QUI ES-TU FRITZ HABER ?

Article publié dans la Lettre n° 407
du 14 décembre 2016


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QUI ES-TU FRITZ HABER ? de Claude Cohen. Mise en scène Xavier Lemaire avec Isabelle Andréani et Xavier Lemaire.
La table du souper désertée est encore servie, le colonel et son état major viennent de prendre congé. Fritz Haber ne cache pas sa fierté de les avoir reçus. En 1915, la guerre bat son plein. Chimiste reconnu pour ses travaux sur la synthèse de l’ammoniac, importante pour la fabrication d’engrais et d’explosifs, il vient de mettre au point une arme chimique, un cylindre qui répand un gaz toxique capable de faire gagner rapidement la guerre à l’Allemagne. Les 5 870 cylindres installés à Ypres sur 7 kilomètres de front ont fait merveille. Son euphorie est vite fauchée par la réaction de sa femme, Clara Immerwahr, elle-même chimiste de formation. Où est l’homme qui faisait sa fierté ? Horrifiée, elle lui reproche cette invention et la mort qu’elle inflige dans d’affreuses souffrances. « Tous les moyens sont bons pourvu qu’ils soient efficaces » lui rétorque-t-il. Voir l’autosatisfaction de son mari et son incapacité à ne pouvoir le ramener à la raison, la fait sortir de ses gonds. Elle lui crie sa honte et son dégoût. À la maxime « science sans conscience n’est que ruine de l’âme », Fritz lui oppose « conscience sans science est la perte de l’homme ». Si pour Clara la science aliène l’homme, pour Fritz, plus la science avance, plus elle fait régresser l’ignorance.
La pièce, créée en 2013 à partir de l’ouvrage de Claude Cohen, retrace le destin du couple Haber-Immerwahr qui, après avoir travaillé de concert dans la plus parfaite entente, a vu l’effacement progressif de Clara au profit du succès de Fritz. La mise en scène de Xavier Lemaire cerne parfaitement l’ultime affrontement des époux, brillamment interprété par les deux comédiens. Il va bien au-delà d’un désaccord sur une découverte scientifique qui permet dorénavant de se faire la guerre « comme on dératise ». Maints sujets sont abordés, dont celui de la religion. Fritz Haber a en effet changé son prénom et s’est converti au protestantisme espérant faire oublier ses origines juives. Clara, elle, ne se fait aucune illusion. Pour leurs compatriotes, Fritz ne sera jamais autre chose qu’un juif. La dispute prend un ton plus intime. Sous les reproches de Clara percent toutes ses frustrations : sa carrière de brillante chimiste volontairement étouffée par son mari qui s’est servi d’elle comme d’une esclave, leurs relations de couple qui se sont dégradées au fil des ans. Méprisant et misogyne, Fritz abreuve Clara d’injures. Les insultes pleuvent, interrompues par un appel téléphonique donnant l’ordre à Fritz de se rendre sur le front russe. La scène s’achève avec son départ suivi du suicide de Clara. Elle n’existera plus que grâce à un prix décerné chaque année en son nom mais sa prédiction se réalisera. Prix Nobel en 1918, contraint à s’exiler en 1933, Fritz Haber quittera l’Allemagne pour la Palestine qu’il n’atteindra jamais. M-P P. Studio Hébertot 17e.


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