un naufrage, de sourdes intrigues de pouvoir, un lieu d’autant plus claustrateur que c’est une île, géographiquement indéfinissable. Magie, enchantements, complots de succession, innocence de l’amour, travestissements y font un étrange ménage, suscitant les coutumières interrogations. Qui est qui? Qui l’emportera du bien ou du mal? Quelle issue à ces conflits d’intérêt, de vengeance, de haute et basse politique?
Aucun manichéisme réducteur dans l’intrigue proposée ne vient apaiser la sourde angoisse.
Ariel, Esprit serviable revêtu de blancheur immaculée, volette autour de Prospéro, magicien taraudé à la fois par une haine vindicative et une tendresse émue pour sa fille, tout en exerçant un chantage sur ses esclaves autant qu’un pouvoir d’équanimité et une volonté de paix restaurée. Les naufragés à sa merci sont ceux-là mêmes qui ont provoqué son exil esseulé. Mais, au cœur de ces complots, la naïveté lumineuse des jeunes amoureux désarme l’esprit de vengeance. Tous finissent par renoncer à la méchanceté et à la vengeance, à la tyrannie de l’arbitraire, la brute se civilise, l’esclave rompt ses chaînes, on implore un pardon qui est accordé, les étoiles n’ont pas quitté les yeux éblouis des amoureux, l’apaisement ouvre sur l’avenir.
Mais…, et c’est trop beau pour être vraisemblable, on ne saurait s’y tromper. Points de suspension…
Pour donner à voir la pleine mesure de ce trouble, le décor est particulièrement dépouillé, un plateau quasi vide, seule la toile de fond témoigne des nuées accumulées, porteuses d’orage. Avec quelques coins de ciel azuréen. Les comédiens sont revêtus de robes androgynes, leurs visages lourdement maquillés forment contraste avec barbes et moustaches, cheveux longs en chignons ou déployés. Les rôles, les sexes virevoltent aussi, Miranda est Alonso, méchants ou gentils alternent leurs apparitions, drame ou grotesque, tragique ou ridicule oscillent jusqu’au vertige. De cette noria de sensations dans laquelle il est emporté, le spectateur tente à chaque changement de démêler le tourbillon de la réalité et de l’illusion. Il y renonce bientôt, heureusement, et se laisse ballotter dans la tempête qui lui est donnée à voir, à  vivre. Etourdi et rassuré, parce qu’il se sait au cœur d’un artifice théâtral, il s’ébroue au sortir de la fureur en clair obscur des songes, pour retrouver une clarté extérieure sans ambiguïté.
Mais sa fresque mentale, par le miracle du théâtre bien servi par cette représentation, s’est chargée d’imaginations qui continueront à le hanter…
Un plaisir sans conteste. A D. Poche Montparnasse 6e.


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