QUI VA GARDER LES ENFANTS ? Conception Nicolas Bonneau et Fanny Chériaux. Co-mise en scène Gaëlle Héraut. Avec Nicolas Bonneau.
« Moi, je ne suis pas misogyne. Mais chacun doit rester à sa place, non ? ». Tout est dit de billions de mâles et de millénaires de domination sur l’autre moitié du ciel. Ainsi débute le propos qui pourrait n’être qu’un catalogue de poncifs sans complexes, si ne se déroulait dès lors un récit en double spirale. D’un côté, Caroline, « amour de sa vie » que l’auteur déserte abruptement, tant il est jaloux dès le lycée de l’aura « politique » de son amie. De l’autre, en une prose poétique aussi haletante que la course de la fugitive, le parcours de libération de Christiane Taubira. « Elle court, elle court avec son enfant serré dans ses bras vers le fleuve Maroni. » Ainsi Nicolas Bonneau fait vivre devant nous la mauvaise conscience qui l’a presque rongé jusqu’à ce projet d’aller interroger des femmes politiques, des plus prestigieuses jusqu’à la moins connue, sur leur quotidien de femmes dans un monde quasi exclusivement masculin, arc-bouté sur son pré carré et bien décidé à leur en refuser l’accès.
Le comédien s’invite chez Yvette Roudy et son franc-parler bougon, Ségolène Royal en mal de chaussures et d’image de marque, qui renvoie dans ses buts Michel Rocard, chez Margaret Thatcher la « Dame de fer » sans scrupule. Il y a les flamboyantes, il y a aussi les humbles comme la sympathique Madame la Maire d’une très petite commune provinciale qui n’échappe à aucune corvée de représentation, entre foot et pommes, il y a la stratège rusée qui, sous couvert de concessions, s’ouvre un chemin durable et infaillible, Angela Merkel.
Même Zeus, le roi des divins dominants, est convoqué dans son Olympe, avec Athéna fauteuse de migraine paternelle…
Ces récits s’entremêlent avec du rapp, sur fond de fauteuils qui glissent, de chaises qui s’enlacent et s’entassent sur un escalier en colimaçon. Strapontin de faire-valoir de la parité, chaises de « maroquins » auxiliaires, fauteuil de ministres légitimes ? Une spirale vers quels sommets ?
Un élément de costume pour caractériser la femme du moment, une démarche aisée du haut de talons vertigineux, un pupitre de discours, un siège de voiture, les lunettes momentanément ôtées pour le temps de l’émotion lucide, tout inscrit le spectacle dans une fluidité de voix et de gestes souvent rieuse, toujours juste de ton. Jusqu’à l’émotion de la voix, non imitée, donnée à entendre, dans la sobriété qui la caractérisait, celle de Simone Veil. Seul artifice, la perruque en chignon.
Non, à coup sûr, l’homme n’est pas l’égal de la femme.
Caroline a bien apprécié le spectacle, a-t-elle écrit à Nicolas. On ne peut qu’approuver. A.D. Théâtre de Belleville 11e.