SUZANNE
La vie étrange de Paul Grappe

Article publié dans la Lettre n° 454
du 9 mai 2018


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SUZANNE, la vie étrange de Paul Grappe. Texte et mise en scène Julie Dessaivre avec Eloïse Bloch, Edouard Demanche, Constance Gueugnier, Zacharie Harmi, Léa Rivière, et en alternance Anaïs Casteran, Matthieu Fayette, Julie Dessaivre.
Une histoire de poil ou comment résoudre l’hypertrichose devient la question fondamentale en temps de guerre et de désertion. C’est la concierge, Madame Massin, qui découvre ce mot dans le journal, sans savoir que, quelques étages plus haut, un jeune couple en fait l’expérience. 1914, Paul, marié de frais, est envoyé au front. Il s’auto-mutile, déserte la tranchée, rejoint sa jeune épouse Louise, à l’insu de tous. Comment échapper aux limiers de l’armée qui le recherchent ? Louise, couturière, confectionne des habits féminins, l’amie Lucie apprend à Paul, devenu Suzanne, le maquillage et les règles de maintien d’une dame respectable. Il passe ainsi au nez et à la barbe, c’est le cas de le dire, de tous ceux qu’il croise. Prostituée la nuit au Bois de Boulogne, couturière irréprochable le jour, Suzanne perdure dans le subterfuge pendant des années et ce serait parfait si elle ne rejouait pas quotidiennement un rôle de tyran domestique, brutal et aviné, dont Louise fait les frais. « I'm'fout des coups, I'm'prend mes sous, Je suis à bout, Mais malgré tout, Que voulez-vous… », chantent les acteurs de ce drame. Cauchemars et beuveries se succèdent, Louise et Lucie y participent, Paco le bel hidalgo persuade Louise d’échapper avec lui à cet enfer. L’amnistie sauve Suzanne redevenu Paul, Louise revient à son époux violent « Je l'ai tellement dans la peau Qu'au moindre mot, I'm'fait faire n'importe quoi, J'tuerais ma foi, J'sens qu'il me rendrait infâme, Mais je n'suis qu'une femme, Et j'l'ai tellement dans la peau... » Les promesses de la réconciliation s’envoleront bien vite. Et Louise tuera l’invivable mari. Débute alors le procès de la meurtrière, qui défraya la chronique en 1928. « Il y a d’autres moyens pour régler un différend conjugal que l’usage d’une arme à feu », dit le juge. « Ah bon, lesquels ? », rétorque l’accusée, qui sera finalement acquittée. Etonnant verdict, peut-être parce que Louise n’est qu’une femme, que tous ont intérêt à oublier les horreurs de la guerre…
De cette histoire véridique, la mise en scène trace un fil en ruptures chronologiques, en espaces et moments mis en lumière par halos successifs, entre ombre et lumière. La concierge y incarne le regard de l’immeuble sur les vociférations dérangeantes, et la parole de la vox populi. Et ce récit, elle le nourrit des commentaires de la presse du moment et des souvenirs de Louise nichés dans le coffret retrouvé de son quotidien. La table solennelle des mariages se fait tour à tour le lit des ébats conjugaux, du sommeil agité d’après débauche, de la mort de l’ivrogne, avant de se relever en tribune de prétoire.
Le rythme sans faille, semé de chansons d’époque, que les cinq acteurs lui insufflent, fait échapper à la pesanteur cette réflexion sur les absurdités de la chose militaire et sur la difficulté d’être une femme, naturelle ou usurpée.
Un spectacle pertinent et original. A.D. Le Lucernaire 6e.


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