LA RÉSISTIBLE ASCENSION D’ARTURO UI

Article publié dans la Lettre n° 424
du 24 avril 2017


  Pour voir notre sélection de visuels, cliquez ici.

LA RÉSISTIBLE ASCENSION D’ARTURO UI de Bertolt Brecht. Traduction Hélène Mauler et René Zahnd. Mise en scène Katharina Thalbach. Scénographie et costumes Ezzio Toffolutti avec Thierry Hancisse, Éric Génovèse, Bruno Raffaelli, Florence Viala, Jérôme Pouly, Laurent Stocker, Michel Vuillermoz, Serge Bagdassarian, Bakary Sangaré, Nicolas Lormeau, Jérémy Lopez, Nâzim Boudjenah, Elliot Jenicot, Julien Frison et les comédiens de l’Académie.
« Les Damnés », formidable fresque adaptée du long métrage de Lucchino Visconti, à l’affiche au Français en début de saison, réactiva une fois de plus les souvenirs de la résistible ascension d’un peintre raté, traumatisé par la défaite de son pays en 1918, qui se hissa à la plus haute fonction de l’État, mis l’Europe à feu et à sang et ordonna l’extermination de six millions de juifs. Sous forme de fable, Bertolt Brecht coucha sur le papier cette période effroyable de l’histoire qui marqua l’Europe et le monde au fer rouge, en plaçant l’action à Chicago et en créant le personnage de Arturo Ui, figure d’Hitler.
À la faveur de la crise économique mondiale de 1929, Arturo Ui, malfrat issu du peuple, prend la tête d’un gang soutenu par des complices, Manuele Gori (Hermann Göring), Ernesto Roma (Ernst Röhm) et Giuseppe Gobbola (Joseph Goebbels). L’homme tente sans succès de s’immiscer dans le trust du chou-fleur, pré-carré  d’un dénommé Clark. Pour Brecht, Clark et ses hommes représentent les hobereaux des provinces de l’Est de l’Allemagne qui vont réussir à obtenir des subventions en soudoyant le président Hindenburg. Clark fait de même en corrompant Hindsborough, le maire de Chicago. Dans la réalité comme dans la pièce, un chantage, facile à mettre en œuvre, est la cheville ouvrière d’une ascension fulgurante. Arturo Ui, mis au courant de cette corruption, l’utilise à l’encontre de Hindsborough. Il impose ainsi son entrée dans le monde très fermé de Clark. De même, Hindenburg, lui-même impliqué dans le scandale de l’aide apportée aux propriétaires de la région de l’Est, remet le pouvoir à Hitler. Un marchand qui tente de contester les affirmations d’Arturo Ui voit ses entrepôts brulés. En Allemagne, le Reichstag est incendié. Hitler accuse ses opposants et donne le signal de la nuit des longs couteaux qui extermine les SA, ses anciens alliés. Intimidation, trahison et assassinats se succèdent. Pour Arturo Ui sonne l’heure de la conquête d’autres cités, pour Hitler ce sera celle de l’Europe.
La mise en scène d’une extrême limpidité permet de suivre côte à côte le cheminement parallèle de cette résistible ascension. Katharina Thalbach a souhaité mettre en scène une version fidèle à l’esprit de Brecht, celle d’un théâtre populaire cher à Shakespeare. Le Dictateur de Chaplin hante l’ombre de Laurent Stocker, excellent Arturo Ui. Cette farce antinazie donne à voir des personnages fardés comme des clowns dont les vêtements conçus dans le respect de l’époque « s’enrichissent » à mesure de la montée de leur pouvoir. Ils évoluent sur un plateau incliné accusant leur démarche difficile mais résolue et foulent un sol où se dessine le plan de la ville de Chicago. Une gigantesque toile d’araignée symbolise au premier plan l’enfermement progressif de la cité. Les comédiens, tous formidables, jouent au rythme des décors qui se succèdent sans temps mort, scandé par la musique. Le fantôme d’Ernesto Roma, interprété par Thierry Hancisse, exprime les limites de l’ascension. L’avertissement de Brecht au monde n’a jamais été aussi vrai, le ventre est tout aussi fécond aujourd’hui. La mise en scène de Katarina Thalbach le représente de façon magistrale. M-P P. Comédie Française 1er.


Pour vous abonner gratuitement à la Newsletter cliquez ici

Index des pièces de théâtre

Nota: pour revenir à « Spectacles Sélection » utiliser la flèche « retour » de votre navigateur