PROUST – DIRE COMBRAY. Extraits de Marcel Proust. Mise en scène et jeu Michel Voïta.
On entre dans le fleuve, on s’y laisse porter, rouler, balloter. Fleuve des mots et des images de Proust, de cette recherche sans fin au cœur des arcanes de la mémoire, de la lucidité et de la dérision de cette autopsie du minuscule, du pusillanime, qui se fait analyse quasi universelle des comportements humains. Michel Voïta est le nautonier de cette dérive dans un parcours à ce point sinueux qu’il faut accepter d’en être soi-même le fil, de s’y accrocher au risque de la noyade dont la seule lecture pointe la menace.
Quel que soit le souvenir évoqué, il ne se satisfait pas de l’anecdote et le scalpel névrotique fouaille dans l’entrelacs des sensations suscitées. Méandres d’insomniaque qui guette les sources du réveil, s’en repaît, s’y love avec délectation. Caprice puéril disséqué aux limites extrêmes de la lucidité, même si la « chute » de l’incident désarçonne la victime consentante. Saveur inopinée, retrouvée, exacerbée, de la friandise qui roule en bouche. Comme un fil étiré aux extrêmes de sa résistance. Et pourtant…
Nous entraînant dans le labyrinthe des récits entrelacés, Michel Voïta donne à voir, à entendre, à toucher, cette geste familiale dont Proust concocte le levain au cœur d’une logique en fermentation narrative. Combray, les ombres nocturnes, les commentaires de la parentèle, une vie mondaine entrevue, la mère adulée, le père méconnu, un univers par le bout de la lorgnette de l’enfant. Le kaléidoscope est infiniment chatoyant.
Une chaise, le corps assis sans confort, des doigts qui dansent, l’intonation qui s’adapte sans caricature, des sanglots qu’il ne réprime pas, voilà tout l’arsenal que le conteur inspiré met au service d’une fresque dont on ne se lasse pas.
Michel Voïta nous prouve qu’il n’est point besoin d’être un « proustophile » inconditionnel pour accepter le pari de l’écoute captivée. Il y a urgence à partir à la recherche de ce temps théâtral, dont on se prendrait à rêver de le savourer encore et encore. Vraiment remarquable. A.D. Théâtre de la Huchette 5e.