LE SOULIER DE SATIN

Article publié dans la Lettre n°607 du 24 décembre 2024


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LE SOULIER DE SATIN de Paul Claudel. Version scénique, mise en scène et scénographie Éric Ruf. Costumes Christian Lacroix. Lumière Bertrand Couderc. Direction musicale Vincent Leterme. Son Samuel Robineau. Travail chorégraphique Glysleïn Lefever. Avec la troupe de la Comédie-Française: Alain Lenglet, Florence Viala, Coraly Zahonero, Laurent Stocker, Christian Gonon, Serge Bagdassarian, Suliane Brahim, Didier Sandre, Christophe Montenez, Marina Hands, Danièle Lebrun, Birane Ba, Sefa Yeboah, Baptiste Chabauty, Edith Proust. l’Académie de la Comédie-Française: Fanny Barthod, Rachel Collignon, Gabriel Draper et les musiciens et musiciennes Vincent Leterme, Merel Junge, Ingrid Schoenlaub, Aurélia Bonaque Ferrat.
L’action se situe en Espagne entre les XVIe et XVIIe siècles. Elle se déroule sur près de trente ans en quatre «journées», en référence au théâtre espagnol du Siècle d’or.
C’est l’époque où un siècle après Christophe Colomb, les souverains des grands royaumes ont encore soif de nouvelles terres à conquérir, l’époque où caravelles et conquistadores sillonnent les mers à la recherche du pouvoir et de la fortune. Un naufrage près des côtes africaines réunit pour quelques heures Doña Prouhèze (Doña Merveille), épouse du vieux gouverneur Don Pélage, et le capitaine Don Rodrigue de Manacor. Un amour absolu lie immédiatement les deux jeunes gens. Ne pouvant s’empêcher de revoir Rodrigue, Doña Prouhèze lui donne rendez-vous à l’occasion d’un voyage en Espagne. Avant de l’entreprendre, tenant son cœur dans une main et son soulier dans l’autre, elle offre, dans une prière à la Vierge, son soulier de satin. C’est avec le pied boiteux qu’elle ira vers le mal. L’amour a ses raisons mais l’âme de Doña Prouhèze, surveillée par son ange gardien, a aussi les siennes. Les deux âmes sœurs ne goûteront pas à l’union charnelle.
«La scène de ce drame est le monde», commente Paul Claudel en didascalie. Un monde où l’on se bat. Rivalités entre les royaumes d’Espagne et d’Angleterre, défense de l’africaine citadelle de Mogador, départ pour Prague du vice-roi de Naples, bataille de Lépante, libération des captifs... Les péripéties se succèdent sans compter cette lettre qui ne parvient pas à son destinataire et porte malheur à ceux qui la détiennent.
Plusieurs metteurs en scène ont pris à-bras-le-corps cette œuvre fleuve de onze heures, «irreprésentable» pour reprendre le mot de l’auteur. Éric Ruf la réduit à 7h30 et reprend avec panache le conseil du maître: «Il faut que tout ait l’air provisoire, en marche, bâclé, incohérent, improvisé dans l’enthousiasme!». Pensé, réglé et dans l’enthousiasme certainement, bâclé, incohérent, improvisé, sûrement pas. Une fois les didascalies énoncées, à mesure, par deux comédiens, la mise en scène embrasse les années avec une formidable clarté. Nous suivons éblouis les aventures de tous les personnages passant, au fil des ans, de l’Europe au nouveau monde et à l’Afrique. Pas de décor mais des toiles évocatrices qui descendent des cintres. Deux bouts de bois, une corde, les comédiens suggèrent lieux et actions tandis que les bruitages et quatre merveilleux musiciens les accompagnent. Ils vont et viennent, empruntent le proscenium (avant-scène traversant le parterre), vêtus des somptueux costumes de Christian Lacroix qui, pour certains, finissent en hardes. La troupe soudée vit pleinement l’aventure. Elle restitue avec un talent fou ce drame épique qui explore avec lyrisme, poésie et traits d’humour, les thèmes de l’amour, de la foi, du devoir et de la destinée humaine, où deux personnages, déchirés entre leurs désirs terrestres et leurs aspirations spirituelles, mènent un combat entre la chair et l’âme.
Les quatre journées sont interrompues par de brefs entractes et une longue pause. Sur place, l’enchantement persiste. Dans une ambiance feutrée sont disposées tables de pique-nique et salles destinées à la restauration. Cette réussite éclatante clôt une année 2024 exceptionnelle, à l’image du bilan des dix années accomplies par Éric Ruf, en qualité d’administrateur. M-P P. Comédie-Française - Salle Richelieu 1er.


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