ROUGE

Article publié dans la Lettre n°487 du 2 octobre 2019


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ROUGE de John Logan. Version française Jean-Marie Besset. Mise en scène Jérémie Lippmann avec Niels Arestrup, Alexis Moncorgé.
L’atelier newyorkais est assez spacieux pour accueillir des panneaux de très grands formats comme celui que le système de poulies vient de faire descendre. Mark Rothko, l’un des chefs de file de l’expressionnisme abstrait de l’École de New York, observe intensément le tableau monochrome. L’œuvre est l'une des trente toiles de même dimension, une commande au prix vertigineux. Héritière de la dynastie des alcools Seagram, Phyllis Lambert a mandaté le peintre pour la décoration du restaurant « Les Quatre saisons », point d’orgue du building Seagram qu’elle vient de faire construire. Rouge, est la couleur majeure des panneaux commandés. En cette fin des années 50, Pollock, l’ami de Rothko, de même renommée, vient de mourir. Les commandes affluent. L’artiste, au faîte de la célébrité, engage Ken, un jeune peintre, pour l’assister dans ce travail titanesque. Jour après jour, les deux hommes œuvrent sans relâche tout en discutant. Mark Rothko est conduit par un idéal inaccessible, la recherche d’une perfection artistique, une soif de voir sa peinture vivre et d’entrer en symbiose avec elle. Il est aussi un intellectuel très cultivé, ayant une approche métaphysique, presque religieuse, de l’art. Il porte un regard péremptoire sur les plus grands peintres de l’histoire, toutes époques confondues, qu’il encense ou massacre. Durant les trois ans que dure cette collaboration, Rothko ne pense qu’à lui, à ce qu’il croit et veut transmettre, mais il ne sait rien du jeune homme à l’enfance détruite qui l’assiste. Timide au premier abord, peintre lui-même et peu cultivé, Ken a des idées personnelles très précises, sur la peinture, qu’il défend. Il n’adhère guère aux recherches de Rothko. Pour lui, rouge c’est rouge !  Il n’ose même pas lui montrer l'une de ses œuvres. A force de débats conflictuels et d’humiliations, Ken finit par craquer. Il ne comprend pas pourquoi Rothko a accepté cette commande et lui reproche son hypocrisie : « Le Grand Prêtre de l’Art moderne peint les murs du temple de la consommation ! Vous êtes révolté par le commercialisme de l’art, mais, chef, ça ne vous empêche pas de prendre la thune ».
En imaginant un assistant d’une vingtaine d’années travaillant dans l’atelier de l’artiste quinquagénaire, John Logan montre Mark Rothko tel qu’il fut avec son intransigeance, son idéal, ses frustrations et ses doutes face à un représentant d’une autre génération. Être traité de mercantile est comme une gifle. Pouvoir s’offrir le luxe de se dédire et rendre l’acompte, c’est mettre le pied dans une fourmilière qu’il déteste. Quant à Mark, quitter l’artiste dont il aurait souhaité l’appui paternel, lui permet d’être enfin lui-même.
Sur scène, une fièvre créatrice règne dans l’atelier et enveloppe peu à peu le spectateur, captivé par la recherche insensée du maître, le travail ingrat de l’assistant et leurs débats passionnés. La version française sonne vraie et la liberté d’action des deux comédiens est entière, un vrai bonheur pour Niels Arestrup, Mark Rothko déroutant, et Alexis Moncorgé, Ken faussement fragile. C’est superbe ! M-P.P. Théâtre Montparnasse 14e.

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