LE SOLILOQUE DE GRIMM de Bruno George. Mise en scène Jean-Philippe Azéma avec Fred Saurel.
Les années de cloche ont sonné la misère, Fred y a connu la descente inexorable aux enfers du dénuement dans des flots d’alcool frelaté. Le Richard II des beaux jours du comédien est devenu Pochard III. Son royaume pour une tente quechua qui ne l’abritera pas dans les sommets… Les bas-fonds, il y invite avec force jeux de mots et rires tonitruants qui s’étouffent dans une toux de sanglot.
Toilette de chat, hygiène plus succincte encore, son quotidien est tissé de violence et de solidarité sous condition avec les compagnons de dérive, qui lui ont organisé pour ses quarante ans une fête à tout casser. Mais y a-t-il encore quelque chose à casser dans ce cocktail façon Molotov ?
Autour de lui, il y a Nicole la Picole, Chaval le géant slave qui mangeait les chats vivants, Kadhafi et ses méchouis de rats, et surtout la nostalgie de Passe-Partout, son tout petit parrain qui l’initia aux lois de la jungle avant de sombrer aux bords du périphérique.
Dans cette location d’un froid sans pitié, comment se réchauffer ? On fait semblant d’apprendre l’anglais pour redevenir shakespearien, on met la table pour grignoter les trésors qu’on a retirés, après un regard circonspect, de l’antre du fauteuil éventré. Miroir mon beau miroir, on lui cligne de l’œil, quand il fait resurgir les relents d’une carrière qui s’est brisée sur les récifs impitoyables de l’alcool.
Nelly la bien aimée, de désespoir, a fini par chasser son incurable poivrot, mais il ne l’a jamais chassée de la mémoire de son corps, de son amour en miettes, de son soliloque en loques. La radiocassette l’interpelle, il hurle à la face du Ciel.
Fred Saurel est bouleversant dans sa souplesse obèse et son sourire d’inespoir.
Où finit le rire du sarcasme salvateur, où commence l’hallucination qui ronge ?
Quand perd-on définitivement l’élémentaire dignité ? Peut-être choisit-on de se taire avant… A.D. Théâtre Essaïon 4e.