PUZZLE. Adaptation du film « Portrait d’une enfant déchue » de Jerry Schatzberg par Elisabeth Bouchaud. Mise en scène Serge Dangleterre avec Elisabeth Bouchaud et Jean-Benoît Terral.
Elle est belle, il la regarde avec admiration et tendresse. Belle, elle l’a été encore davantage du temps de sa splendeur de mannequin, qui faisait la couverture des plus grands magazines. Lou vit dans une réclusion insulaire, qu’elle a elle-même choisie et qu’elle ne supporte plus. Aaron, venu l’interroger sur les étapes de sa vie, dans la perspective d’un film, révèle par ses questions le portrait d’une femme complexe, intimement écartelée entre la nostalgie de sa beauté enfuie, du moins le croit-elle, ses velléités d’artiste, ses illusions de retour au monde d’avant, et surtout ses relations névrotiques aux hommes. S’invente-t-elle les amours qu’elle évoque, depuis sa prime adolescence ? A-t-elle réellement oublié ses amours effectives, entre autres avec Aaron ? Feint-elle une amnésie dilatoire ? Elle est en pièces d’elle-même, au cœur d’une vraie souffrance, qu’elle exprime avant tout par la fébrilité croissante de ses gestes, la montée en hystérie de ses souvenirs, avant de retomber dans une apathie rêveuse où elle se terre, dans un fauteuil, dans un châle, dans les traits du visage qui s’altèrent, dans les sourires en rictus, dans le regard qui se voile. La question est de savoir si le puzzle se construirait à partir de son centre à elle, ou des « bordures » que les autres traceraient pour elle. Elisabeth Bouchaud, très belle, campe avec une force de conviction ce personnage fébrile, morcelé dans une souffrance sans espoir. Aaron la contemple avec une tendresse amoureuse et une impuissance démunie, mais il n’a que le choix de la fuite, dernier ferry oblige. Avec un beau sourire triste.
Le dialogue est zébré de trois projections filmées qui donnent à voir les instants amnésiques de Lou, ceux qu’elle ne peut ni dire ni entendre. Le décor est à la mesure de son chaos intime, à la fois plein d’objets hétéroclites et d’espaces vides, de fouillis et d’alignements, qui rendent encore plus poignante la sobriété du violoncelle de Bach.
Et on reste ému devant cette impossible survie. A.D. Théâtre de la Reine Blanche 18e.