SIMONE EN APARTÉ, texte et mise en scène de Arnaud Aubert. Avec Sophie Caritté.
De la pénombre, elle émerge lentement, moelleusement drapée dans une fourrure mouvante, Simone, avec son beau visage au charme sans fard.
Le décor est dépouillé, à droite deux piliers hiératiques, à gauche une «vague» en forme de lit de rêverie, de toboggan d’espièglerie, de tribune parlementaire.
L’espace oscille entre luminosité et clair-obscur, métaphore de l’ambivalence de cette grande dame.
Elle parle, sans chronologie rigide, de tout ce qui a tissé une vie tumultueuse, grevée d’expériences douloureuses autant que légère de bonheurs d’évidence. Elle aurait rêvé d’être frivole, dit-elle, insolente, normale en somme. La vie l’a privée d’humour, mais pas d’amour. Sens inné de l’autre, solidarité, appétence jamais trahie pour le droit et la justice, toutes ces valeurs ont sous-tendu ses indépendances, ses fidélités, ses révoltes.
Comment raconter, sans pathos, sans émotion excessive, la concentration nazie, les indignations féministes contre l’injustice atavique et les combats politiques pour la liberté des femmes concernant leur corps, les lois sur l’avortement et sur l’adoption?
Cette femme pudique parle d’un ton étonnamment neutre des horreurs historiques, s’enflamme à la tribune, s’émeut dans le sourire à l’évocation de sa mère absente et omniprésente, d’Antoine le mari, du grand lit fantasmé où s’ébat joyeusement la jeunesse familiale, où se libère la parole intime avec les amies. Et elle ne retient pas une envolée presque emphatique lorsqu’elle évoque ses rêves de paix.
Solidité de ses engagements aux côtés des femmes, solidarité en actes dans l’Europe qu’elle a contribué à construire. Il ne s’agit pas de pardon, mais d’un effort de réconciliation qui devienne un désir de paix.
Le plaisir intense de ce spectacle provient de ce que, sans pontifier ni assener des leçons, il offre la parole, hautement autorisée par son vécu propre, d’une grande figure de dignité.
Sophie Caritté, en se coulant souplement dans son modèle, y fait merveille. Son chignon est pudique comme son strict tailleur, mais ses cheveux se dénouent sur la robe fleurie, ses rires fusent mais son sourire timide témoigne de cette femme «gauche, un peu gourde», de sa méfiance instinctive qui fuit les effleurements, tatouée dans le corps comme dans la mémoire ineffaçable de l’horreur efficacement planifiée.
Comment renouer avec le désir de vivre? À cette question, Simone Veil a répondu à la fois par le silence et par la dignité, le courage et l’engagement dans la réconciliation humaniste et européenne.
Une parole plus que jamais d’actualité. À ne surtout pas manquer. A D. Studio Hébertot 17.